Née le 26 septembre 1949 à Los Angeles, Jane Smiley grandit à Webster Groves, dans la banlieue de Saint-Louis, Missouri. Passionnée de littérature, elle poursuit des études brillantes : après une licence et une maîtrise au Vassar College de New York, elle obtient un doctorat à l’université de l’Iowa en 1978. Durant cette période, une bourse Fulbright lui permet de passer une année enrichissante en Islande.
Sa carrière universitaire débute en 1981 à l’université d’État de l’Iowa, où elle enseigne l’anglais et l’écriture créative pendant quinze ans. En 1996, elle s’installe en Californie et reprendra plus tard l’enseignement à l’université de Californie, Riverside, en 2015.
Sa carrière littéraire connaît un succès retentissant avec la publication de « L’Exploitation » (« A Thousand Acres ») en 1991, une réécriture moderne du « Roi Lear » de Shakespeare qui lui vaut le Prix Pulitzer en 1992. Autrice prolifique, elle s’essaie à différents genres, du roman historique au récit contemporain, en passant par les essais et la littérature jeunesse. Sa trilogie « Un siècle américain » (2014-2015) confirme son talent pour les fresques familiales.
Reconnue par ses pairs, Jane Smiley reçoit plusieurs distinctions, dont le Prix Fitzgerald en 2006 pour l’ensemble de son œuvre. À travers ses écrits, elle s’affirme comme une fine observatrice de la société américaine et de ses transformations.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Nos premiers jours (Un siècle américain #1, 2014)
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Résumé
En 1920, Walter et Rosanna Langdon s’installent dans leur propre ferme en Iowa. Jeunes, travailleurs et ambitieux, ils commencent cette nouvelle vie avec leur premier-né, Frank. Au fil des années, leur famille s’agrandit de cinq autres enfants. Le roman suit leur quotidien année après année jusqu’en 1953, alors que l’Amérique traverse des bouleversements majeurs : la Grande Dépression, des sécheresses dévastatrices, la Seconde Guerre mondiale puis les prémices de la Guerre froide.
Frank, l’aîné brillant et rebelle, quitte la ferme pour l’université puis s’engage comme tireur d’élite dans l’armée avant de se retrouver mêlé à des activités d’espionnage. Joe, plus sensible, choisit de perpétuer la tradition familiale en modernisant l’exploitation agricole. Leur sœur Lillian s’oriente vers une vie conventionnelle tandis que les plus jeunes cherchent également leur voie.
À travers cette chronique familiale se dessine le portrait d’une Amérique en mutation : mécanisation de l’agriculture, exode rural, changement des mentalités. Les Langdon doivent constamment s’adapter tout en préservant les valeurs qui fondent leur identité. Parviendront-ils à maintenir les liens familiaux alors que le monde autour d’eux change irrémédiablement?
Autour du livre
Jane Smiley a conçu « Nos premiers jours » comme le premier volet d’une ambitieuse trilogie intitulée « Un siècle américain », chronique familiale s’étendant sur un siècle entier d’histoire américaine. Elle qui a passé vingt-quatre ans de sa vie dans la région agricole de l’Iowa comme professeure à l’université, puise dans sa propre expérience pour composer un portrait authentique de la vie rurale. Sa démarche narrative, un chapitre par année de 1920 à 1953, résulte d’une volonté délibérée de capturer l’écoulement du temps à l’échelle d’une famille ordinaire confrontée aux grands soubresauts historiques.
La construction du roman témoigne d’une maîtrise narrative remarquable. Smiley parvient à adopter successivement les points de vue de multiples personnages, y compris ceux, particulièrement ardus, des enfants en bas âge. Cette technique permet au lecteur d’observer l’évolution des mentalités à travers les générations et les différentes couches sociales. Smiley y dépeint avec minutie les transformations de l’agriculture américaine : le passage des chevaux aux tracteurs, l’apparition des engrais chimiques, les nouvelles variétés hybrides de semences. Ces évolutions techniques deviennent le miroir des mutations plus profondes de la société.
L’histoire intime des Langdon s’entrelace ainsi avec les grands événements historiques sans jamais tomber dans le didactisme. La crise de 1929, la Seconde Guerre mondiale, et les prémices de la Guerre froide sont vécues et perçues à hauteur des personnages, selon leur position sociale et géographique. Cette approche confère au roman une dimension quasi-documentaire, chaque personnage incarnant une facette de l’expérience américaine du XXe siècle.
La critique littéraire a réservé un accueil largement favorable à « Nos premiers jours ». Le Washington Post salue « un récit simple de la vie rurale à l’ancienne dans une période de changements » qui se révèle « souvent subtil, ironique et émouvant ». Le New York Times souligne la structure habile du roman, qu’il qualifie « d’élégante solution au problème du romancier historique ». Si certains lecteurs encensent cette fresque familiale qui « épouse le rythme de la vie même », d’autres déplorent un récit « sans intrigue ou structure » ou regrettent l’absence de conflit narratif majeur. Le roman a néanmoins été sélectionné pour le prestigieux National Book Award en 2014.
« Nos premiers jours » constitue le premier tome d’une trilogie qui se poursuit avec « Nos révolutions » (2015) et « Notre Âge d’or » (2015).
Aux éditions RIVAGES ; 592 pages.
2. Un métier dangereux (2022)
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Résumé
En 1851, dans la Californie de la ruée vers l’or, Eliza Ripple se retrouve veuve à l’âge de 21 ans. Son mari, Peter Cargill, qu’elle avait épousé sous la pression de ses parents, vient d’être tué dans une bagarre de saloon à Monterey. Loin de regretter ce mari brutal qui la traitait comme une servante, Eliza ressent un soulagement. Sans ressources, elle accepte l’offre de Mrs Parks et se prostitue dans sa maison close.
Contre toute attente, cette nouvelle vie s’avère plus douce que son mariage. Mrs Parks traite ses employées avec respect, veille à leur sécurité et leur offre une indépendance financière rare pour des femmes de cette époque. Eliza se lie d’amitié avec Jean, une jeune femme travaillant dans un établissement concurrent qui, fait étonnant pour l’époque, accueille une clientèle exclusivement féminine.
Passionnées toutes deux par les récits d’Edgar Allan Poe, en particulier les enquêtes du détective Dupin, elles partagent leurs lectures et leurs réflexions. Leur tranquillité relative est brutalement interrompue lorsqu’une première prostituée disparaît, puis qu’une autre est retrouvée morte. Face à l’indifférence du shérif et de ses hommes qui ne jugent pas ces meurtres dignes d’intérêt, Eliza et Jean décident de mener leur propre enquête.
S’inspirant des méthodes déductives de Dupin, elles observent, questionnent et suivent des pistes, tout en continuant d’exercer leur métier. Pour les deux femmes, chaque client est désormais un suspect potentiel, et chaque nuit de travail les expose davantage au danger. Comme le rappelle Mrs Parks à Eliza : « Tout le monde sait que c’est un métier dangereux, mais de toi à moi, être une femme est un métier dangereux, et ne laisse personne te dire le contraire. »
Autour du livre
Jane Smiley a écrit « Un métier dangereux » après s’être documentée sur l’histoire de Monterey. Elle a parcouru la ville à pied durant la période d’écriture pour s’imprégner de l’atmosphère et des lieux qui constituent la toile de fond de son roman. Cette immersion lui a permis de recréer avec authenticité le Monterey des années 1850, à l’époque de la ruée vers l’or, une ville portuaire en pleine expansion où se croisent marins, fermiers, avocats et aventuriers venus tenter leur chance dans l’Ouest américain.
Le roman s’inscrit dans la lignée des œuvres précédentes de Smiley qui puisent leur inspiration dans des classiques de la littérature. Tout comme « L’Exploitation » s’inspire du « Roi Lear » de Shakespeare et « Les aventures véridiques de Lidie Newton » emprunte aux « Aventures de Huckleberry Finn » de Mark Twain, « Un métier dangereux » rend hommage aux récits d’Edgar Allan Poe, particulièrement aux enquêtes du chevalier Dupin. Cette filiation se manifeste dans la façon dont les deux héroïnes tentent d’appliquer les méthodes déductives de Dupin à leur propre enquête.
L’originalité du roman réside dans son regard féministe sur le Far West, traditionnellement dépeint sous un angle masculin. Smiley nous offre une perspective différente, celle de femmes qui naviguent dans un monde dominé par les hommes et cherchent à prendre en main leur destin. Le livre aborde également des thèmes historiques comme l’esclavage, l’abolitionnisme et les prémices de la guerre de Sécession, tissant ainsi la grande Histoire dans la trame narrative personnelle d’Eliza. À travers ses rencontres avec ses différents clients, la protagoniste découvre la diversité des expériences masculines et affine sa compréhension de la nature humaine, dans une sorte d’étude anthropologique de la société de l’époque.
L’accueil critique du roman a été mitigé. Le Washington Post l’a qualifié de « féministe ». Heller McAlpin, pour NPR, a noté l’influence de Poe et l’a décrit comme « une sorte de ‘Poe-Pourri’ parfumé ». Erica Wagner, dans The Guardian, l’a trouvé « étonnamment plat et insatisfaisant ». Plusieurs lecteurs ont apprécié le traitement sans vulgarité ni complaisance du thème de la prostitution, décrit de manière sobre et directe. D’autres ont salué la description précise de l’époque et la réflexion sur la condition féminine, tout en regrettant un rythme parfois lent et une intrigue policière qui manque de tension.
Aux éditions RIVAGES ; 288 pages.