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Isaac Bashevis Singer en 4 romans – Notre sélection

Isaac Bashevis Singer en 4 romans – Notre sélection

Isaac Bashevis Singer naît en novembre 1903 à Leoncin, en Pologne, dans une famille juive traditionnelle. Son père est rabbin et sa mère est la fille d’un rabbin. Cette immersion dans la culture juive orthodoxe marque profondément son enfance et façonne son imaginaire littéraire.

En 1908, la famille s’installe dans la rue Krochmalna à Varsovie, où le jeune Isaac passe la majeure partie de son enfance. Son père y préside un beth din (tribunal rabbinique), permettant au garçon d’être témoin des conflits et des drames qui nourrissent plus tard son œuvre. Destiné comme son frère aîné Joshua à devenir rabbin, Isaac étudie dans une école rabbinique, mais se passionne également pour la littérature profane.

À partir de 1925, suivant l’exemple de son frère Joshua qui a déjà embrassé une carrière d’écrivain, Isaac se lance dans l’écriture. Il publie des nouvelles dans des revues yiddish et traduit des auteurs européens. Son premier roman, « La Corne du bélier », paraît en 1932. Face à la montée du nazisme, il émigre aux États-Unis en 1935, laissant derrière lui sa compagne Rachel et leur fils.

Les débuts à New York sont difficiles, mais Singer persévère. Il continue d’écrire exclusivement en yiddish pour le Jewish Daily Forward, refusant d’abandonner sa langue maternelle malgré son déclin. La traduction en anglais de sa nouvelle « Gimpel le naïf » par Saul Bellow en 1953 marque un tournant dans sa carrière, lui ouvrant les portes d’un public plus large.

Son œuvre, nourrie par la tradition juive, le folklore ashkénaze et ses souvenirs de Pologne, mêle réalisme et fantastique. Il y dépeint les tensions entre tradition et modernité, foi et doutes, dans des récits où se côtoient démons et figures quotidiennes. Dans ses dernières œuvres, sa réflexion s’élargit aux questions universelles de l’identité et de la spiritualité.

La consécration arrive en 1978 avec le prix Nobel de littérature, qui récompense son art de conteur enraciné dans la culture judéo-polonaise. Affaibli par la maladie dans ses dernières années, Singer s’éteint en 1991 à Surfside, en Floride, laissant derrière lui une œuvre monumentale qui témoigne d’un monde disparu tout en évoquant les questionnements éternels de la condition humaine.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Shosha (1978)

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Résumé

À Varsovie, à la fin des années 1930, Aaron Greidinger, fils de rabbin devenu écrivain, mène une existence dissolue entre ses maîtresses et ses ambitions littéraires. Sa rencontre avec Betty, une actrice américaine, lui offre l’opportunité d’écrire une pièce de théâtre et de quitter la Pologne menacée par Hitler. Mais lors d’une promenade dans son quartier d’origine, Aaron retrouve Shosha, son amie d’enfance. Marquée par une mystérieuse « maladie du sommeil », Shosha n’a presque pas grandi et conserve une mentalité enfantine. Elle vit toujours dans la même rue, comme figée dans le passé. Contre toute attente, Aaron décide de l’épouser et de rester en Pologne malgré l’imminence de la guerre. Treize ans plus tard, installé aux États-Unis après avoir survécu à l’Holocauste, il apprend la mort de presque tous ses proches, dont Shosha.

Autour du livre

« Shosha » est l’une des œuvres majeures d’Isaac Bashevis Singer, couronné du prix Nobel de littérature en 1978. Ce texte profondément personnel, aux accents autobiographiques, dépeint la communauté juive de Varsovie à la veille de son anéantissement. La dimension testimoniale s’enrichit d’une réflexion sur l’identité juive, déchirée entre tradition et modernité.

Le choix du yiddish comme langue d’écriture originale s’avère hautement symbolique. Cette langue hybride, mêlant allemand et russe, cristallise l’identité des Juifs d’Europe centrale avant la Seconde Guerre mondiale. Singer continue d’écrire en yiddish même après son installation aux États-Unis, faisant d’abord paraître « Shosha » en feuilleton dans le Jewish Daily Forward sous le titre « Soul Expeditions ».

L’univers décrit par Singer fourmille de personnages hauts en couleur : rabbins miraculeux, intellectuels désabusés, révolutionnaires idéalistes. La rue Krochmalna, avec ses odeurs de « fruits pourris et de fumée de cheminée », ses marchands ambulants et ses prostituées, prend vie sous sa plume. Ce microcosme varsovien, aujourd’hui disparu, est le théâtre d’une impossible histoire d’amour.

Le personnage énigmatique de Shosha, cette femme-enfant que le protagoniste choisit d’épouser malgré sa déficience mentale, incarne la pureté et l’innocence d’un monde voué à la destruction. Son immobilité physique et mentale contraste avec la frénésie d’une époque où les discussions philosophiques côtoient les prémonitions apocalyptiques. La dimension métaphysique traverse l’œuvre : les personnages débattent de l’existence de Dieu face à la montée du nazisme, questionnent le sens de la tradition dans un monde qui chancelle. « Nous courons et le mont Sinaï nous poursuit », déclare Aaron, illustrant le conflit entre modernité et héritage religieux.

L’épilogue, situé treize ans après les événements principaux, résonne comme un kaddish, une prière pour les morts. La survie du narrateur, devenu écrivain à succès à New York, ne fait que souligner l’ampleur de la perte : Shosha, Betty, Celia et tant d’autres ont péri dans la tourmente de l’Histoire.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 408 pages.


2. Ombres sur l’Hudson (1957)

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Résumé

New York, 1947. Dans son appartement de l’Upper West Side, Boris Makaver, riche homme d’affaires juif rescapé du ghetto de Varsovie, reçoit à dîner un groupe d’amis et de proches, tous réfugiés d’Europe de l’Est. Parmi eux se trouve Hertz Grein, ancien professeur de mathématiques devenu courtier en bourse, qui entretient une liaison avec une maîtresse de longue date tout en étant marié. Ce soir-là, une idylle naît entre Grein et Anna, la fille de Makaver, qu’il avait connue enfant à Varsovie. Malgré leurs mariages respectifs, ils entament une relation passionnée qui bouleverse leur entourage. S’ensuit une errance sentimentale et spirituelle au cours de laquelle Grein oscille entre trois femmes – son épouse Leah, sa maîtresse Esther et Anna – tout en questionnant sa foi et son identité juive dans une Amérique matérialiste, à l’ombre des traumatismes de la Shoah.

Autour du livre

« Ombres sur l’Hudson » paraît d’abord en yiddish sous forme de feuilleton dans le journal The Forward en 1957, avant d’être publié en volume la même année. Il faut attendre 1998, soit sept ans après la mort d’Isaac Bashevis Singer, pour que ce texte majeur soit traduit en anglais et révélé au grand public.

Dans cette fresque new-yorkaise monumentale, Singer dresse le portrait d’une communauté juive déracinée, hantée par la culpabilité des survivants. Les personnages, intellectuels pour la plupart, débattent sans relâche de questions théologiques et philosophiques : comment croire en un Dieu qui a permis l’extermination de six millions de Juifs ? Quelle place accorder à la tradition dans une société américaine vouée au matérialisme ?

Le roman déploie une galerie de personnages mémorables, chacun incarnant une réponse possible à ces interrogations : Boris Makaver s’accroche à l’orthodoxie religieuse, le docteur Margolin verse dans l’athéisme militant, le professeur Shrage cherche refuge dans le spiritisme. Kirkus Reviews compare cette œuvre à celles de Tolstoï, tandis que Publishers Weekly évoque Dostoïevski pour sa profondeur psychologique et sa dimension métaphysique.

Singer mêle habilement le tragique et le comique, créant des situations dignes du vaudeville qui se teintent d’une gravité existentielle. Les scènes de séduction et d’adultère alternent avec des débats enflammés sur Spinoza, Nietzsche ou la Kabbale. New York elle-même devient un personnage à part entière, ville-monde où cohabitent la tentation hédoniste et la nostalgie du vieux monde.

La question de l’assimilation traverse tout le roman : les enfants des protagonistes s’éloignent du judaïsme, épousent des non-juifs, embrassent le communisme ou la culture populaire américaine. Cette dilution identitaire apparaît comme une autre forme d’extermination, plus insidieuse que la violence nazie.

L’originalité de Singer réside dans son refus de tout manichéisme. Il ne condamne ni n’absout ses personnages, préférant mettre en lumière leurs contradictions avec une compassion teintée d’ironie. Son écriture, même traduite du yiddish, conserve une vitalité remarquable, parsemée d’expressions idiomatiques qui témoignent de la richesse de la culture ashkénaze.

Aux éditions FOLIO ; 915 pages.


3. La famille Moskat (1950)

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Résumé

Dans le Varsovie du début du XXe siècle, le riche Meshulam Moskat, patriarche d’une vaste famille juive orthodoxe, épouse en troisièmes noces Rosa Frumetl. Cette union inattendue bouleverse l’équilibre familial, d’autant que le jeune Asa Heshel Bannet, intellectuel torturé qui a abandonné ses études talmudiques, fait son apparition. Séduit par Hadassah, la petite-fille de Meshulam, il finit pourtant par épouser Adele, la fille de Rosa. À la mort du patriarche, la famille se déchire autour de l’héritage tandis que l’antisémitisme monte en Pologne. Entre traditions religieuses et tentation de la modernité, les membres de la famille connaissent mariages malheureux et liaisons clandestines. Certains émigrent vers la Palestine ou l’Amérique tandis que d’autres restent à Varsovie jusqu’à l’invasion allemande de 1939.

Autour du livre

Publié en 1950, « La famille Moskat » est la première œuvre d’Isaac Bashevis Singer traduite en anglais. Le roman paraît d’abord en feuilleton dans le journal yiddish Forverts entre 1945 et 1948, non sans difficultés avec le rédacteur en chef Abraham Cahan qui souhaite initialement interrompre la publication. La traduction anglaise donne également lieu à des débats houleux avec l’éditeur Alfred Knopf qui exige des coupes substantielles dans le manuscrit. Singer finit par accepter la suppression de quatre-vingt-dix pages, une décision qu’il regrettera par la suite.

À travers cette saga familiale qui s’étend sur près de quatre décennies, Singer dresse le portrait saisissant de la communauté juive de Varsovie avant son anéantissement. Les personnages incarnent les différents courants qui traversent alors le judaïsme polonais : les orthodoxes attachés aux traditions millénaires côtoient les partisans de la modernité, les sionistes rêvant de Palestine s’opposent aux tenants de l’assimilation. Le roman met particulièrement en scène les Hassidim, ces juifs ultra-orthodoxes qui persistent dans leur mysticisme malgré la montée des périls.

Deux figures dominent le récit : Abram Shapiro, jouisseur impénitent mais généreux, et son opposé Asa Heshel, intellectuel tourmenté perpétuellement en quête de vérité. À travers ce dernier personnage, largement autobiographique, Singer interroge les fondements philosophiques du judaïsme et le problème du mal, notamment via des références à Spinoza.

Singer arrête délibérément son récit au moment de l’invasion allemande, créant ainsi un effet dramatique puissant puisque le lecteur sait ce qui attend ces personnages dont il a suivi les destins pendant des centaines de pages. La version yiddish originale comporte toutefois onze pages supplémentaires décrivant la fuite d’un petit groupe de survivants vers la Palestine, pages qui n’ont pas été conservées dans la traduction anglaise.

Les critiques louent unanimement la capacité de Singer à ressusciter un monde disparu sans tomber dans la nostalgie ou l’hagiographie. Ses personnages profondément humains, avec leurs qualités et leurs défauts, leurs grandeurs et leurs mesquineries, contribuent à faire de « La famille Moskat » un témoignage d’une rare authenticité sur la vie juive en Pologne avant la Shoah. Cette œuvre magistrale vaudra, entre autres, à Singer le prix Nobel de littérature en 1978.

Aux éditions STOCK ; 768 pages.


4. Le Magicien de Lublin (1960)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

La Pologne des années 1880 sert de théâtre aux pérégrinations de Yasha Mazur, magicien juif de Lublin réputé pour ses talents d’illusionniste, d’acrobate et de crocheteur de serrures. Ce libre-penseur partage son existence entre quatre femmes : Esther, son épouse juive traditionnelle qui l’attend à Lublin, Magda son assistante et maîtresse, Zeftel une jeune femme de Piaski, et Emilia, une veuve catholique varsovienne qui rêve de l’épouser et de partir en Italie. Pour satisfaire les ambitions d’Emilia, Yasha projette de cambrioler la demeure d’un riche voisin mais l’entreprise tourne au désastre. À son retour, il apprend le suicide de Magda. Ces événements le bouleversent profondément. Trois ans plus tard, revenu à Lublin, il entame une vie d’ascète. Il s’emmure dans une cellule sans porte et finit par devenir un objet de vénération pour la communauté.

Autour du livre

« Le Magicien de Lublin », écrit en yiddish mais publié d’abord en anglais en 1960, s’inscrit dans la lignée des grands romans moraux à la Dostoïevski. Le Prix Nobel de littérature Isaac Bashevis Singer y dépeint une Pologne en pleine mutation, où la modernité côtoie les traditions séculaires : les rues pavées remplacent les trottoirs de bois, les immeubles s’élèvent, tandis que les théâtres multiplient leurs programmations.

À travers le personnage de Yasha Mazur se dessine le portrait d’un homme déchiré entre différentes identités : mi-juif mi-gentil, ni vraiment l’un ni vraiment l’autre, il incarne le conflit entre tradition et modernité, entre foi et doute, entre liberté et responsabilité. Ses talents de magicien, particulièrement sa capacité à crocheter n’importe quelle serrure, symbolisent cette liberté illusoire qui finira par se retourner contre lui.

Les femmes qui gravitent autour de Yasha représentent chacune une voie possible : Esther incarne la tradition juive, Magda la vie bohème d’artiste, Emilia l’aspiration bourgeoise. Cette configuration rappelle les personnages d’autres romans de Singer comme « Ennemies, une histoire d’amour » et « Ombres sur l’Hudson », où les protagonistes masculins se trouvent également tiraillés entre plusieurs femmes.

L’œuvre a connu un succès notable, avec plusieurs rééditions et une adaptation cinématographique en 1979 par Menahem Golan, mettant en scène Alan Arkin dans le rôle principal. Elle a également été adaptée pour le théâtre par Jan Szurmiej, d’abord au Théâtre Contemporain de Wrocław en 1986, puis au Théâtre Rampa de Varsovie.

« Le Magicien de Lublin » transcende la parabole morale pour offrir une réflexion sur la nature du désir, de la foi, de la rédemption. La fin du roman, avec Yasha devenu ermite, propose une résolution paradoxale : l’homme qui pouvait ouvrir toutes les serrures choisit de s’enfermer volontairement, trouvant peut-être dans cette contrainte une forme ultime de liberté.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 336 pages.

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