Herta Müller, née le 17 août 1953 à Nițchidorf en Roumanie, est une romancière germano-roumaine qui a reçu le prix Nobel de littérature en 2009. Issue de la minorité allemande des Souabes du Banat, elle grandit dans un contexte familial marqué par l’histoire : sa mère fut déportée cinq ans dans un camp du Goulag soviétique et son père était un ancien soldat de la Waffen-SS.
Après des études de lettres allemandes et roumaines à l’université de Timișoara, elle devient traductrice dans une usine. Son refus de collaborer avec la Securitate (police secrète roumaine) lui vaut d’être licenciée en 1979. Ses premiers livres publiés en Roumanie, dont « Dépressions » (1982), sont censurés par le régime communiste.
Sous la pression internationale, elle obtient l’autorisation d’émigrer en Allemagne de l’Ouest en 1987. Son œuvre, composée d’une vingtaine de romans et récits, dépeint avec une extraordinaire force poétique la vie sous la dictature de Ceaușescu, abordant les thèmes de la surveillance, de la peur et de l’oppression. Son style singulier mêle réalisme et éléments fantastiques, dans une langue percutante.
Intellectuelle engagée, elle prend régulièrement position sur des sujets politiques, notamment pour dénoncer la persistance des méthodes de la Securitate dans la Roumanie post-communiste. Elle vit aujourd’hui à Berlin et continue d’être une voix importante de la littérature contemporaine.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. La bascule du souffle (2009)
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En janvier 1945, Léopold Auberg, jeune Roumain germanophone de 17 ans, est arraché à sa Transylvanie natale. Accusé comme des milliers d’autres d’avoir soutenu l’Allemagne nazie pendant la guerre, il est déporté dans un camp de travail en URSS sur ordre des autorités soviétiques. Sa grand-mère lui murmure alors une phrase qui le hantera : « Je sais que tu reviendras. »
Cinq années durant, Léopold survit dans le camp de Novo-Gorlovka en Ukraine. Les journées s’enchaînent entre l’usine de charbon, la cimenterie et la tuilerie. Deux rations de soupe aux choux, un bout de pain, le froid mordant, les poux, la dysenterie : telle est sa nouvelle réalité. Pour ne pas sombrer, il métamorphose son univers, prête vie aux objets, dialogue avec « l’ange de la faim » qui le tourmente sans répit.
Ce roman s’inspire des témoignages recueillis par Herta Müller, notamment celui du poète Oskar Pastior, lui-même déporté, avec qui elle devait initialement l’écrire à quatre mains avant son décès en 2006. L’ouvrage brise un tabou historique longtemps tu en Roumanie communiste : la déportation de plus de 200 000 Roumains d’origine allemande. Il a été adapté au théâtre en 2021 au Schauspiel de Cologne.
Aux éditions FOLIO ; 368 pages.
2. Animal du cœur (1994)
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Roumanie, années 1980. Sous la dictature de Ceaușescu, une jeune étudiante germanophone partage sa chambre universitaire avec cinq autres filles, dont Lola. Cette dernière, issue d’une province pauvre du sud, tente d’échapper à sa condition en multipliant les relations avec des ouvriers et son professeur de gymnastique. Un jour, on la retrouve pendue dans son placard avec la ceinture de la narratrice.
La mort de Lola marque le début d’une amitié profonde entre la narratrice et trois étudiants : Edgar, Kurt et Georg. Unis par la lecture du journal intime de leur amie disparue, ils développent une résistance silencieuse au régime. Mais leurs activités attirent l’attention de la Securitate, la police politique. Commence alors une longue série d’interrogatoires et de persécutions. Quand la répression s’intensifie, certains choisissent l’exil en Allemagne tandis que d’autres restent, au péril de leur vie.
Ce livre s’inspire directement de l’expérience d’Herta Müller, elle-même membre de la minorité allemande de Roumanie contrainte à l’exil en 1987. Le roman, paru en 1994, décrit avec une précision clinique les mécanismes de surveillance et d’oppression d’un État totalitaire : la peur permanente, la trahison des proches, l’impossibilité de faire confiance. Son succès international a été consacré par l’International IMPAC Dublin Literary Award en 1998, la plus importante récompense pour une œuvre de fiction traduite en anglais. L’activiste iranien Mohammad-Ali Abtahi a confié l’avoir lu pendant sa détention, y trouvant des échos à sa propre expérience de la répression politique.
Aux éditions FOLIO ; 288 pages.
3. La convocation (1997)
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Une femme monte dans un tramway de Bucarest, convoquée « à dix heures précises » dans les bureaux de la Securitate. Nous sommes dans la Roumanie communiste des années 1980, sous la dictature de Ceausescu. Cette convocation n’est pas la première : depuis qu’elle a tenté de fuir sa condition en glissant des « bouteilles à la mer », des messages dans les poches de pantalons destinés à l’export italien, la police politique la harcèle d’interrogatoires.
Le roman suit le trajet en tramway qui la mène vers cette énième convocation. Dans l’angoisse de l’attente, ses pensées divaguent : son premier mariage raté, sa relation avec Paul qui noie son mal-être dans l’alcool, sa meilleure amie Lilli abattue en tentant de franchir la frontière. Entre les descriptions des autres passagers du tramway surgissent les fragments d’une vie marquée par la surveillance constante et la peur.
L’ambiance oppressante du régime totalitaire imprègne chaque page à travers les petits gestes du quotidien : la délation entre voisins, les files d’attente devant les magasins vides, les combines pour survivre. Ce texte a contribué à l’obtention du prix Nobel de littérature en 2009, récompensant une œuvre qui met à nu les mécanismes d’oppression des régimes totalitaires.
Aux éditions FOLIO ; 272 pages.
4. Le renard était déjà le chasseur (1992)
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Dans la Roumanie de Ceaușescu à la fin des années 1980, Adina, une jeune institutrice proche des milieux dissidents, découvre que des inconnus s’introduisent régulièrement dans son appartement pour découper, morceau par morceau, la fourrure d’un renard qui orne son intérieur. Cette intrusion symbolique marque le début d’une surveillance étroite par la Securitate, la redoutable police politique du régime.
Le piège se referme peu à peu. Clara, sa meilleure amie qui travaille comme ingénieure dans une usine, fréquente Pavel, un officier des services secrets. Paul, l’ancien compagnon d’Adina devenu son ami proche, milite dans les cercles contestataires aux côtés d’Abi, un musicien dissident. Dans un climat de suspicion généralisée où les amis disparaissent ou se trahissent, Adina tente de préserver sa liberté tandis que le régime vacille. Hélas, même la chute du dictateur ne suffira pas à dissiper cette atmosphère délétère.
Publié en 1992, trois ans après la chute sanglante de Ceaușescu, ce roman s’inspire directement du vécu d’Herta Müller qui fut elle-même harcelée par la Securitate avant son exil en Allemagne en 1987. Les persécutions quotidiennes, la misère matérielle et l’angoisse omniprésente façonnent une narration où le réel bascule sans cesse dans l’étrange. Cette première œuvre ouvertement politique contribuera à son obtention du Prix Nobel de littérature en 2009.
Aux éditions FOLIO ; 288 pages.
5. L’homme est un grand faisan sur terre (1986)
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Au cœur d’un village roumain des années 1980, le meunier Windisch compte les jours – deux ans et deux cent vingt et un jours exactement – depuis qu’il a entamé les démarches pour émigrer en Allemagne avec sa famille. Comme beaucoup d’autres membres de la minorité germanophone sous le régime de Ceaușescu, il rêve de quitter ce pays où la vie devient chaque jour plus difficile.
Malgré les sacs de farine livrés au maire et l’argent versé aux autorités, les papiers tardent à venir. Dans ce village où règnent la corruption et les abus de pouvoir, chacun doit faire des compromissions pour survivre. Sa femme Katharina porte encore les stigmates de son passé en Russie où elle s’est prostituée pour ne pas mourir de faim. À présent, c’est au tour d’Amélie, leur fille, de se soumettre aux exigences du milicien et du prêtre pour accélérer l’obtention des documents.
Ce roman publié en 1986, un an avant que son autrice ne quitte elle-même la Roumanie pour l’Allemagne, mêle au réalisme le plus cru des éléments de folklore local : une chouette porteuse de mort, un arbre qui mange ses propres fruits. La narration alterne entre le quotidien le plus terre-à-terre et des moments de pure poésie surréaliste. Ce texte singulier sur l’exil et la survie préfigure les thèmes qui vaudront à Herta Müller le prix Nobel de littérature en 2009.
Aux éditions FOLIO ; 124 pages.