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Frantz Fanon en 5 livres – Notre sélection

Frantz Fanon en 5 livres – Notre sélection

Frantz Fanon naît le 20 juillet 1925 à Fort-de-France, en Martinique, dans une famille métissée de la classe moyenne. Il reçoit son éducation au lycée Schœlcher où enseigne Aimé Césaire, qui deviendra son mentor. En 1943, il s’engage dans l’armée française de la Libération et combat en Europe, où il est blessé dans les Vosges.

Après la guerre, Fanon étudie la médecine et la psychiatrie à Lyon. C’est pendant cette période qu’il écrit « Peau noire, masques blancs » (1952), une analyse des effets psychologiques du colonialisme sur les personnes noires. Il devient ensuite médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida en Algérie, où il développe des méthodes innovantes de sociothérapie adaptées aux patients musulmans.

La guerre d’Algérie marque un tournant dans sa vie. En 1956, il démissionne de son poste pour rejoindre le Front de Libération Nationale (FLN). Expulsé d’Algérie, il s’installe à Tunis où il écrit pour le journal El Moudjahid et devient ambassadeur du gouvernement provisoire algérien au Ghana. Il continue son travail d’intellectuel engagé et publie « L’An V de la révolution algérienne » (1959).

Atteint de leucémie, Fanon rédige son dernier ouvrage « Les Damnés de la Terre » (1961), un manifeste sur la décolonisation qui aura une influence considérable sur les mouvements de libération à travers le monde. Il meurt le 6 décembre 1961 dans un hôpital de Bethesda, aux États-Unis, à l’âge de 36 ans. Son corps est rapatrié et inhumé en Algérie, pays pour lequel il s’est tant battu.

Psychiatre, philosophe, militant anticolonialiste, Fanon laisse une œuvre majeure qui influence encore aujourd’hui les études postcoloniales et les mouvements de libération. Sa pensée sur les effets psychologiques de la colonisation et sa vision de la décolonisation continuent d’inspirer intellectuels et activistes à travers le globe.

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. Peau noire, masques blancs (1952)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1952, Frantz Fanon, jeune psychiatre martiniquais de 27 ans, publie une étude clinique sur les relations entre Noirs et Blancs dans le contexte colonial. L’ouvrage s’ouvre sur une citation d’Aimé Césaire qui évoque les millions d’hommes à qui l’on a inculqué la peur et le complexe d’infériorité. Le psychiatre dresse alors le constat d’une double équation : les Blancs se considèrent supérieurs aux Noirs, tandis que ces derniers cherchent constamment à prouver aux Blancs la richesse de leur pensée.

Son analyse commence par le rapport à la langue. Le Noir martiniquais qui séjourne en France subit une transformation profonde : il délaisse le créole pour le français, espérant ainsi s’élever socialement. Parler français devient synonyme de blancheur, d’assimilation au monde occidental. Parallèlement, le Blanc s’adresse systématiquement en « petit-nègre » au Noir, même cultivé, renforçant ainsi les stéréotypes raciaux.

Fanon examine ensuite les relations entre femmes de couleur et hommes blancs à travers l’étude du roman « Je suis martiniquaise » de Mayotte Capécia. Il y décèle une attirance naïve pour le Blanc, simplement parce qu’il est blanc. Cette attitude révèle un phénomène de rétractation du moi qui ne se résout que dans l’union avec un Blanc. Les « mulâtresses » en viennent à refuser d’épouser un Noir, prétextant d’abord son manque de finesse mais rejetant in fine sa couleur de peau.

Le psychiatre poursuit son investigation en se penchant sur les relations entre hommes de couleur et femmes blanches. À travers le roman autobiographique « Un homme pareil aux autres » de René Maran, il montre comment un jeune homme noir, Jean Veneuse, compense son sentiment d’infériorité par l’excellence scolaire. Pourtant, celui-ci n’ose pas entamer une relation avec une Blanche sans l’autorisation de son frère. Le désir de posséder une Blanche devient un mythe sexuel qui ne fait que renforcer le sentiment d’infériorité.

L’analyse s’étend aux études d’Octave Mannoni sur le prétendu complexe de dépendance du colonisé. Fanon réfute catégoriquement l’idée d’un besoin inné d’être dirigé chez le futur colonisé. Il affirme au contraire que l’origine du sentiment d’infériorité provient du racisme du colonisateur, malgré le discours officiel qui prétend le contraire. Sa thèse est sans appel : une société est raciste ou ne l’est pas, l’Europe possède une structure fondamentalement raciste.

Dans les derniers chapitres, le psychiatre aborde la psychopathologie du Noir et sa quête de reconnaissance. Il révèle comment les acquisitions intellectuelles des Blancs se sont doublées d’un sentiment de perte du potentiel sexuel, qu’ils ont dès lors projeté sur les Noirs. Cette construction psychologique mène à une impasse : soit le Noir demande qu’on ne fasse pas attention à sa peau, soit il souhaite qu’on la remarque. Dans les deux cas, il reste prisonnier du jugement des Blancs.

L’enjeu central du livre se cristallise autour d’une question fondamentale : comment le Noir peut-il s’émanciper de l’aliénation coloniale et retrouver sa dignité sans tomber dans le piège du mimétisme ou du rejet systématique ? La réponse de Fanon appelle à une prise de conscience qui dépasse les déterminismes raciaux pour atteindre une véritable reconnaissance de l’humanité commune.

Autour du livre

Frantz Fanon rédige ce texte à Lyon alors qu’il vient de subir une expérience traumatisante. Le Dr Tosquelles, avec qui il a collaboré, témoigne : « Il me raconta sa souffrance éclatée tout récemment dans la rue, à Lyon, lorsqu’il se promenait avec sa fiancée – blanche. Il fut interpellé violemment, amené et malmené pendant des heures au poste de police, par des flics qui l’accusaient de s’adonner au trafic ou à la traite des blanches ». Cette humiliation intime nourrit sa réflexion sur les mécanismes d’oppression raciale.

La singularité de l’ouvrage réside dans son approche novatrice qui mêle psychiatrie, philosophie et analyse politique. Fanon développe une écriture sensuelle, presque poétique, qui tranche avec le style académique traditionnel. Comme il l’explique à Francis Jeanson : « Je cherche, quand j’écris de telles choses, à toucher affectivement mon lecteur… c’est-à-dire irrationnellement, presque sensuellement ». Cette tension entre rigueur scientifique et expression littéraire donne au texte une intensité particulière.

La réception de l’ouvrage varie considérablement selon les pays et les époques. En France, le livre rencontre initialement peu d’écho et n’est même pas accepté comme sujet de thèse. Aux États-Unis en revanche, il devient une référence majeure pour le mouvement des droits civiques et influence notamment le Black Panther Party. Le philosophe Homi K. Bhabha salue dans « Peau noire, masques blancs » « cette rare historicisation de l’expérience coloniale » qui refuse tout récit simpliste. Louis-Georges Tin considère qu’il s’agit d’un « livre essentiel sur le colonialisme, sur les conséquences humaines de la colonisation et du racisme ».

En 1995, le réalisateur Isaac Julien lui consacre un film documentaire intitulé « Frantz Fanon : Peau noire, masque blanc ». Plus récemment, en 2020, l’artiste béninois Roméo Mivekannin s’inspire du livre pour son exposition « Peaux noires, masques blancs », preuve de la persistance des questionnements soulevés par Fanon il y a plus de soixante-dix ans.

Aux éditions POINTS ; 240 pages.


2. L’An V de la révolution algérienne (1959)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans « L’An V de la révolution algérienne », publié en 1959, Frantz Fanon dépeint les bouleversements sociaux qui marquent la société algérienne durant la guerre d’indépendance. Il commence par une analyse des premières années du conflit, où le FLN et le GPRA condamnent d’abord les actions violentes tout en peinant à désavouer leurs « frères » agissant de manière autonome. Le psychiatre martiniquais devenu militant du FLN met en lumière la violence inhérente au système colonial, son acharnement à maintenir sa dernière colonie de peuplement et son exploitation du Sahara.

Les chapitres suivants dévoilent les transformations profondes qui s’opèrent dans différentes sphères de la société. Par exemple, la place du voile évolue considérablement : d’abord symbole de résistance face aux tentatives d’occidentalisation forcée, le haïk devient un outil tactique pour les femmes engagées dans la résistance. Dès 1956, ces combattantes alternent entre le port et le retrait du voile selon leurs missions : transport d’armes, escorte de chefs militaires ou missions de surveillance. Cette adaptabilité témoigne d’une émancipation progressive des femmes algériennes.

La radio connaît une évolution similaire. Avant 1945, elle demeure l’apanage des Européens et véhicule la culture coloniale. Les massacres de Sétif marquent un tournant : les Algériens s’équipent massivement en postes TSF pour capter les radios arabes étrangères. Quand « La Voix de l’Algérie libre » commence à émettre fin 1956, les autorités françaises tentent d’entraver sa diffusion, mais leurs efforts de brouillage ne font que renforcer le sentiment national naissant.

Les structures familiales traditionnelles se métamorphosent aussi sous l’effet de la lutte. Les fils militants s’émancipent de l’autorité paternelle, les filles conquièrent une autonomie inédite, et les épouses prennent une place nouvelle : elles critiquent les maris non engagés, soutiennent les combattants, voire rejoignent elles-mêmes la résistance. Au maquis, des mariages se célèbrent sous l’égide du FLN, bouleversant les codes traditionnels.

Le rapport à la médecine occidentale illustre également ces mutations. Les Algériens, initialement méfiants envers un système médical perçu comme un instrument de domination coloniale, développent leurs propres réseaux de soins. Face aux médecins européens qui collaborent avec les autorités en signalant les blessés ou en dissimulant les traces de torture, des circuits clandestins d’approvisionnement en médicaments s’organisent depuis la Tunisie et le Maroc.

L’ouvrage se termine par un examen nuancé de la minorité européenne d’Algérie. Si certains colons et médecins soutiennent activement la répression, d’autres, y compris au sein de la communauté juive, apportent une aide précieuse au FLN : renseignements sur les mouvements militaires, stockage d’armes et de vivres, soins aux combattants, impression de tracts. Ces Européens engagés dans la lutte ne sont pas considérés comme des alliés de circonstance mais comme des compatriotes à part entière.

Autour du livre

Nommé médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville en 1953, Frantz Fanon ne connaît alors rien de l’Algérie et ne parle ni l’arabe ni le berbère. Son engagement aux côtés du FLN naît de son expérience quotidienne : il soigne à la fois les Algériens torturés et les officiers français tortionnaires. Cette situation le conduit à une rupture radicale avec la France. Démissionnaire de son poste en 1956, il rejoint la résistance algérienne et devient éditeur d’El Moudjahid à Tunis. C’est dans ce contexte qu’il rédige « L’An V de la révolution algérienne », signé d’un nom qui témoigne de sa métamorphose identitaire : Ibrahim Omar Fanon.

La puissance de l’ouvrage réside dans sa capacité à saisir les transformations sociales en cours. Les relations familiales traditionnelles se reconfigurent : le fils militant s’émancipe de l’autorité paternelle, la fille combattante acquiert une autonomie inédite, l’épouse encourage son mari à rejoindre la lutte ou subvient seule aux besoins du foyer. Ces mutations dessinent les contours d’une société plus égalitaire. La médecine elle-même devient un terrain d’affrontement : initialement méfiants envers les praticiens perçus comme des agents du colonialisme, les Algériens développent leurs propres réseaux de soins clandestins.

Les critiques saluent unanimement la finesse d’analyse de Fanon. Anthony C. Alessandrini souligne qu’il s’agit de « l’un des ouvrages les plus minutieux sur la révolution algérienne », notamment pour ses analyses socio-culturelles de la société sous emprise française. Le livre est particulièrement remarqué pour sa capacité à montrer l’expérience traumatique du racisme et ses effets sur la société algérienne. Homi Bhabha y voit un penseur capable de saisir les interstices du changement historique, par-delà l’image réductrice d’un simple « prophète de la violence ».

Six mois après sa publication, le gouvernement français interdit l’ouvrage. Il faut attendre 1966 pour qu’il soit réédité par François Maspero sous le titre « Sociologie d’une révolution ». Cette censure n’empêche pas le livre d’exercer une influence considérable sur les mouvements de libération : Fidel Castro, Che Guevara, Huey Newton ou encore Paulo Freire s’en inspirent dans leurs propres luttes révolutionnaires.

Aux éditions LA DÉCOUVERTE ; 182 pages.


3. Les Damnés de la Terre (1961)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1961, alors que la guerre d’Algérie fait rage et que le mouvement de décolonisation secoue l’Afrique, Frantz Fanon livre une analyse magistrale des mécanismes du colonialisme et des voies de l’émancipation. L’ouvrage s’ouvre sur un examen de la violence, élément constitutif du système colonial. Le colonisateur maintient son emprise par la force brutale, déshumanisant systématiquement les populations locales qu’il considère comme inférieures. Cette violence engendre chez les colonisés une tension qui ne peut se résoudre que dans la lutte pour la libération.

Fanon décortique ensuite les différentes strates de la société colonisée. La bourgeoisie urbaine, éduquée à l’occidentale, cherche des compromis avec le pouvoir colonial. Les intellectuels oscillent entre assimilation et révolte. Dans les campagnes, les paysans et le lumpenproletariat constituent la force révolutionnaire la plus radicale, n’ayant « rien à perdre et tout à gagner ». Ces groupes s’opposent parfois, menaçant l’unité nécessaire au combat anticolonial.

Fanon s’attache particulièrement aux pièges qui guettent les mouvements de libération. Les partis nationalistes, dominés par la bourgeoisie urbaine, risquent de trahir les aspirations populaires. La culture nationale, si elle se réduit à la glorification d’un passé mythique, peut détourner les énergies de la lutte présente. Le dernier chapitre, nourri par l’expérience de psychiatre de l’auteur, décrit les pathologies mentales engendrées par la domination coloniale et la guerre, tant chez les colonisés que chez leurs oppresseurs.

À travers cet essai qui conjugue psychologie, politique et culture, Fanon pose une question cruciale : comment les peuples colonisés peuvent-ils conquérir non seulement leur indépendance politique, mais aussi leur véritable liberté ?

Autour du livre

Rédigé dans l’urgence par un homme qui se sait condamné par la leucémie, « Les Damnés de la Terre » naît dans un contexte de profonds bouleversements. En 1961, alors que la guerre d’Algérie fait rage, de nombreux territoires africains accèdent à l’indépendance. Frantz Fanon, qui a démissionné de son poste de psychiatre à l’hôpital de Blida pour rejoindre le Front de Libération Nationale algérien, puise dans son expérience clinique et militante pour élaborer une analyse radicale du fait colonial. Sa réflexion s’enracine notamment dans son observation des troubles psychologiques causés par la torture et les violences de guerre.

La force du texte réside dans sa capacité à articuler différents niveaux d’analyse. Fanon conjugue l’étude psychologique des effets de la domination coloniale avec une réflexion politique sur les conditions de l’émancipation. Il ne se contente pas de dénoncer l’oppression coloniale mais propose une véritable théorie de la révolution, attentive aux dynamiques sociales et aux rapports de force. Son analyse du rôle des paysans et du lumpenproletariat renouvelle la pensée marxiste traditionnelle, tandis que sa réflexion sur la culture nationale ouvre la voie aux études postcoloniales.

La publication du livre en 1961 suscite immédiatement la controverse. Interdit dès sa parution en France pour « atteinte à la sûreté de l’État », il bénéficie d’une préface retentissante de Jean-Paul Sartre qui, selon certains critiques, radicalise encore davantage le propos de Fanon sur la violence. Pour Jean Daniel de L’Express, il s’agit d’une « œuvre implacable, parfois irritante, toujours passionnante, exceptionnellement précieuse ». D’autres voix soulignent les limites de l’analyse, notamment sa vision parfois idéalisée du FLN ou sa sous-estimation du fait religieux dans la révolution algérienne.

L’influence des « Damnés de la terre » dépasse largement le contexte de sa publication. Le livre devient une référence majeure pour les mouvements de libération à travers le monde, des Black Panthers aux luttes anticoloniales africaines. Il est traduit en quinze langues et inspire notamment le réalisateur italien Valentino Orsini qui en tire un film en 1969. Bobby Seale, cofondateur des Black Panthers, le cite comme l’une de ses principales sources d’inspiration dans la création du parti. La pensée de Fanon influence également des intellectuels comme Edward Said, Michel Foucault ou Homi Bhabha, contribuant à façonner le champ des études postcoloniales.

Aux éditions LA DÉCOUVERTE ; 311 pages.


4. Pour la révolution africaine (1964)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans ce recueil d’essais politiques publiés en 1964, Frantz Fanon analyse sans concession le système colonial et la lutte pour l’indépendance des peuples africains. Sa réflexion se déploie dans cinq chapitres qui constituent les étapes d’une pensée en perpétuelle évolution.

Premier combat, celui du colonisé : Fanon met en lumière le syndrome nord-africain en France, les mécanismes du mépris, la déshumanisation systématique de l’immigré confronté au racisme institutionnel. En médecin, il décrit les pathologies engendrées par la domination coloniale dans les esprits et les corps.

Sa démonstration sur la relation fondamentale entre racisme et exploitation débouche sur le deuxième volet de l’ouvrage consacré à l’Algérie. Fanon y dissèque le système colonial français, décortique les méthodes de répression, analyse la torture comme instrument de domination. Il révèle comment cette violence s’inscrit dans la logique même de l’oppression coloniale.

Le troisième temps de sa réflexion élargit la perspective à l’échelle du continent africain : dénonçant les pièges du néocolonialisme, il appelle les peuples africains à s’unir dans la lutte pour leur libération totale. Les derniers chapitres sont marqués par l’espoir déçu de l’indépendance du Congo puis l’assassinat de Patrice Lumumba.

Dans ses ultimes écrits, Fanon met en garde contre les divisions qui menacent l’unité africaine et la complicité d’une partie des élites avec l’ancien colonisateur. Jusqu’au bout, il défend une vision de l’émancipation qui passe par la lutte armée et la transformation radicale des sociétés africaines.

Autour du livre

Ces essais politiques, publiés trois ans après la mort de Fanon, rassemblent des textes écrits pendant la période la plus active de sa vie. La plupart ont d’abord paru dans diverses revues et publications, notamment dans El Moudjahid, l’organe central du FLN. Leur regroupement chronologique retrace l’évolution de sa pensée et l’élargissement progressif de son combat, du racisme colonial à la lutte pour l’indépendance du continent africain. Un grand nombre de ces textes étaient à l’origine non signés, en particulier ceux publiés dans El Moudjahid, par mesure de sécurité mais aussi comme « expression de solidarité révolutionnaire ».

La particularité des essais de Fanon tient à leur double ancrage dans l’expérience directe du combat anticolonial et dans une réflexion théorique mature. Sa formation de psychiatre nourrit son analyse des effets psychologiques de la domination coloniale, tandis que son engagement au sein du FLN lui permet d’appréhender concrètement les enjeux de la lutte armée. Il développe ainsi une pensée qui associe étroitement libération nationale et transformation radicale de l’homme.

Les positions de Fanon sur la nécessité de la violence révolutionnaire et son rejet de toute forme de compromis avec le système colonial ont suscité de nombreuses réactions. Particulièrement influent dans le monde anglophone, ses écrits ont marqué les leaders du mouvement noir américain comme Stokely Carmichael, George Jackson ou Bobby Seale. Les critiques contemporains l’ont parfois comparé à Marx pour sa capacité à allier théorie révolutionnaire et analyse concrète des situations.

« Pour la révolution africaine » n’a pas été aussi unanimement salué que « Les Damnés de la Terre » ou « Peau noire, masques blancs », certains lui reprochant son caractère fragmentaire. Néanmoins, les critiques ont souligné l’excellence de l’écriture et la valeur des essais individuels. Son analyse des mécanismes du colonialisme et sa vision de l’unité africaine continuent d’éclairer les enjeux contemporains de l’émancipation des peuples.

Aux éditions LA DÉCOUVERTE ; 224 pages.


5. Écrits sur l’aliénation et la liberté (2015)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

« Écrits sur l’aliénation et la liberté » réunit des textes inédits du psychiatre et militant anticolonialiste Frantz Fanon, décédé à 36 ans en 1961. Le volume s’ouvre sur deux pièces de théâtre écrites en 1949, alors que Fanon étudie la médecine à Lyon. Dans « L’Œil se noie », Ginette se trouve tiraillée entre deux hommes aux visions opposées de l’existence : François, qui rejette les conventions sociales dans une quête mystique d’absolu, et Lucien, qui défend les valeurs traditionnelles et l’amour de la vie. Le texte sonde les profondeurs de l’aliénation individuelle à travers ce triangle amoureux aux résonances philosophiques.

La seconde pièce, « Les Mains parallèles », transpose ces questionnements dans une dimension politique. Dans la cité fictive de Lébos, le dirigeant Polyxos maintient sa population dans une obscurité perpétuelle, symbole d’un ordre social sclérosé. Son fils Épithalos, promis en mariage à Audaline pour perpétuer cet ordre, se révolte contre l’autorité paternelle. Sa rébellion déclenche une guerre civile dont l’enjeu dépasse la simple succession : c’est l’affrontement entre la lumière émancipatrice et les ténèbres de l’oppression.

La partie centrale du recueil rassemble les écrits psychiatriques de Fanon. Sa thèse de médecine sur l’hérédo-dégénérescence spino-cérébelleuse pose les bases d’une approche novatrice qui refuse de séparer le trouble mental de son contexte social. Les articles et éditoriaux qui suivent, rédigés dans les hôpitaux de Saint-Alban puis de Blida en Algérie, développent une psychiatrie institutionnelle révolutionnaire. Fanon y combat les pratiques punitives traditionnelles et prône une thérapie adaptée aux spécificités culturelles de ses patients, particulièrement les Musulmans nord-africains.

La partie politique regroupe ses articles pour El Moudjahid, journal du Front de Libération Nationale algérien. Ces textes démontrent comment sa pratique psychiatrique nourrit son engagement anticolonial : l’aliénation mentale et l’oppression coloniale s’y révèlent deux faces d’un même système déshumanisant qu’il faut combattre. Le volume se clôt sur des documents éditoriaux et l’inventaire de sa bibliothèque personnelle, témoignages des influences intellectuelles qui ont façonné sa pensée.

Autour du livre

La genèse de ce recueil remonte aux intentions de François Maspero qui, dès 1964, annonçait son projet de publier les notes cliniques du docteur Fanon et ses analyses sur « l’aliénation colonialiste vue au travers des maladies mentales ». Cinquante années auront été nécessaires pour que cette ambition se concrétise grâce au minutieux travail de collecte mené par Jean Khalfa et Robert Young. Le volume offre un éclairage inédit sur les fondements théoriques et pratiques de la pensée fanonienne, depuis ses tentatives théâtrales de jeunesse jusqu’à ses derniers textes politiques.

Les pièces de théâtre, rédigées alors que Fanon étudiait la médecine à Lyon, témoignent de sa fréquentation assidue du théâtre des Célestins où il découvrait Sartre, Camus et Claudel. L’influence majeure d’Aimé Césaire, son ancien professeur de philosophie à Fort-de-France, transparaît dans le style flamboyant et la dimension surréaliste de ces textes, particulièrement adaptée selon Robert Young pour « rendre compte du monde irrationnel et disjoint de la colonialité ».

La section psychiatrique constitue l’apport le plus significatif du recueil. Sa thèse de médecine marque déjà une rupture avec l’approche dominante en refusant de réduire l’homme à sa dimension biologique : « L’homme en tant qu’objet d’étude exige une investigation multidimensionnelle. » Les textes suivants documentent son parcours à l’hôpital Saint-Alban puis à Blida, où il développe une psychiatrie sociale et institutionnelle attentive aux spécificités culturelles. Sa célèbre lettre de démission adressée au ministre résident d’Algérie en 1956 illustre l’indissociabilité entre engagement thérapeutique et combat politique.

La critique a salué la publication de ces écrits comme un « véritable événement éditorial ». Pour la philosophe Judith Butler, ils permettent de repenser la chronologie intellectuelle de Fanon. Le chercheur Norman Ajari souligne qu’ils « se dressent sur la route de ceux qui […] tentent de le domestiquer ». La sociologue Sonia Dayan-Herzbrun note que ces textes renforcent paradoxalement « le mythe Fanon » tout en donnant à voir « l’homme réel ».

Aux éditions LA DÉCOUVERTE ; 832 pages.

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