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François Mauriac en 7 romans – Notre sélection

François Mauriac naît le 11 octobre 1885 à Bordeaux, dans une famille de la bourgeoisie. Orphelin de père à vingt mois, il grandit entouré de sa mère très pieuse, de sa grand-mère et de son oncle. Son enfance et son adolescence sont marquées par plusieurs lieux girondins qui imprègneront plus tard son œuvre : Bordeaux, Gradignan, les Landes de Gascogne, Saint-Symphorien.

Après ses études à Bordeaux, il s’installe à Paris en 1907 pour préparer l’École des chartes qu’il abandonne rapidement au profit de l’écriture. En 1913, il épouse Jeanne Lafon avec qui il aura quatre enfants. Sa carrière littéraire démarre véritablement dans les années 1920 avec des romans comme « Le Baiser au lépreux » et « Le Désert de l’amour », ce dernier remportant le Grand prix du roman de l’Académie française en 1926.

Son œuvre romanesque, marquée par l’analyse des passions et la critique de la bourgeoisie provinciale, lui ouvre les portes de l’Académie française en 1933. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’engage dans la Résistance et publie clandestinement sous le pseudonyme de Forez. Dans l’après-guerre, il devient une figure majeure de la vie intellectuelle française, s’exprimant notamment à travers son célèbre « Bloc-notes » dans L’Express puis Le Figaro.

En 1952, son œuvre est couronnée par le Prix Nobel de littérature. Catholique engagé, il prend position sur les grands débats de son temps, notamment la décolonisation, et apporte son soutien au général de Gaulle sous la Ve République. Il continue à écrire jusqu’à la fin de sa vie, publiant son dernier roman, « Un adolescent d’autrefois », en 1969. François Mauriac s’éteint le 1er septembre 1970 à Paris.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Le Baiser au lépreux (1922)

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Résumé

Dans les Landes du début du XXe siècle, Jean Péloueyre, un jeune homme de vingt-trois ans issu d’une famille aisée mais affligé d’une laideur repoussante, vit reclus avec son père hypocondriaque. Pour éviter que l’héritage familial ne tombe entre les mains de parents anticléricaux, le curé du village arrange un mariage avec Noémi d’Artiailh, une ravissante jeune fille de dix-sept ans issue d’une famille désargentée. « On ne refuse pas un fils Péloueyre », et Noémi se plie à cette union.

Conscient du dégoût qu’il inspire à son épouse malgré ses efforts pour le dissimuler, Jean s’efface progressivement de leur vie commune, partant chasser dès l’aube pour ne rentrer que tard le soir. Sur les conseils du curé, il s’exile même à Paris sous prétexte de recherches bibliographiques. À son retour, il découvre une Noémi transfigurée par son absence, tandis que lui-même revient plus délabré que jamais.

Pour mettre fin au calvaire de son épouse, il choisit de s’exposer délibérément à la tuberculose au chevet d’un ami malade. Noémi, touchée par ce sacrifice, commence à éprouver de véritables sentiments pour son mari, mais il est trop tard. Après la mort de Jean, elle repousse les avances du jeune médecin qui soignait son époux et s’enferme dans un deuil perpétuel.

Autour du livre

François Mauriac compose « Le Baiser au lépreux » pendant l’été 1921 dans la maison familiale de Saint-Symphorien. Le titre initial, « Dormir plutôt que vivre », devient brièvement « Péloueyre » avant que Bernard Grasset ne suggère une référence à la vie de François d’Assise. La première version, rédigée à la première personne, comportait plusieurs personnages secondaires qui nourriront plus tard d’autres romans de Mauriac, notamment « Le Fleuve de feu » (1922) et « Genitrix » (1923).

Premier succès public de Mauriac, avec plus de 18 000 exemplaires vendus en quelques mois, « Le Baiser au lépreux » marque sensiblement la littérature française des années 1920. Le roman scandalise par sa description implacable d’un mariage arrangé qui broie ses protagonistes, tout en établissant les thèmes qui caractériseront l’œuvre de Mauriac : l’emprise de la religion, les convenances sociales étouffantes, le poids de l’argent dans la société bourgeoise provinciale.

La force du récit réside dans l’opposition entre la laideur physique et la beauté morale, incarnée par le sacrifice de Jean. Le titre fait écho au geste de Saint François d’Assise embrassant les lépreux par amour du Christ, parallèle avec Noémi qui finit par transcender son dégoût physique pour découvrir la grandeur d’âme de son mari. Cette dimension christique du sacrifice transforme ce qui aurait pu n’être qu’une histoire sordide en une méditation sur la rédemption par l’amour.

L’écriture de Mauriac, concise et évocatrice, traduit la tension érotique qui sous-tend le récit. Les scènes d’intimité conjugale, suggérées plutôt que décrites, révèlent la sensualité réprimée des personnages. La nature landaise, omniprésente, reflète leurs tourments : les pins gémissants sous le vent d’équinoxe font écho aux souffrances muettes du couple.

Les critiques littéraires ont salué la maîtrise de Mauriac dans ce texte qui marque sa maturité d’écrivain. Certains y ont vu des résonances avec Maupassant dans sa dissection psychologique impitoyable, d’autres ont souligné la parenté avec Zola pour sa description d’un monde paysan déshumanisé par l’argent. La dimension autobiographique n’a pas échappé aux observateurs, qui ont noté comment Mauriac, lui-même peu avantagé physiquement, avait peut-être puisé dans ses propres complexes de jeunesse pour nourrir le personnage de Jean Péloueyre.

En 1979, André Michel a réalisé une adaptation télévisée du roman avec Nathalie Juvet dans le rôle de Noémi, Michel Caccia incarnant Jean Péloueyre, Georges Goubert jouant Jérôme, et Paul Le Person interprétant le curé.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 187 pages.


2. Genitrix (1923)

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Résumé

Dans une imposante demeure bordelaise de l’époque Second Empire située près de la gare de Langon, Félicité Cazenave règne en maîtresse absolue sur son fils Fernand, cinquante ans. L’arrivée de Mathilde, que Fernand épouse tardivement, bouleverse l’équilibre de cette relation malsaine.

Dès les premières pages, Mathilde agonise des suites d’une fausse couche, délaissée par son mari qui a déjà regagné sa chambre d’enfant attenante à celle de sa mère. Sa belle-mère Félicité, qui la déteste depuis son mariage, se réjouit secrètement de cette mort imminente qui lui permettra de récupérer l’exclusivité de l’affection de son fils. Mais le décès de Mathilde produit l’effet inverse : Fernand prend conscience de ses sentiments pour elle et se retourne contre sa mère qu’il tient pour responsable du drame.

S’engage alors une lutte psychologique impitoyable entre la mère et le fils, jusqu’à ce que Félicité succombe à une attaque cérébrale qui la laisse paralysée avant de l’emporter quelques mois plus tard. Seul avec la vieille servante Marie de Lados, Fernand sombre dans une existence vide de sens.

Autour du livre

François Mauriac achève l’écriture de « Genitrix » le 23 septembre 1923 dans sa ville de Saint-Symphorien. Les personnages de Félicité et Fernand Cazenave trouvent leurs origines dans la famille Péloueyre du « Baiser au lépreux », dont l’auteur avait supprimé des pages qui serviront de trame à la construction de ce nouveau roman durant le printemps et l’été 1923. Le décor s’inspire directement des lieux de l’enfance de Mauriac, notamment cette maison bordelaise construite à proximité de la gare pour faciliter l’exploitation du commerce familial de bois.

La force du récit réside dans sa capacité à disséquer les mécanismes d’une relation toxique entre une mère et son fils. L’emprise maternelle s’incarne dans des scènes d’une précision clinique, comme ces repas où Félicité se force à manger pour que son fils l’imite. La surveillance constante qu’elle exerce sur lui prend des proportions démesurées : elle fait même installer des estrades dans chaque pièce pour suivre ses moindres mouvements dans le parc. Mauriac dépeint avec une acuité remarquable les différentes phases que traversent les protagonistes, l’une pour tenter de reconquérir l’amour filial, l’autre pour s’en délivrer.

Le drame se joue dans un huis clos étouffant, au sein d’une propriété « ceinte de murs et enserrée si étroitement d’arbres qu’il semble que les êtres qui y vivent n’aient aucune autre communication qu’entre eux ou avec le ciel. » La maison elle-même devient un personnage dont le corps « frémit » au passage des trains, seuls témoins du monde extérieur. Cette atmosphère confinée reflète parfaitement l’univers mental des personnages, prisonniers de leurs obsessions et de leurs névroses.

La critique de l’époque salue dans « Genitrix » un chef-d’œuvre de noirceur et d’analyse psychologique. Selon les propres mots de Mauriac, ce roman lui « apporte la célébrité ». Il le considère comme celui « qui a eu le plus de portée » et le place en 1937 parmi ses œuvres préférées. Les critiques soulignent particulièrement l’habileté avec laquelle il dépeint la bourgeoisie terrienne du Bordelais, ses codes rigides et ses drames intimes.

En 1973, Paul Paviot adapte « Genitrix » pour la télévision avec Maria Meriko dans le rôle de Félicité, Michel Auclair dans celui de Fernand, Monique Lejeune incarnant Mathilde et Germaine Ledoyen dans le rôle de Marie de Lados. Plus récemment, en 2007, le compositeur Laszlo Tihanyi crée à Bordeaux un opéra intitulé « Félicité », adaptation qui met particulièrement l’accent sur la représentation des corps dans un décor épuré.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 125 pages.


3. Le Désert de l’amour (1925)

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Résumé

Dans un club parisien des années 1920, Raymond Courrèges, âgé de trente-sept ans, reconnaît Maria Cross, une femme qu’il n’a pas revue depuis dix-sept ans. Cette rencontre fortuite fait resurgir les souvenirs de son adolescence à Bordeaux et de sa passion dévorante pour cette femme d’une dizaine d’années son aînée. À l’époque, Raymond, lycéen bourru et dissipé, croise quotidiennement Maria dans le tramway reliant Bordeaux à Talence. Sous son regard, il se métamorphose progressivement, jusqu’au jour où une tentative de séduction maladroite se solde par une humiliation cinglante. Cette blessure le marquera durablement, conditionnant ses futures relations avec les femmes.

Ce que Raymond ignore alors, c’est que son père, le docteur Paul Courrèges, médecin dévoué mais distant avec sa famille, nourrit lui aussi une passion secrète pour Maria Cross. Après avoir soigné son fils François, mort depuis, le docteur devient son confident, sans jamais oser lui avouer ses sentiments. Maria, quant à elle, vit sous la protection de Victor Larousselle, un riche industriel qu’elle finira par épouser. À travers ces destins croisés se dessine le portrait d’êtres prisonniers de leurs désirs inassouvis, incapables de communiquer véritablement.

Autour du livre

François Mauriac compose ce roman entre janvier et septembre 1924. D’abord publié en feuilleton dans la Revue de Paris, il paraît en volume chez Grasset en 1925 et reçoit le Grand prix du roman de l’Académie française l’année suivante. Il s’inscrit dans la lignée du « Fleuve de feu » et du « Baiser au lépreux », dont il reprend et développe certains personnages.

Le mythe de Phèdre irrigue subtilement la trame narrative : Maria Cross incarne une figure phédrienne, partagée entre le père (Thésée) et le fils (Hippolyte). Cette résonance mythologique confère au récit une dimension tragique qui transcende le cadre de la bourgeoisie bordelaise. Mauriac y dépeint avec acuité l’univers provincial, ses conventions étouffantes et l’impossibilité de toute communication authentique entre les êtres.

La solitude constitue le véritable sujet du roman. Les personnages évoluent dans un « désert » affectif où les sentiments, même les plus ardents, ne parviennent jamais à créer de véritables ponts entre les êtres. Comme le confiera plus tard Mauriac : « Le désert de l’amour, c’est le roman de mon renoncement. Ce pourrait être le titre de mon œuvre entière. » Cette thématique du renoncement s’incarne particulièrement dans la relation père-fils, marquée par une incommunicabilité douloureuse que seule la reconnaissance d’une souffrance partagée permettra partiellement de dépasser.

François Mitterrand y voyait l’une des œuvres majeures de Mauriac, louant sa capacité à transcender le régionalisme pour atteindre l’universel. Les critiques contemporains soulignent la modernité de son analyse psychologique, notamment dans sa description des mécanismes du désir et des rapports de force familiaux.

Deux adaptations télévisées ont été réalisées : la première par Pierre Cardinal, avec Pierre Dux et Christiane Minazzoli, la seconde par Jean-Daniel Verhaeghe, diffusée sur France 3 le 18 février 2012.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 256 pages.


4. Thérèse Desqueyroux (1927)

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Résumé

« Thérèse Desqueyroux » se déroule dans les Landes, une région du sud-ouest de la France dominée par les forêts de pins. Le récit s’ouvre sur la sortie de Thérèse du palais de justice, où une ordonnance de non-lieu vient d’être prononcée. Elle ne sera pas poursuivie pour avoir tenté d’empoisonner son mari Bernard avec une solution de Fowler contenant de l’arsenic.

Durant le trajet nocturne qui la ramène à Argelouse, Thérèse médite sur son passé et prépare mentalement la confession qu’elle adressera à Bernard. Son mari, soucieux des apparences et de protéger le mariage imminent de sa sœur Anne, décide de la séquestrer dans leur propriété d’Argelouse. Privée de sa fille et surveillée par des domestiques hostiles, Thérèse sombre dans une léthargie où se mêlent vin et cigarettes.

Ce n’est qu’après le mariage d’Anne que Bernard consent à lui rendre sa liberté, l’accompagnant jusqu’à Paris où il l’abandonne à son sort, munie d’une pension pour subsister.

Autour du livre

La narration, qui alterne entre monologue intérieur et récit factuel, dévoile la complexité psychologique d’une femme étouffée par les conventions bourgeoises. L’essence de son destin se cristallise dans cette métaphore : « Matinées trop bleues : mauvais signe pour le temps de l’après-midi et du soir. Elles annoncent les parterres saccagés, les branches rompues et toute cette boue. » Le geste criminel de Thérèse survient presque mécaniquement, sans passion ni haine, ce qui accentue son caractère monstrueux.

François Mauriac puise son inspiration dans l’affaire Canaby de 1906, où une femme de la bourgeoisie bordelaise fut accusée d’avoir tenté d’empoisonner son mari. La similitude des situations – une épouse qui empoisonne son conjoint, un mari qui témoigne en sa faveur pour préserver les apparences – témoigne de l’ancrage du roman dans la réalité sociale de l’époque.

Le personnage de Thérèse, qui fascine tant qu’il dérange, poursuit son existence littéraire par-delà le roman initial. Mauriac lui consacre trois nouvelles en forme d’épilogues : « Thérèse chez le docteur » (1933), « Thérèse à l’hôtel » (1933) et « La Fin de la nuit » (1935), qui dévoilent son devenir dix à quinze ans après les événements du roman originel.

La critique accueille l’œuvre avec enthousiasme. En 1950, « Thérèse Desqueyroux » est sélectionné parmi les douze meilleurs romans français de la première moitié du XXe siècle par le jury du Grand Prix des Meilleurs romans du demi-siècle, présidé par Colette. Jean-Paul Sartre, en revanche, formule une critique acerbe en 1939, reprochant à Mauriac de nier le libre arbitre de ses personnages et de leur imposer, tel un démiurge, leur destin et leur jugement moral.

Georges Franju le porte au cinéma en 1962 avec Emmanuelle Riva dans le rôle-titre. Cette dernière reprend le personnage en 1966 dans le téléfilm « La fin de la nuit » d’Albert Riéra. Claude Miller signe une nouvelle adaptation en 2012 avec Audrey Tautou. En 2015, Nicole Garcia incarne Thérèse dans une adaptation télévisuelle de « La fin de la nuit » réalisée par Lucas Belvaux.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 190 pages.


5. Le Nœud de vipères (1932)

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Résumé

Dans la région bordelaise des années 1930, Louis, un avocat de 68 ans au crépuscule de sa vie, entreprend la rédaction d’une longue lettre-confession destinée à son épouse Isabelle (Isa). Ce document, d’abord conçu comme une ultime vengeance envers une famille qu’il exècre, se transforme peu à peu en journal intime. Louis y déverse sa haine tenace contre sa femme, qu’il accuse de ne l’avoir épousé que par intérêt, et contre leurs enfants Hubert et Geneviève qu’il soupçonne de convoiter son héritage.

Déterminé à les punir, il élabore un stratagème pour léguer sa fortune à son fils illégitime Robert. Mais le destin déjoue ses plans : Isa meurt avant lui. Cette disparition inattendue bouleverse profondément Louis et provoque chez lui une remise en question radicale. Dans la solitude de ses derniers jours, seule sa petite-fille Janine parvient à percer sa carapace. Le vieil homme meurt sur un dernier mot inachevé « ador… », comme une ultime tentative de rédemption.

Autour du livre

La structure narrative du « Nœud de vipères » s’articule sur deux principaux mouvements qui marquent l’évolution psychologique du protagoniste. La première partie dépeint un homme rongé par l’aigreur, prisonnier de son obsession pour l’argent et de sa paranoïa. Louis s’y révèle un être complexe : malgré sa nature solitaire et misanthrope, il garde en lui le souvenir lumineux de trois êtres disparus qu’il a sincèrement aimés – sa fille Marie, morte à dix ans, son neveu Luc, tué pendant la guerre, et Marinette, la sœur d’Isa. Le second mouvement s’amorce après la mort d’Isabelle : Louis traverse alors une profonde transformation intérieure. Sa confession prend une nouvelle dimension, moins vindicative, plus introspective. Il commence à questionner ses certitudes et s’ouvre progressivement à la possibilité d’une rédemption, notamment grâce à sa relation avec sa petite-fille Janine.

François Mauriac dresse une satire musclée de la bourgeoisie provinciale catholique, critiquant son hypocrisie et son formalisme religieux vide de sens. Le titre du roman revient à cinq reprises dans la narration, toujours à des moments charnières. L’image du nœud de vipères symbolise tantôt la famille de Louis, tantôt son propre cœur empoisonné par la haine. Cette métaphore puissante illustre l’enchevêtrement des sentiments contradictoires qui habitent le protagoniste : haine et amour, avarice et générosité, mépris et désir de reconnaissance.

Le thème de l’incommunicabilité traverse les pages : Louis et Isa vivent côte à côte pendant des décennies sans jamais réussir à se comprendre. Leur mariage, fondé sur un malentendu initial – un soupir d’Isa évoquant un amour passé -, devient le théâtre d’une guerre silencieuse où chacun s’enferme dans ses certitudes. La question de l’héritage cristallise les tensions familiales et révèle la cupidité qui gangrène les relations entre les personnages.

Albert Thibaudet considérait « Le Nœud de vipères » comme le chef-d’œuvre de Mauriac. Sándor Márai, dans son journal, souligne la maestria avec laquelle il dépeint l’avarice comme « réflexe » et décrit la maladie qui ronge les nerfs de la bourgeoisie française « comme la syphilis ».

Le roman a fait l’objet de deux adaptations télévisées : en 1971 par Serge Moati dans la collection « Les Cent Livres », puis en 1980 par Jacques Trébouta, avec Pierre Dux et Suzanne Flon dans les rôles principaux.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 287 pages.


6. Le Mystère Frontenac (1933)

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Résumé

Dans la région bordelaise des années 1910, la famille Frontenac perpétue une tradition bourgeoise solidement ancrée. Depuis la mort de son mari, Blanche Frontenac consacre son existence à ses cinq enfants – trois garçons et deux filles. L’oncle paternel Xavier, resté célibataire, veille sur la famille et gère leur patrimoine, notamment une lucrative exploitation de bois.

L’histoire se noue autour des choix de vie des trois fils. Jean-Louis, l’aîné brillant qui rêve d’enseigner la philosophie, subit les pressions familiales pour reprendre l’entreprise. Yves, le plus jeune, nourrit des ambitions littéraires que son frère aîné encourage secrètement en envoyant ses poèmes au Mercure de France. José, le cadet impétueux, peine à trouver sa place. Chacun doit choisir entre ses propres aspirations et les devoirs qu’impose le nom Frontenac.

Le conflit entre vocation individuelle et obligations familiales atteint son paroxysme quand Jean-Louis sacrifie ses ambitions universitaires pour diriger l’entreprise, permettant ainsi à Yves de poursuivre sa carrière littéraire à Paris. La mort successive de Blanche, puis de l’oncle Xavier, précède l’ultime épreuve : la Grande Guerre qui emportera José. Au fil du récit se dessine ce « mystère Frontenac » : une force invisible qui soude cette famille malgré les épreuves, les renoncements et les déchirements.

Autour du livre

Le livre prend naissance durant l’été 1932, alors que François Mauriac se remet d’une épreuve particulièrement difficile : l’opération d’un cancer du pharynx en mars de la même année. Convalescent à Font-Romeu et se considérant « en sursis », l’écrivain décide de composer ce qu’il qualifiera lui-même de « mémoires imaginaires ». « Le Mystère Frontenac » paraît d’abord en feuilleton dans la Revue de Paris, entre décembre 1932 et février 1933, avant d’être publiée intégralement chez Grasset.

Les critiques soulignent la singularité de ce roman dans l’œuvre mauriacienne. Contrairement au « Nœud de vipères » ou à « Thérèse Desqueyroux » où la famille représente un carcan délétère, « Le Mystère Frontenac » se lit comme un hymne aux liens du sang. Le titre fait référence à cette alchimie familiale mystérieuse qui unit les membres de la fratrie, une force que Mauriac décrit comme « un rayon de l’éternel amour réfracté à travers une race ». Cette communion spirituelle se manifeste particulièrement dans la relation entre Jean-Louis et Yves, reflet de celle qui unissait leur père Michel et leur oncle Xavier.

L’autobiographie transparaît en filigrane : comme Blanche Frontenac, Claire Mauriac a élevé seule ses cinq enfants après son veuvage. Le personnage d’Yves, avec « sa petite figure mince », ses « grandes oreilles » et sa « paupière gauche tombante », constitue un autoportrait à peine voilé de l’auteur. La propriété de Bourideys évoque le domaine familial où Mauriac passa ses étés, imprégné des odeurs de pins et du bourdonnement des cigales.

La réception du roman par la famille Mauriac s’avère mitigée. Les frères et sœur de l’écrivain contestent cette vision idéalisée de leur enfance : Geneviève lui reproche d’avoir dévoilé des secrets familiaux, Jean désapprouve la critique des patrons sociaux, Pierre s’étonne du manque d’indulgence envers leur mère, tandis que Raymond réfute cette représentation trop harmonieuse de leur vie familiale.

Les critiques littéraires contemporains reconnaissent majoritairement la puissance évocatrice de l’œuvre. Michel Suffran et Anne Wiazemski soulignent notamment la manière dont Mauriac parvient à saisir l’essence de l’adolescence, ce moment où tous les possibles demeurent ouverts.

« Le Mystère Frontenac » a fait l’objet d’une adaptation télévisuelle en 1975 par Maurice Frydland.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 192 pages.


7. Le Sagouin (1951)

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Résumé

Dans une petite commune du Sud-Ouest français, au début des années 1920, Paule Meulière regrette amèrement son mariage avec le baron Galéas de Cernès. Issue de la bourgeoisie bordelaise, elle n’a épousé cet aristocrate simple d’esprit que pour son titre nobiliaire. De cette union est né Guillaume, dit Guillou, un garçon malingre que sa mère méprise tant qu’elle le surnomme « le sagouin ». L’enfant, considéré comme attardé, vit entre un père silencieux qui s’occupe du cimetière, une mère qui le maltraite psychologiquement, et une grand-mère baronne qui n’a jamais digéré la mésalliance de son fils.

Renvoyé successivement de deux pensionnats religieux, Guillou ne peut fréquenter l’école communale en raison de son rang. La baronne, puis Paule, sollicitent alors Robert Bordas, l’instituteur du village, pour qu’il donne des cours particuliers à l’enfant. Lors d’une première rencontre, Guillou montre une sensibilité et une intelligence que personne ne lui soupçonnait, notamment à travers sa lecture passionnée de « L’Île mystérieuse ». Mais l’instituteur, fervent militant socialiste, refuse finalement de poursuivre l’éducation de ce fils de noble. Cette ultime humiliation pousse père et fils vers un destin tragique au bord de la rivière Ciron.

Autour du livre

Ce court roman publié en 1951 est emblématique de l’univers mauriacien. La lutte des classes s’y manifeste avec une âpreté singulière, opposant la noblesse déchue des Cernès aux idéaux socialistes de l’instituteur. Les personnages, prisonniers de leurs préjugés et de leurs ambitions déçues, évoluent dans une atmosphère suffocante où la haine tient lieu de sentiment dominant. Mauriac y dresse le portrait d’une société sclérosée où les enfants paient le prix des erreurs et des frustrations de leurs parents.

L’originalité du récit réside notamment dans sa construction psychologique complexe qui transcende la simple opposition entre bourreaux et victimes. Même Paule, figure maternelle monstrueuse qui martyrise son fils, se révèle elle-même victime de ses illusions perdues et de son mariage raté. La baronne, en apparence protectrice de son petit-fils, ne voit en lui qu’un pion dans sa guerre contre sa belle-fille. Quant à l’instituteur Bordas, son refus idéologique d’aider Guillou fait de lui le complice involontaire d’une tragédie annoncée.

Le roman soulève également la question de la transmission et de l’éducation dans une société divisée. L’échec de Guillou dans les pensionnats religieux, puis le rejet de l’école laïque symbolisée par Bordas, illustrent l’impossibilité pour certains êtres de trouver leur place dans un système social rigide. La scène où l’enfant découvre les livres chez l’instituteur, particulièrement la lecture de « L’Île mystérieuse », constitue un moment de grâce tragique qui ne fait que souligner davantage la cruauté de son destin.

La critique de l’époque salue unanimement ce texte que Robert Kemp qualifie de « sombre et parfaite nouvelle ». Les commentateurs soulignent la densité remarquable du récit qui, en à peine plus d’une centaine de pages, parvient à déployer une trame narrative d’une rare intensité émotionnelle. La sobriété des moyens utilisés et l’art consommé de la narration sont particulièrement loués.

« Le Sagouin » fait l’objet d’une adaptation télévisée en 1972 par Serge Moati, avec Gilles Laurent dans le rôle de Guillou, Malka Ribowska incarnant Paule de Cernès, et Henri Virlogeux prêtant ses traits à Galéas de Cernès.

Aux éditions POCKET ; 139 pages.

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