Erri De Luca est un écrivain, poète et traducteur italien né à Naples le 20 mai 1950. Issu d’une famille bourgeoise ruinée par la guerre, il grandit dans le quartier populaire de Montedidio. En 1968, à 18 ans, il rompt avec sa famille et s’engage dans le mouvement d’extrême gauche Lotta Continua, dont il devient l’un des dirigeants.
Après la dissolution du mouvement en 1977, il mène pendant près de 20 ans une vie d’ouvrier itinérant, travaillant notamment chez Fiat à Turin, sur des chantiers en France et en Afrique. Pendant la guerre de Bosnie (1992-1995), il conduit des convois humanitaires.
Bien qu’athée, il lit quotidiennement la Bible et apprend l’hébreu ancien pour traduire les textes sacrés. Son premier roman « Non ora, non qui » (« Une fois, un jour ») paraît en 1989. Il obtient le prix Femina étranger en 2002 pour « Montedidio » et le prix européen de littérature en 2013.
Alpiniste confirmé, il a notamment parcouru les massifs de l’Himalaya. En 2015, il est poursuivi en justice pour incitation au sabotage du chantier de la ligne TGV Lyon-Turin, avant d’être relaxé. Ses romans, souvent inspirés par son enfance napolitaine, se caractérisent par une écriture poétique et une dimension à la fois sociale et spirituelle.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Montedidio (2001)
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Dans le Naples populaire des années 1960, un jeune garçon de treize ans quitte l’école pour devenir apprenti menuisier. Son père, docker illettré, lui a offert un boomerang qu’il s’exerce à lancer sans cesse, tandis que sa mère se meurt lentement à l’hôpital. Dans l’atelier où il travaille, il rencontre Rafaniello, un cordonnier juif rescapé de la Shoah, qui répare gratuitement les chaussures des plus pauvres et arbore une mystérieuse bosse dans laquelle, dit-il, poussent des ailes qui l’emmèneront un jour à Jérusalem.
Sur les hauteurs du quartier Montedidio – la montagne de Dieu – l’adolescent découvre l’amour avec Maria, sa jeune voisine que le propriétaire de l’immeuble tente d’abuser. Entre ses journées de travail, ses entraînements nocturnes au boomerang et ses rendez-vous avec Maria, le garçon note sur un rouleau de papier ses observations du monde qui l’entoure, utilisant l’italien appris à l’école plutôt que le dialecte napolitain de ses parents.
Les courtes séquences qui composent le récit distillent une poésie brute, sans artifices. Le texte mêle le réalisme social âpre du Naples d’après-guerre et une dimension presque magique portée par le boomerang et les ailes de Rafaniello. Prix Femina étranger 2002, ce roman initiatique transcende les clichés sur l’Italie pour atteindre une vérité universelle sur le passage à l’âge adulte.
Aux éditions FOLIO ; 240 pages.
2. Le poids du papillon (2009)
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Dans une vallée reculée des Alpes italiennes vit un chamois d’exception. Plus grand et plus fort que ses congénères, il dirige sa harde d’une patte de maître depuis vingt ans. L’automne venu, il sent pourtant que sa suprématie vacille. Ses muscles ne répondent plus comme avant, et les jeunes mâles le regardent différemment, prêts à le défier pour prendre sa place.
Un homme observe ce roi déchu depuis sa cabane perchée dans la montagne. Ancien révolutionnaire devenu braconnier, il a choisi la solitude des sommets plutôt que la compagnie des hommes. À l’approche de ses soixante ans, une seule obsession l’habite encore : tuer ce chamois légendaire qui lui échappe depuis si longtemps, cet animal qui a vu sa mère tomber sous ses balles et qui, depuis, déjoue toutes ses tentatives. Entre ces deux êtres vieillissants se joue une dernière partie d’échecs.
Ce court récit transforme une simple histoire de chasse en méditation sur le temps qui passe. Les phrases courtes claquent comme des coups de feu dans le silence de la montagne, portées par une écriture épurée qui trouve le mot juste sans artifice. Un papillon blanc traverse l’histoire comme un fil conducteur, symbole de la fragilité de l’existence.
Aux éditions FOLIO ; 96 pages.
3. Impossible (2019)
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Dans les Dolomites italiennes, un alpiniste chevronné découvre un corps au fond d’un ravin et alerte les secours. Le mort n’est pas un inconnu : quarante ans plus tôt, tous deux militaient dans la même organisation révolutionnaire, jusqu’au jour où la victime a dénoncé ses camarades à la police. Le témoin s’est retrouvé derrière les barreaux pendant des années.
Un jeune magistrat refuse de croire à la coïncidence. Pour lui, cette rencontre sur un sentier escarpé ne peut être que préméditée. Il place le suspect en détention et l’interroge sans relâche. S’engage alors un duel psychologique entre deux hommes que tout oppose : l’un incarne la justice institutionnelle, l’autre a combattu l’État pendant sa jeunesse. Le vieil homme nie farouchement toute responsabilité.
Entre les séances d’interrogatoire, le détenu écrit des lettres d’amour à sa compagne depuis sa cellule. Ces missives jamais envoyées révèlent la profondeur de sa réflexion sur l’engagement politique, la trahison et la justice. Le texte résonne avec le propre passé d’Erri de Luca, ancien militant de « Lotta Continua » dans les années 1970. Les joutes oratoires entre le magistrat et son prisonnier construisent une tension dramatique qui culminera dans un dénouement inattendu.
Aux éditions FOLIO ; 176 pages.
4. Tu, mio (1998)
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Dans l’Italie des années 1950, un adolescent de seize ans passe l’été sur l’île d’Ischia, au large de Naples. Loin de la ville, il aide son oncle à la pêche et apprend les gestes patients du métier aux côtés de Nicola, un marin taciturne. Le jeune homme fuit les adolescents de son âge et préfère la compagnie des adultes, cherchant à comprendre cette guerre encore si proche dont personne ne veut parler. Les Allemands reviennent en touristes sur l’île, les Américains occupent toujours Naples.
Sa vie bascule quand il rencontre Caia, une jeune fille mystérieuse qui dit venir de Roumanie. Il découvre bientôt qu’elle s’appelle en réalité Hàiele – un prénom yiddish – et qu’elle est une rescapée juive, orpheline de ses parents disparus dans les camps. Entre eux naît une relation singulière : elle retrouve en lui les gestes et les expressions de son père disparu. Le garçon devient alors son protecteur, habité par une colère grandissante envers les bourreaux du passé qui se pavanent aujourd’hui sur les plages.
« Tu, mio » révèle les plaies encore vives de l’après-guerre dans l’Italie des années 1950. Sur une île du golfe de Naples, le récit entrelace l’éveil amoureux d’un adolescent avec la découverte brutale de l’Histoire. Face au silence des adultes sur leur passé pendant la guerre, cette quête de vérité se heurte aux non-dits et aux blessures enfouies. La présence des touristes allemands sur l’île déclenche une tension sourde qui monte crescendo jusqu’à l’explosion finale. L’écriture de De Luca mêle la sensualité de l’été méditerranéen – le sel sur la peau, la rudesse des cordes de pêche, l’odeur du poisson – à la gravité du propos.
Aux éditions FOLIO ; 144 pages.
5. Trois chevaux (2000)
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Au début des années 1980, un homme d’une cinquantaine d’années travaille comme jardinier dans le sud de l’Italie. Solitaire, il passe ses journées entre la terre qu’il cultive et les vieux livres qu’il lit au bistrot. Sa rencontre avec Làila, une jeune prostituée qui lui donne son numéro de téléphone, bouleverse son existence. Leur différence d’âge n’empêche pas la naissance d’un amour profond, mais cette relation fait ressurgir un passé qu’il tentait d’oublier.
Vingt ans plus tôt, cet homme avait tout quitté pour suivre Dvora, une Argentine dont il était éperdument amoureux. Dans un pays écrasé par la junte militaire, il l’avait vue mourir, jetée à la mer depuis un hélicoptère pour son engagement dans la résistance. Traqué à son tour, il s’était enfui jusqu’aux Malouines avant de regagner l’Italie. Alors qu’il pensait avoir trouvé la paix dans son jardin, le danger resurgit : Làila est menacée de mort par son proxénète.
Dans ce texte où les mots semblent pesés au trébuchet, la sobriété atteint une intensité rare. Le quotidien du jardinier – ses gestes précis, sa façon de toucher la terre ou de froisser les feuilles de basilic – prend une dimension quasi mystique. Le temps se distord : le présent et le passé se télescopent sans prévenir, comme des fragments de mémoire qui refusent de s’ordonner. La violence politique de l’Argentine et la brutalité des relations humaines contrastent avec la délicatesse des descriptions sensorielles. Cette tension permanente culmine dans la métaphore des trois chevaux, qui donne son titre au roman et structure le récit comme un compte à rebours implacable vers une fin inéluctable.
Aux éditions FOLIO ; 138 pages.
6. Les règles du Mikado (2023)
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Dans les montagnes à la frontière italo-slovène, un vieil horloger solitaire campe sous sa tente en plein hiver. Une nuit, une jeune gitane de quinze ans fait irruption dans son abri. Elle fuit sa communauté et un mariage forcé avec un homme de cinquante ans. Son père la poursuit, prêt à la tuer pour laver l’honneur de la famille. L’horloger décide de la protéger.
Entre ces deux êtres que tout sépare naît une relation singulière. Lui interprète le monde à travers les règles du Mikado, ce jeu d’adresse qui exige patience et précision. Elle lit dans les lignes de la main et sait apprivoiser les ours. Il l’aide à trouver refuge auprès d’un pêcheur, lui apprend à lire et écrire. Pendant des années, ils s’écrivent des lettres jusqu’au jour où la correspondance s’arrête.
La construction du texte surprend et déstabilise : d’abord un long dialogue théâtral entre les deux personnages, puis des lettres qui révèlent peu à peu leurs secrets. Le dénouement bouleverse toutes les certitudes établies dans la première partie. La sobriété de l’écriture, dépouillée jusqu’à l’os, tranche avec l’intensité des émotions qui circulent entre les personnages. Les cent soixante pages se lisent d’une traite, portées par cette tension entre retenue et profondeur.
Aux éditions GALLIMARD ; 160 pages.
7. Le jour avant le bonheur (2009)
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Dans le Naples populaire de l’après-guerre, un jeune orphelin grandit sous la protection bienveillante de don Gaetano, le concierge de son immeuble. Ce mentor hors du commun lui apprend les rudiments de la vie : jouer à la scopa, effectuer de menus travaux de bricolage, comprendre les subtilités des hommes. Plus encore, don Gaetano partage avec lui ses souvenirs de la guerre, du débarquement allié, de la résistance napolitaine face aux Allemands et de ce juif qu’il avait caché dans une cave de l’immeuble.
Un jour, lors d’une partie de football dans la cour, le garçon aperçoit derrière une vitre le visage d’Anna, une fillette qui disparaît peu après. Cette vision le poursuit jusqu’à l’âge adulte. Quand Anna revient dans le quartier, leur attirance mutuelle les précipite dans une passion dangereuse : elle est promise à un homme de la Camorra. Don Gaetano, doté du don surnaturel de lire les pensées, devine la tragédie qui s’annonce et arme son protégé pour y faire face.
Les mots d’Erri de Luca sculptent une Naples ardente et populaire, où les dialectes chantent dans les ruelles étroites et les vendettas se règlent au couteau. La prose alterne moments de grâce poétique et scènes de violence crue. Ce roman d’apprentissage dessine le portrait sensible d’une transmission entre deux êtres, dans une ville meurtrie qui se relève de la guerre.
Aux éditions FOLIO ; 160 pages.
8. La nature exposée (2016)
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Dans un village italien près de la frontière, un sculpteur solitaire aide des migrants à traverser la montagne. Contrairement aux autres passeurs, il leur rend systématiquement l’argent une fois arrivés de l’autre côté. Quand un écrivain qu’il a aidé révèle sa générosité dans un livre, la notoriété soudaine le contraint à fuir son village. Il s’installe alors dans une ville portuaire où le hasard le mène jusqu’à l’église.
Là, un prêtre lui propose de restaurer un christ en croix. L’œuvre, créée au sortir de la Première Guerre mondiale par un jeune sculpteur, représentait le supplicié dans sa nudité originelle. Mais l’Église avait fait ajouter un pagne de pierre pour masquer le sexe. La mission du sculpteur : retrouver l’authenticité première de l’œuvre. Pour y parvenir, il devra comprendre les intentions de l’artiste disparu et s’identifier à son sujet jusqu’à se faire circoncire.
La sobriété du texte fait écho au dépouillement du christ sur sa croix. Les thèmes se répondent et s’entrelacent : exode et création, corps et sacré, solitude et fraternité. Le récit pulse au rythme des respirations du sculpteur penché sur son œuvre, tandis que les rencontres avec un rabbin et un ouvrier musulman ouvrent des méditations sur le sacré et le profane, la chair et l’esprit.
Aux éditions FOLIO ; 160 pages.
9. Les poissons ne ferment pas les yeux (2011)
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Un été des années 1950, sur l’île d’Ischia près de Naples. Un garçon de dix ans y passe ses vacances avec sa mère, pendant que son père tente sa chance en Amérique. L’enfant, taciturne et observateur, partage son temps entre les mots croisés, la lecture et les sorties en mer avec les pêcheurs. Il se sent à l’étroit dans ce corps qui tarde à grandir, jusqu’au jour où une fillette venue du Nord fait irruption sur la plage avec ses romans policiers et ses histoires d’animaux.
Cette première idylle éveille la jalousie de trois garçons plus âgés qui décident de s’en prendre à lui. Le narrateur accepte les coups sans se défendre. Il espère que cette violence forcera sa métamorphose, comme si la douleur pouvait accélérer le passage vers l’âge adulte. La fillette lui enseigne alors sa propre conception de la justice et lui fait découvrir le sens du verbe « aimer », qu’il ne connaissait jusque-là que comme une conjugaison latine.
Les souvenirs s’entremêlent sous la plume d’Erri De Luca qui revient, cinquante ans plus tard, sur cet été décisif. Les phrases courtes et précises dessinent une chronique sensible de l’enfance, où chaque mot pèse le poids exact des émotions qu’il décrit. La mer, omniprésente, rythme ce récit initiatique qui capture avec justesse ce moment suspendu entre deux âges.
Aux éditions FOLIO ; 128 pages.
10. Le tort du soldat (2012)
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Dans une auberge des Dolomites, un traducteur italien travaille sur des textes en yiddish quand il remarque, à la table voisine, une jeune femme et son père. Ce qu’il ignore, c’est que l’homme est un ancien criminel de guerre nazi qui vit sous une fausse identité en Autriche, où il exerce le métier de facteur. Obsédé par sa défaite, il s’est plongé dans l’étude de la kabbale, cherchant à comprendre pourquoi le nazisme a échoué.
La jeune femme, qui a découvert à vingt ans la véritable identité de celui qu’elle croyait être son grand-père, vit avec lui sans accepter ni rejeter son passé. Elle pose comme modèle aux Beaux-Arts et garde en elle le souvenir d’un garçon sourd-muet qui lui apprit jadis à nager. Mais lorsque son père entend le traducteur prononcer un mot en yiddish, il se croit découvert et prend la fuite.
Cette brève rencontre entre trois destins se déploie en deux récits qui s’entrecroisent : celui du traducteur passionné par une langue « rendue muette par la destruction de son peuple », et celui de la fille qui porte le poids d’une culpabilité qui n’est pas la sienne. En moins de cent pages, les mots sonnent comme des coups de burin qui sculptent une méditation sur la mémoire, la vérité et la responsabilité.
Aux éditions FOLIO ; 96 pages.