Emmanuel Carrère est un écrivain, scénariste et réalisateur français né le 9 décembre 1957 à Paris. Issu d’une illustre famille – sa mère est la soviétologue et académicienne Hélène Carrère d’Encausse – il fait ses études à Sciences Po Paris dont il sort diplômé en 1979.
Sa carrière débute comme critique de cinéma pour Positif et Télérama avant la publication de son premier roman « L’Amie du jaguar » en 1983. Il connaît ses premiers succès littéraires avec « La moustache » (1986) et « La classe de neige » (Prix Femina 1995).
Un tournant majeur s’opère dans son œuvre avec « L’Adversaire » (2000), récit consacré à l’affaire Jean-Claude Romand. Dès lors, il délaisse la fiction pure pour se consacrer à des récits mêlant enquête et autobiographie. Cette nouvelle orientation lui vaut plusieurs succès critiques et publics, notamment « Limonov » (Prix Renaudot 2011) et « Le Royaume » (2014).
En parallèle de son œuvre littéraire, il mène une carrière de scénariste et réalisateur. Il adapte plusieurs de ses livres au cinéma et réalise notamment « La moustache » (2005) et plus récemment « Ouistreham » (2021), adaptation du livre de Florence Aubenas.
Son dernier ouvrage majeur, « V13 » (2022), rassemble ses chroniques du procès des attentats du 13 novembre 2015. Son œuvre, qui allie recherche formelle et évocation de destins singuliers, lui a valu de nombreuses distinctions dont le Prix Princesse des Asturies de littérature en 2021.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. V13 (2022)
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De septembre 2021 à juin 2022, Emmanuel Carrère assiste quotidiennement au procès des attentats du 13 novembre 2015 qui ont fait 131 morts à Paris. Dans la salle d’audience spécialement construite au Palais de Justice, il écoute pendant neuf mois les témoignages des 1800 parties civiles, observe les 14 accusés et suit le travail des 350 avocats. Chaque semaine, il rédige une chronique pour L’Obs, relatant ce procès hors norme avec ses moments d’intense émotion et ses longues heures de procédure.
Le livre suit la chronologie du procès en trois temps : d’abord la parole des victimes qui racontent l’horreur vécue au Bataclan, sur les terrasses des cafés ou au Stade de France ; puis celle des accusés, dont Salah Abdeslam, seul survivant des commandos terroristes ; enfin le réquisitoire et les plaidoiries.
La puissance du texte naît de sa sobriété même. Les mots pèsent leur juste poids, sans excès ni artifice. Dans les interstices du récit surgissent des moments de grâce : une victime qui pardonne, un accusé qui craque, un avocat qui trouve les mots justes. Les scènes du quotidien – pause-café, discussions informelles, regards qui se croisent – donnent au procès sa dimension profondément humaine. Le texte restitue l’essentiel : la justice qui avance, pas à pas, pour affronter l’innommable.
Aux éditions FOLIO ; 368 pages.
2. D’autres vies que la mienne (2009)
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Au Sri Lanka, le tsunami de 2004 bouleverse les vacances d’Emmanuel Carrère. Si lui et sa famille en réchappent, une petite Juliette de quatre ans disparaît dans la catastrophe. L’écrivain s’engage auprès des parents endeuillés dans une quête éprouvante pour retrouver le corps de leur fille unique parmi des milliers de victimes.
Quelques mois plus tard, une autre Juliette s’apprête à mourir : la sœur de sa compagne Hélène. Cette magistrate de 33 ans laissera bientôt trois orphelines et un mari désemparé. À travers le récit de son ami Étienne, juge comme elle au tribunal de Vienne, se dessine le portrait d’une femme exceptionnelle qui, malgré son handicap et sa maladie, a consacré ses dernières forces à défendre les victimes du surendettement.
Ce double récit marque un tournant dans l’œuvre de Carrère : pour la première fois, il met sa plume au service d’histoires qui ne sont pas les siennes. La mort, la maladie, la justice sociale s’entremêlent dans une narration sobre qui évite les pièges du sensationnalisme.
Aux éditions FOLIO ; 352 pages.
3. L’Adversaire (2000)
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En 1993, un fait divers secoue la France : Jean-Claude Romand assassine sa femme Florence, leurs deux jeunes enfants, puis ses parents. L’homme tente ensuite de se suicider en mettant le feu à sa maison, mais survit. Ce drame dévoile une imposture vertigineuse : pendant dix-huit ans, celui que tous croyaient médecin chercheur à l’OMS n’avait en réalité jamais terminé ses études de médecine.
Tout commence par un simple mensonge : un examen raté qu’il ne veut pas avouer à sa future épouse Florence. De fil en aiguille, il bâtit une vie imaginaire de médecin prestigieux, convainc famille et amis, et finance son train de vie en escroquant ses proches avec de faux placements en Suisse. Quand la vérité menace d’éclater, il commet l’impensable plutôt que d’affronter la honte de la révélation.
Emmanuel Carrère reconstruit cette histoire hors du commun à partir de sa correspondance avec Romand en prison, du procès auquel il assiste, et de multiples rencontres avec l’entourage. Sans jamais céder au sensationnalisme ni au jugement moral, le texte navigue entre la chronique judiciaire et l’interrogation métaphysique sur le mensonge.
Aux éditions FOLIO ; 219 pages.
4. Limonov (2011)
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Dans la Russie de 1943, en pleine bataille de Stalingrad, naît Edouard Limonov. Fils d’un modeste officier du NKVD, le futur écrivain et homme politique traverse toute l’histoire soviétique puis post-soviétique. D’abord petit voyou à Kharkov, il devient poète underground à Moscou, fréquente les dissidents avant de s’exiler. À New York, il connaît la misère, vit dans la rue puis devient majordome d’un milliardaire.
Le succès littéraire l’attend à Paris dans les années 1980, où ses récits autobiographiques lui valent une certaine notoriété. Mais l’effondrement de l’URSS le pousse à retourner au pays. Il s’engage aux côtés des Serbes dans les Balkans, fonde le parti national-bolchévique en Russie et passe quatre ans en prison pour « activités terroristes ». À sa libération, il rejoint les rangs de la contestation anti-Poutine.
Emmanuel Carrère entremêle cette vie hors norme et sa propre expérience de la Russie. Le contraste entre son parcours d’intellectuel parisien et celui de son sujet éclaire d’une lumière crue les bouleversements de l’empire soviétique. Sans jamais juger ce personnage controversé, le récit dévoile les paradoxes d’une époque où l’héroïsme et la monstruosité se confondent souvent.
Aux éditions FOLIO ; 496 pages.
5. La classe de neige (1995)
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Hiver 1995. Une classe de CM1 part en séjour à la montagne. Parmi les élèves, Nicolas, petit garçon chétif et solitaire que son père surprotecteur a tenu à conduire lui-même jusqu’au chalet. Un oubli en apparence banal – celui du sac resté dans le coffre de la voiture paternelle – va transformer ces quelques jours en descente aux enfers pour cet enfant fragile qui fait encore pipi au lit.
Isolé du groupe, hanté par des angoisses que son père a savamment cultivées, Nicolas s’égare entre réalité et fantasmes. Ses nuits sont peuplées de cauchemars, ses journées dominées par la peur. Quand un enfant disparaît dans les environs, ses terreurs prennent corps. Une menace sourde plane sur le chalet, quelque chose d’innommable que Nicolas semble avoir toujours su, sans jamais oser se l’avouer.
Prix Femina 1995, « La classe de neige » déploie une atmosphère oppressante où le malaise s’installe dès les premières pages. Les non-dits et les silences pèsent plus lourd que les mots. La tension monte inexorablement jusqu’à la révélation finale, brutale et glaçante. Emmanuel Carrère livre ici l’un de ses rares romans de pure fiction, adapté au cinéma en 1998 par Claude Miller.
Aux éditions FOLIO ; 147 pages.
6. Le Royaume (2014)
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En 1990, Emmanuel Carrère traverse une crise existentielle qui le pousse vers la foi chrétienne. Pendant trois ans, il vit une conversion intense : lecture quotidienne des textes sacrés, messe chaque matin. Cette période s’achève aussi soudainement qu’elle avait commencé. Vingt ans plus tard, devenu agnostique, il revient sur cet épisode troublant de sa vie.
Cette introspection le conduit à reconstituer les débuts du christianisme, en suivant particulièrement les traces de Paul et Luc. Il s’attache à comprendre comment une petite secte juive, née dans un recoin de l’Empire romain, a pu devenir en moins de trois siècles l’une des plus grandes religions du monde. De Jérusalem à Rome en passant par la Grèce, il retrace le parcours de ces premiers chrétiens qui ont fait basculer l’Histoire.
Ce livre de 600 pages, fruit de sept ans de labeur, a divisé la critique à sa parution. Les ruptures de ton, entre érudition historique et confidences intimes, ont dérouté. Sans parler des passages sur la pornographie et la sexualité. Mais la force du texte réside dans ce mélange entre quête spirituelle et enquête historique, porté par une sincérité sans fard qui bouscule les conventions du genre.
Aux éditions FOLIO ; 608 pages.
7. La moustache (1986)
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Dans ce court roman paru en 1986, un homme décide de se raser la moustache qu’il porte depuis dix ans, pensant faire une blague à sa femme Agnès et leurs amis. Mais contre toute attente, ni elle ni personne ne remarque le changement. Pire encore : tous affirment qu’il n’a jamais porté de moustache de sa vie !
Le protagoniste, dont on ne connaîtra jamais le nom, commence alors à douter. S’agit-il d’une farce orchestrée par sa femme ? D’un complot de son entourage ? Ou perd-il la raison ? Sa réalité se fragmente peu à peu. Il commence à remettre en question chaque aspect de son existence. Dans un élan de panique, il fuit à Hong Kong où son équilibre mental continue de se déliter, jusqu’à un dénouement glaçant.
Cette fable paranoïaque sur la fragilité de notre perception du réel a marqué un tournant dans l’œuvre de Carrère. La tension s’installe dès les premières pages et ne relâche jamais sa prise. Le texte joue avec maestria sur l’ambiguïté entre folie et réalité, sans jamais trancher. Adapté au cinéma en 2005 par l’auteur lui-même, avec Vincent Lindon dans le rôle principal.
Aux éditions FOLIO ; 192 pages.
8. Yoga (2020)
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En janvier 2015, Emmanuel Carrère débute une retraite de méditation dans le Morvan. Son projet : écrire un livre léger sur le yoga, discipline qu’il pratique depuis trente ans. Mais l’attentat contre Charlie Hebdo, au cours duquel meurt son ami Bernard Maris, l’arrache brutalement à sa quiétude. Cette rupture marque le début d’une période sombre.
La suite du récit nous entraîne dans les méandres d’une dépression majeure qui le conduit à l’hôpital Sainte-Anne pendant quatre mois. Diagnostiqué bipolaire, il subit des électrochocs et lutte contre des pensées suicidaires. Pour tenter de se reconstruire, il part sur l’île grecque de Léros où il anime un atelier d’écriture pour de jeunes réfugiés. Entre les séances de méditation et les tourments intérieurs, se dessine le portrait d’un homme qui cherche obstinément la paix.
« Yoga » bouleverse les attentes initiales du lecteur. Ce qui devait être un simple essai sur la méditation se mue en une confession vertigineuse sur la maladie mentale et la fragilité au sens large. Le texte avance par mouvements successifs qui s’entrechoquent : les passages sur le yoga côtoient ceux sur la dépression, les confessions intimes alternent avec les drames collectifs. Cette structure fragmentée reflète les mécanismes de la pensée et de la mémoire.
Aux éditions FOLIO ; 448 pages.
9. Un roman russe (2007)
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« Un roman russe » entrelace trois récits qui se déroulent en 2002. On y suit d’abord Emmanuel Carrère à Kotelnitch, ville perdue de Russie, où il tourne un documentaire sur un prisonnier hongrois libéré après 56 ans d’internement psychiatrique. En parallèle, il tente de percer le mystère qui entoure son grand-père maternel, Georges Zourabichvili, un émigré géorgien installé à Bordeaux dans les années 1920 et disparu en septembre 1944, probablement exécuté pour faits de collaboration.
La troisième trame raconte la désagrégation de sa relation amoureuse avec Sophie. Dans un geste théâtral, il publie pour elle une nouvelle érotique dans Le Monde. Mais ce coup d’éclat se retourne contre lui et accélère leur séparation. Pendant ce temps à Kotelnitch, un crime atroce vient brutalement interrompre le tournage du documentaire.
Le livre déclenche une tempête à sa sortie en 2007. En révélant ces secrets de famille, Carrère transgresse l’interdiction formelle de sa mère, l’académicienne Hélène Carrère d’Encausse, de ne pas écrire sur son père. L’impudeur du récit amoureux choque aussi les critiques, Philippe Sollers en tête. Cette absence totale de retenue, ce mélange troublant d’exhibitionnisme et de lucidité dans l’autoportrait, créent un malaise qui fait la singularité du texte.
Aux éditions FOLIO ; 399 pages.