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Eduardo Mendoza en 6 romans – Notre sélection

Eduardo Mendoza en 6 romans – Notre sélection

Eduardo Mendoza Garriga naît à Barcelone le 11 janvier 1943. Fils d’un procureur et d’une mère issue d’une famille intellectuelle, il grandit dans un environnement privilégié. Après des études dans différentes écoles religieuses, il obtient une licence en droit à l’Université de Barcelone en 1965.

Sa carrière littéraire débute véritablement en 1975 avec « La vérité sur l’affaire Savolta », alors qu’il travaille comme traducteur à l’ONU à New York. Ce roman, considéré comme précurseur de la transition démocratique espagnole, lui apporte immédiatement la reconnaissance.

En 1978, Mendoza crée un personnage qui deviendra emblématique de son œuvre : un détective anonyme, ancien patient d’un asile psychiatrique, protagoniste d’une série de romans où l’humour et la parodie se mêlent au genre policier. Cette série commence avec « Le mystère de la crypte ensorcelée » et se poursuit avec plusieurs volumes jusqu’en 2015.

Son chef-d’œuvre, « La ville des prodiges » (1986), dépeint l’évolution de Barcelone entre les deux expositions universelles. Auteur prolifique, Mendoza alterne romans « sérieux » et œuvres plus humoristiques, tout en explorant d’autres genres comme le théâtre, l’essai et le récit court.

Reconnu comme l’un des écrivains espagnols les plus importants de sa génération, il remporte de nombreuses distinctions, dont le Prix Planeta en 2010 pour « Bataille de chats » et, couronnement de sa carrière, le prestigieux Prix Cervantes en 2016.

Son style narratif se caractérise par un mélange d’érudition et de langage populaire, une ironie et un goût pour les personnages marginaux qui observent la société avec étonnement. Barcelone, sa ville natale, sert souvent de toile de fond à ses récits où il conjugue réalité historique et fiction.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. La vérité sur l’affaire Savolta (1975)

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Résumé

Barcelone, 1917. La ville bouillonne sous l’effet des profits industriels générés par la neutralité espagnole durant la Première Guerre mondiale. Javier Miranda, jeune provincial de Valladolid, travaille comme modeste employé chez l’avocat Cortabanyes. Sa vie bascule lorsqu’il rencontre Paul André Lepprince, un ambitieux Français qui gravite autour de l’entreprise d’armement Savolta.

Lepprince charge Miranda d’une mission trouble : retrouver le journaliste Pajarito de Soto qui menace de dénoncer les pratiques de l’entreprise Savolta envers ses ouvriers. Peu après, le journaliste est assassiné. L’affaire prend une ampleur considérable quand Savolta lui-même est tué lors d’une soirée du Nouvel An.

Miranda, témoin involontaire de ces événements, se trouve pris dans un engrenage qui le dépasse. En parallèle, le commissaire Vázquez enquête sur les meurtres, tandis que Nemesio Cabra, témoin clé mais considéré comme fou, tente désespérément de faire entendre sa version des faits.

Autour du livre

« La vérité sur l’affaire Savolta » est le premier roman d’Eduardo Mendoza, publié en 1975, pendant les derniers mois du régime franquiste. Initialement intitulé « Los soldados de Cataluña », il dut être rebaptisé sous la pression de la censure. Les documents de censure révèlent d’ailleurs un jugement sévère qualifiant le livre de « novelón estúpido y confuso » (stupide roman confus), tout en autorisant paradoxalement la publication.

Le roman se déroule dans une période charnière de l’histoire espagnole : l’immédiat après Première Guerre mondiale. Mendoza restitue magistralement le climat social barcelonais, marqué par les grèves ouvrières, le pistolérisme (pratique d’assassinats ciblés), et les profondes inégalités sociales. L’Espagne, restée neutre pendant le conflit mondial, a vu certains industriels s’enrichir considérablement, creusant davantage le fossé entre riches et pauvres. Cette toile de fond historique sert de terreau à une intrigue où s’entremêlent destins individuels et mouvements collectifs, sur fond de lutte des classes.

Mendoza utilise une narration fragmentée qui combine plusieurs techniques : témoignages judiciaires, articles de presse, documents policiers, narration à la première et troisième personne, et séquences rétrospectives. Cette structure complexe, qui rompt avec la linéarité du récit traditionnel, donne au roman une dimension cinématographique. L’histoire se présente comme un puzzle dont les pièces s’assemblent progressivement.

La critique a largement salué le livre lors de sa parution. Il reçoit le prestigieux Premio de la Crítica de narrativa castellana en 1976. Kirkus Reviews souligne la lenteur calculée du récit et sa structure en « mosaïque parfois déconcertante » parsemée de fausses pistes, d’ironie et de désillusion. Frederick Luciani du New York Times met en avant la construction fragmentaire qui le distingue des romans policiers conventionnels. Il note également que le livre incarne parfaitement l’esprit post-franquiste « branché, cynique, stylé et iconoclaste », tout en conservant, par ses allusions à la corruption des élites, l’héritage des années Franco.

« La vérité sur l’affaire Savolta » a été adapté au cinéma en 1979 par le réalisateur Antonio Drove, qui en a également co-écrit le scénario avec Antonio Larreta. Le film compte dans sa distribution des acteurs de renom comme José Luis López Vázquez, Ovidi Montllor, Charles Denner, Stefania Sandrelli et Omero Antonutti.

Aux éditions POINTS ; 416 pages.


2. Le mystère de la crypte ensorcelée (Le détective anonyme #1, 1978)

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Résumé

Barcelone, années 1970. Un pensionnaire d’asile psychiatrique se voit proposer un marché insolite par le commissaire Flores : sa liberté contre la résolution d’une affaire mystérieuse. Une jeune pensionnaire a disparu d’un internat religieux tenu par les sœurs lazaristes de San Gervasio, dans des circonstances identiques à une précédente disparition survenue quelques années plus tôt. Le protagoniste, dont on ne connaît jamais le nom, accepte et quitte l’établissement après cinq ans d’internement.

Lâché dans une Barcelone qu’il redécouvre, notre anti-héros renoue avec sa sœur Cándida, une prostituée, et s’improvise détective. Malgré son apparence misérable et ses méthodes peu conventionnelles, il fait preuve d’une étonnante perspicacité. Usurpant diverses identités, crochetant des serrures et interrogeant d’anciens élèves du pensionnaire, il découvre l’existence d’une crypte secrète sous la chapelle de l’établissement.

Entre courses-poursuites, déguisements improbables et rencontres loufoques, le détective improvisé parvient à démêler une sombre affaire mêlant trafics illicites et chantage. Mais la vérité suffira-t-elle à lui garantir la liberté promise ?

Autour du livre

« Le mystère de la crypte ensorcelée » naît en 1978. Après le succès retentissant de son premier roman « La vérité sur l’affaire Savolta », couronné par le Premio de la Crítica, Eduardo Mendoza affronte la difficile épreuve du deuxième livre. Il s’exile alors à New York, où il travaille comme traducteur pour l’Organisation des Nations Unies, fuyant cette Espagne qu’il qualifie lui-même de « triste, amère et violente ». C’est dans cette distance géographique et émotionnelle qu’il rédige le manuscrit en seulement une semaine, confiant s’être « diverti comme jamais auparavant ». Le texte est envoyé à la maison d’édition Seix Barral et paraît la même année.

Sous ses allures de roman policier burlesque, « Le mystère de la crypte ensorcelée » dresse un portrait acerbe de l’Espagne de la Transition. À travers les pérégrinations de son protagoniste anonyme, Mendoza dissèque les contradictions d’une société en mutation, où cohabitent l’ancienne rigidité franquiste et les premiers soubresauts de libéralisation. Le narrateur lui-même qualifie cette époque de « prépostfranquiste », néologisme qui traduit parfaitement cette ambivalence historique.

La structure sociale demeure figée, avec une bourgeoisie catalane corrompue et intouchable incarnée par la famille Peraplana, tandis que les bas-fonds de Barcelone grouillent de misère et de débrouille. L’Église, représentée par les religieuses de l’internat, conserve son influence malgré la fin officielle du national-catholicisme. Quant aux autorités, symbolisées par le commissaire Flores, elles préfèrent s’accommoder des puissants plutôt que de faire éclater des vérités dérangeantes.

La véritable prouesse de Mendoza réside dans son écriture. Il ressuscite la tradition picaresque espagnole en créant un anti-héros contemporain dont le langage alambiqué et précieux contraste délicieusement avec sa condition sociale. Ce détective anonyme, « fils d’ivrogne et frère de putain difforme », s’exprime avec une grandiloquence digne du Siècle d’Or en parsemant son récit d’expressions savantes et désuètes qui provoquent un effet comique irrésistible.

Cette tension entre fond et forme crée un décalage permanent qui sert le propos satirique du romancier. Le protagoniste observe avec acuité les travers de cette société espagnole en transition, tantôt avec cynisme, tantôt avec une naïveté feinte. Son regard oblique permet à Mendoza d’aborder des sujets graves – corruption, inégalités sociales, hypocrisie religieuse – sous le vernis de l’humour et de l’absurde.

En 1981, le livre a connu une adaptation cinématographique intitulée « La cripta » en Italie, réalisée par Cayetano Del Real, avec José Sacristán, Rafaela Aparicio et Blanca Guerra dans les rôles principaux.

« Le mystère de la crypte ensorcelée » marque le début d’une série à succès mettant en scène ce détective anonyme, qui reviendra dans « Le labyrinthe aux olives » (1982), « L’artiste des dames » (2001), « La grande embrouille » (2012) et « Les égarements de mademoiselle Baxter » (2015).

Aux éditions POINTS ; 192 pages.


3. La ville des prodiges (1986)

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Résumé

En 1887, Onofre Bouvila, jeune paysan catalan de treize ans, quitte sa campagne natale pour Barcelone qui s’apprête à accueillir l’Exposition universelle de 1888. Sans le sou, il s’installe dans une pension misérable tenue par une famille étrange : un patron qui se travestit la nuit, sa femme obèse et muette, et leur fille Delfina. Pour payer son loyer, Onofre distribue des tracts anarchistes sur les chantiers de l’Exposition. Vif et déterminé, il comprend vite que la loyauté ne paie pas et se lance parallèlement dans la vente de lotions capillaires aux ouvriers.

Son intelligence et son absence totale de scrupules le propulsent rapidement dans les milieux interlopes de la ville. Il s’associe avec Efrén Castells et forme une bande qui pille les pavillons de l’Exposition. Repéré par l’avocat Humbert Figa i Morera, chef d’un gang mafieux local, Onofre s’impose dans le milieu criminel en éliminant sans pitié ses rivaux. Sa fortune grandit grâce à la spéculation immobilière lors de l’expansion urbaine de Barcelone, au trafic d’armes et à diverses magouilles.

Malgré sa richesse phénoménale, la haute société barcelonaise le considère toujours comme un parvenu. Il épouse Margarita, la fille de Figa i Morera, mais ce mariage de convenance ne lui apporte pas le bonheur. Onofre se lance alors dans le cinéma, pionnier de cette industrie naissante en Espagne, avant d’être contraint à l’exil lors du coup d’État de Primo de Rivera en 1923.

Entre ambition démesurée et quête de reconnaissance, Onofre Bouvila incarne l’évolution de Barcelone elle-même, cette ville en pleine métamorphose entre deux expositions universelles. Alors que s’approche celle de 1929, l’homme devenu l’un des plus riches d’Espagne se lance dans un ultime projet extravagant. Mais peut-on vraiment s’élever si haut sans finir par chuter ?

Autour du livre

Dans les notes accompagnant la réédition de 2001, Eduardo Mendoza révèle avoir commencé l’écriture de « La ville des prodiges » peu après la publication de son premier roman, « La vérité sur l’affaire Savolta », en 1975. Cependant, son projet initial fut plusieurs fois interrompu. Il publiera entre-temps d’autres œuvres comme « Le mystère de la crypte ensorcelée » et « Le labyrinthe aux olives ». Mendoza, alors établi à New York, loin de sa Barcelone natale, ne parviendra à achever son manuscrit que plusieurs années plus tard, une fois revenu dans sa ville. Il confie avoir repris l’écriture avec « l’intention de récupérer l’image d’une ville qui était la mienne, mais de laquelle j’avais été absent durant des années cruciales. » Cette confession éclaire la dimension profondément intime de l’œuvre, véritable déclaration d’amour à Barcelone malgré ses contradictions.

Si Onofre Bouvila constitue le fil narratif du récit, c’est bien Barcelone qui s’impose comme le véritable protagoniste du roman. Entre les deux expositions universelles qui servent de bornes temporelles au récit (1888-1929), Mendoza dépeint la transformation radicale d’une cité médiévale en métropole moderne. La démolition des murailles, l’expansion urbaine selon le plan Cerdà, les tensions sociales et politiques, ainsi que l’émergence d’une nouvelle économie industrielle sont minutieusement décrites. La ville apparaît tantôt radieuse, tantôt sordide, reflet des contradictions d’une période marquée par l’avènement de la modernité. Cette dualité se manifeste dans les lieux que fréquente Onofre : des bas-fonds aux salons bourgeois, des chantiers poussiéreux aux théâtres luxueux. Mendoza saisit également la singularité catalane et l’antagonisme historique avec Madrid, préfigurant les tensions identitaires qui perdurent aujourd’hui.

« La ville des prodiges » s’inscrit dans la tradition du roman picaresque espagnol, mais le transpose au XXe siècle. Onofre Bouvila, anti-héros cynique et amoral, rappelle les protagonistes du genre, comme Lazarillo de Tormes. Sa trajectoire ascendante illustre les bouleversements d’une société en mutation où les anciennes hiérarchies s’effondrent. L’accélération technologique qui caractérise cette période – l’électricité, l’automobile, le cinéma, l’aviation – sert de toile de fond à cette ascension vertigineuse. Mendoza entrelace faits historiques avérés et imagination débridée, le documentaire à la fiction la plus fantasque. Le portrait qu’il brosse de la société catalane, avec ses figures excentriques et ses situations grotesques, lui permet d’aborder des sujets sérieux – corruption, inégalités sociales, violence politique – tout en maintenant une distance ironique qui évite le moralisme.

La critique a largement salué cette fresque historique. Le magazine français Lire l’a élu meilleur livre de l’année 1988, tandis que le journal espagnol El Mundo l’a inclus dans sa liste des 100 meilleurs romans en espagnol du XXe siècle. Publishers Weekly loue « le panorama de la vie politique et sociale catalane, l’avènement du cinéma et des machines volantes » tout en regrettant que « la caractérisation reste opaque ». Certains critiques soulignent l’impressionnante érudition historique de Mendoza, quand d’autres célèbrent son humour grinçant et sa capacité à jongler entre l’absurde et le caustique.

« La ville des prodiges » a été adaptée au cinéma en 1999 par le réalisateur Mario Camus, avec Olivier Martinez dans le rôle d’Onofre Bouvila et Emma Suárez incarnant Delfina.

Aux éditions POINTS ; 544 pages.


4. Sans nouvelles de Gurb (1990)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans la Barcelone des années 1990, deux extraterrestres atterrissent pour une mission d’observation. L’un d’eux, Gurb, sort explorer la ville après avoir pris l’apparence de la célèbre chanteuse Marta Sánchez, pensant ainsi se fondre discrètement parmi les humains. Rapidement, il disparaît sans laisser de traces. Son supérieur hiérarchique, le narrateur de l’histoire, part à sa recherche. À travers son journal de bord, nous suivons ses péripéties quotidiennes dans une métropole en pleine préparation pour les Jeux Olympiques de 1992.

Le narrateur, capable de changer d’apparence à volonté, se métamorphose successivement en personnages aussi divers que le comte-duc d’Olivares, Miguel de Unamuno, Paquirrín ou encore l’amiral Yamamoto. Ses tentatives pour comprendre notre monde s’avèrent désopilantes : il se fait régulièrement écraser par des voitures, tombe dans des tranchées de construction, achète compulsivement des objets inutiles, et consomme d’improbables quantités de churros.

Mais réussira-t-il un jour à retrouver son compagnon Gurb, irremplaçable pour piloter leur vaisseau spatial et rentrer chez eux ?

Autour du livre

« Sans nouvelles de Gurb » est né d’une commande du quotidien El País, dans lequel il parut initialement sous forme de feuilleton en 1990, quelques mois avant les Jeux Olympiques de Barcelone. Eduardo Mendoza, revenu dans sa ville natale après un séjour aux États-Unis, jette un regard amusé et critique sur les transformations urbanistiques et sociétales de la capitale catalane. Cette genèse particulière explique la structure du texte en entrées journalières et chronométrées, parfaite pour une publication périodique.

Le procédé littéraire choisi par Mendoza s’inscrit dans une tradition bien établie : utiliser le regard étranger pour critiquer sa propre société. En cela, son extraterrestre rappelle les persans de Montesquieu ou l’ingénu de Voltaire, mais transposés dans l’Espagne contemporaine. La naïveté feinte du narrateur, scientifique et précis dans ses observations, met en lumière les absurdités de notre quotidien. Les différences entre quartiers riches et pauvres, le consumérisme effréné, la bureaucratie ou encore les relations interpersonnelles sont passés au crible avec un humour mordant. Comme le remarque si justement le narrateur : « Les riches ne paient jamais, les pauvres paient aussi pour suer. »

L’humour de Mendoza repose sur plusieurs techniques complémentaires. Le comique de répétition – ces éternelles scènes d’écrasement par des véhicules ou ces orgies de churros – côtoie l’hyperbole délirante. Le romancier espagnol excelle particulièrement dans l’art de l’absurde lorsque son extraterrestre tente de déchiffrer notre culture à partir d’observations partielles. Par exemple, après analyse de l’eau de la ville, le narrateur conclut qu’elle contient « hydrogène, oxygène et caca ». Les changements d’apparence constants du narrateur génèrent également des situations burlesques, notamment quand il tente de séduire sa voisine en prenant diverses apparences inappropriées.

La critique a généralement réservé un accueil enthousiaste à ce court roman. Un lecteur le qualifie de « petit livre très amusant qui fait passer un bon moment de lecture… et une jolie réflexion sur l’espèce humaine ». Un autre affirme n’avoir « jamais ri autant en lisant » et le recommande comme « antidépresseur ». Certains critiques le comparent au « Guide du voyageur galactique » de l’écrivain britannique Douglas Adams. Quelques voix discordantes estiment toutefois que l’humour s’essouffle sur la longueur et que certaines références culturelles datées sont peu accessibles aux non-Espagnols. En 2020, le chanteur espagnol Miki Núñez lui rend hommage en intitulant une chanson « Sin Noticias de Gurb ».

Aux éditions POINTS ; 192 pages.


5. Les aventures miraculeuses de Pomponius Flatus (2008)

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Résumé

Au premier siècle de notre ère, Pomponius Flatus, philosophe romain à la recherche d’eaux aux vertus purificatrices, parcourt les confins de l’Empire. Ses pérégrinations le conduisent à Nazareth, où le manque d’argent et un concours de circonstances l’amènent à jouer les détectives. Un riche citoyen a été assassiné, et Joseph, le charpentier du village, est condamné à mort pour le crime. C’est alors que son fils, un garçon de sept ans prénommé Jésus, doué d’une intelligence remarquable, engage Pomponius pour prouver l’innocence de son père avant l’exécution.

Notre philosophe, affligé de flatulences chroniques (comme son nom le suggère), se lance dans une enquête qui le mène à interroger divers habitants de Nazareth. Chacun semble dissimuler un secret. Entre un tribun romain chargé de maintenir l’ordre, une prostituée au grand cœur, des notables corrompus et des religieux intransigeants, Pomponius navigue dans un dédale d’intérêts contradictoires. Le temps presse car Joseph, résigné, construit déjà la croix sur laquelle il doit être supplicié…

Autour du livre

Publié en 2008, « Les aventures miraculeuses de Pomponius Flatus » s’inscrit dans une volonté de parodie. Eduardo Mendoza réagit aux romans pseudo-historiques à succès qui fleurissent alors sur le marché. L’auteur espagnol prend pour cible particulière des titres comme « Da Vinci Code » de Dan Brown ou « Le Huit » de Katherine Neville. Sa démarche rappelle, toutes proportions gardées, celle de Cervantes avec « Don Quichotte », qui s’attaquait aux romans de chevalerie. Mendoza construit donc un pastiche qui joue simultanément sur plusieurs tableaux : le roman policier, le récit historique, la satire religieuse et la comédie scatologique.

Le cadre historique de la Palestine sous occupation romaine sert de toile de fond à une intrigue policière classique. Pomponius, narrateur de son propre récit qu’il adresse à un certain Fabio, utilise le présent historique dans une prose délibérément ampoulée, reflet de son érudition pédante. Cette posture narrative donne lieu à des situations burlesques où le protagoniste, éminent patricien tombé en disgrâce, se confronte aux réalités triviales d’un village de province.

Le traitement des figures bibliques constitue l’aspect le plus audacieux du roman. Mendoza démythifie l’enfance de Jésus en le présentant comme un garçon intelligent mais ordinaire. Joseph apparaît comme un homme taciturne et résigné, qui « a douté de l’honnêteté de son épouse » et « a été sur le point de lui donner une raclée ». Le romancier multiplie les anachronismes et les allusions impertinentes, comme lorsque Pomponius s’exclame : « Être enterré trois jours et ressusciter au bout du troisième. Qui pourrait croire une chose pareille ? » Ce faisant, il tisse un réseau de références qui servent tant la dimension comique que la portée critique de l’œuvre.

Sous ses dehors de farce, le roman propose une réflexion sur le pouvoir, la religion et la justice. L’occupation romaine, avec ses mécanismes de domination, fait écho aux problématiques contemporaines d’impérialisme culturel et politique. La juxtaposition des croyances juives et païennes permet à Mendoza d’interroger les fondements des systèmes religieux. Il malmène également les clichés antisémites en les attribuant à son narrateur romain, créant ainsi une distance critique qui souligne leur absurdité.

La structure du roman, qui s’achève sur une réunion de tous les suspects, « un peu à la Colombo », illustre la façon dont Mendoza détourne les codes du genre policier pour servir son propos satirique. Cette manipulation des attentes génériques participe d’une entreprise plus vaste de démystification, tant des récits sacrés que des conventions littéraires.

Aux éditions SEUIL ; 228 pages.


6. Bataille de chats (2010)

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Résumé

Au printemps 1936, Anthony Whitelands, expert britannique en peinture espagnole du Siècle d’Or, arrive à Madrid. Le pays bouillonne de tensions politiques à quelques mois du déclenchement de la Guerre civile. Mandaté par le marchand d’art Pedro Teacher, Whitelands doit expertiser la collection du duc de la Igualada, aristocrate conservateur qui souhaite vendre ses œuvres pour quitter l’Espagne avec sa famille. Cette simple mission d’expertise prend une tournure inattendue lorsqu’Anthony découvre dans le sous-sol du palais un tableau inconnu qu’il attribue à Velázquez.

Cette toile devient rapidement l’objet de toutes les convoitises. Sa valeur pourrait financer l’achat d’armes pour la rébellion militaire contre la République. Anthony se retrouve alors pris dans un imbroglio politique et espionné par les services secrets britanniques, allemands, soviétiques et espagnols. Sa situation se complique davantage quand il s’éprend de Paquita, la fille du duc, déjà amoureuse de José Antonio Primo de Rivera, chef de la Phalange.

Malgré sa naïveté et son apolitisme, Anthony croise le chemin des généraux Franco, Mola et Queipo de Llano qui préparent leur coup d’État. Désormais, tous les regards convergent vers ce mystérieux tableau dont l’authenticité pourrait changer le cours de l’Histoire espagnole…

Autour du livre

« Bataille de chats », publié en 2010, marque une nouveauté dans la bibliographie d’Eduardo Mendoza. Célèbre pour ses romans situés à Barcelone, l’écrivain catalan s’aventure cette fois dans la capitale espagnole, terrain historiquement sensible. Le titre fait référence au surnom donné aux Madrilènes, « los gatos » (les chats), et évoque métaphoriquement les luttes intestines secouant l’Espagne à l’aube de la Guerre civile. Ce texte lui vaut le prestigieux Prix Planeta 2010, doté de 601 000 euros, l’une des récompenses littéraires les plus généreuses du monde hispanophone.

Mendoza y met en scène des personnages historiques centraux comme José Antonio Primo de Rivera, Manuel Azaña, Francisco Franco ou Niceto Alcalá-Zamora, tout en les intégrant dans une intrigue fictive. Cette approche lui permet d’examiner les forces politiques qui s’affrontaient alors : la Phalange espagnole, les républicains, les communistes, les anarchistes, les monarchistes carlistes, sans oublier les intérêts internationaux représentés par l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’URSS. Le tableau de Velázquez sert de catalyseur narratif en illustrant comment l’art peut devenir un instrument politique dans des périodes troublées.

Le roman se distingue par ses digressions érudites sur l’art espagnol du XVIIe siècle. Mendoza y déploie des passages remarquables sur Velázquez, sa technique, sa vie et sa place dans l’histoire de l’art. Ces réflexions permettent de comprendre la passion quasi obsessionnelle du protagoniste pour le peintre sévillan. Le tableau mystérieux – une variation de « Vénus à son miroir » – devient ainsi un personnage à part entière, témoin silencieux des machinations politiques qui annoncent la tragédie espagnole.

Aux éditions POINTS ; 480 pages.

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