Clive Staples Lewis naît le 29 novembre 1898 à Belfast, en Irlande, dans une famille protestante aisée. Son enfance est marquée par la mort de sa mère en 1908, un événement traumatisant qui le pousse vers la lecture et l’écriture. Avec son frère Warren, il crée un monde imaginaire peuplé d’animaux : Boxen.
Brillant étudiant, il poursuit ses études à Oxford, mais la Première Guerre mondiale l’arrache à l’université. Il combat en France où il est blessé par des éclats d’obus en 1917. De retour à Oxford, il obtient d’excellents résultats dans plusieurs disciplines et devient professeur d’anglais au Magdalen College.
Après avoir perdu la foi durant son adolescence, Lewis retrouve le chemin du christianisme en 1931, influencé par ses discussions avec son ami J. R. R. Tolkien. Les deux hommes font partie du cercle littéraire des Inklings qui se réunit régulièrement au pub The Eagle and Child d’Oxford.
Sa carrière d’écrivain prend son envol avec des ouvrages apologétiques comme « Les fondements du christianisme » (1952), mais c’est avec « Le Monde de Narnia », une série de sept romans fantastiques pour enfants publiés entre 1950 et 1956, qu’il connaît un immense succès populaire. Ces livres, qui mêlent imaginaire chrétien et mythologie, continuent de captiver les lecteurs du monde entier.
En 1956, Lewis épouse l’écrivaine américaine Joy Davidman Gresham. Leur bonheur est de courte durée : Joy meurt d’un cancer en 1960. Cette expérience douloureuse lui inspire « Apprendre la mort », un livre poignant sur le deuil qu’il publie sous pseudonyme. Il meurt le 22 novembre 1963, le même jour que John F. Kennedy, laissant derrière lui une œuvre qui continue d’influencer la littérature et la pensée chrétienne.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Le Neveu du magicien (roman, Le Monde de Narnia #1, 1955)
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Résumé
Londres, 1900. Digory, un garçon de douze ans, vit chez son oncle Andrew pendant que sa mère se meurt d’une grave maladie. Sa nouvelle amie et voisine, Polly, l’aide à surmonter son chagrin. Un jour, les deux enfants pénètrent par erreur dans le cabinet secret de l’oncle Andrew, un magicien raté qui a créé des anneaux permettant de voyager entre différents mondes. Il force Polly à toucher l’un d’eux, la faisant disparaître, puis oblige Digory à la suivre.
Les deux enfants se retrouvent dans une forêt mystérieuse, où des mares servent de portails vers d’autres univers. L’une d’elles les mène à Charn, un monde mort sous l’emprise d’un sortilège. Dans ce royaume dévasté, Digory cède à la curiosité et réveille par accident la reine Jadis, une sorcière qui a prononcé le Mot Déplorable, une formule magique interdite et dévastatrice, pour anéantir toute forme de vie dans son monde plutôt que de céder le trône à sa sœur. La créature maléfique les poursuit jusqu’à Londres où elle sème immédiatement la terreur.
Dans leur tentative de la renvoyer à Charn, les enfants échouent dans un univers vide et assistent à un événement prodigieux : la naissance d’un nouveau monde, Narnia, créé par le chant du majestueux lion Aslan. Malheureusement, Jadis s’y est faufilée elle aussi. Pour réparer son erreur d’avoir amené le mal dans ce monde naissant, Digory doit partir en quête d’une pomme magique capable de protéger Narnia. Cette même pomme pourrait aussi sauver sa mère mourante. Le voilà tiraillé entre son devoir et la tentation de sauver celle qu’il aime…
Autour du livre
C. S. Lewis n’avait initialement prévu d’écrire qu’un seul livre narnien, « Le Lion, la Sorcière blanche et l’Armoire magique ». C’est une question de Roger Lancelyn Green sur l’origine du mystérieux lampadaire dans la forêt de Narnia qui l’incite à imaginer cette préquelle. La rédaction s’avère particulièrement ardue et s’étend sur cinq ans, de 1949 à 1954, avec plusieurs interruptions. Cette difficulté s’explique notamment par les nombreux éléments autobiographiques que Lewis intègre au récit : comme Digory, il a perdu sa mère enfant, a vécu séparé de son père et nourrit une passion dévorante pour la lecture.
Une première version du roman, connue sous le nom de « Fragment Lefay », diffère sensiblement du texte final. Le personnage de Mrs Lefay, marraine féérique de Digory devenue la marraine peu recommandable d’oncle Andrew dans la version définitive, y tient un rôle central. Cette version préliminaire présente également d’autres variations notables : Digory y possède le don inné de parler aux animaux, et le récit inclut des personnages absents de la version publiée.
Les thèmes bibliques imprègnent le récit, en particulier celui de la Genèse. La création de Narnia par le chant d’Aslan fait écho au « Que la lumière soit » divin. Le jardin aux pommes d’argent évoque l’Éden, tandis que la tentation de Digory par Jadis rappelle celle d’Ève par le serpent. La dimension allégorique s’étend également à des questions contemporaines : le « Mot Déplorable » qui détruit Charn peut être interprété comme une allusion à la bombe atomique.
Les critiques littéraires débattent de l’ordre optimal de lecture du « Monde de Narnia ». Si les éditions HarperCollins privilégient depuis 1980 l’ordre chronologique, plaçant « Le Neveu du magicien » en ouverture, certains spécialistes préconisent l’ordre de publication. Ils estiment que la découverte de Narnia à travers les yeux de Lucy dans « Le Lion, la Sorcière blanche et l’Armoire magique » crée un effet de surprise que compromet la lecture préalable du « Neveu du magicien ».
Le roman a connu plusieurs adaptations. Aurand Harris en a tiré une pièce de théâtre en 1984. La BBC a produit une version radiophonique ainsi qu’une adaptation télévisée en langue des signes. Une adaptation en manga a été publiée au Japon entre 2018 et 2020. Des projets d’adaptation cinématographique ont été envisagés par Walt Disney Pictures et Walden Media, avant que Netflix n’acquière en 2018 les droits de l’ensemble du « Monde de Narnia » en vue de développer des séries et des films.
Aux éditions FOLIO JUNIOR ; 208 pages.
2. Tactique du diable (roman, 1942)
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Résumé
En pleine Seconde Guerre mondiale, dans une correspondance de trente et une lettres, un haut fonctionnaire de l’enfer, Screwtape, dispense ses conseils à son neveu Wormwood, un jeune démon inexpérimenté. La mission de Wormwood : pousser vers la damnation éternelle un jeune Anglais, désigné simplement comme le « protégé ». Screwtape occupe un poste important dans la bureaucratie infernale et maîtrise parfaitement l’art de la corruption des âmes. Ses lettres dévoilent les techniques les plus efficaces pour éloigner les humains de Dieu, qu’il nomme « l’Ennemi ».
Contre toute attente, dès la deuxième lettre, le « protégé » se convertit au christianisme. Plutôt que de préconiser les péchés spectaculaires comme le suggère naïvement Wormwood, Screwtape recommande une approche plus subtile : cultiver les petites vanités quotidiennes, nourrir l’orgueil spirituel, encourager l’apitoiement sur soi. « La route la plus sûre vers l’enfer est la route progressive », écrit-il, « la pente douce, douce sous les pieds, sans virages brusques, sans jalons, sans panneaux indicateurs. »
La tâche de Wormwood se complexifie davantage lorsque le « protégé » tombe amoureux d’une chrétienne profondément croyante. Pendant ce temps, les bombardements allemands sur Londres s’intensifient. L’enjeu devient pressant : si le « protégé » meurt avant d’avoir été corrompu, son âme échappera définitivement aux forces du mal. Wormwood parviendra-t-il à accomplir sa mission diabolique ou subira-t-il la terrible vengeance de son oncle ?
Autour du livre
Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, C. S. Lewis s’engage dans la défense civile. Contrairement à la Première Guerre mondiale qu’il percevait comme dénuée de sens, ce nouveau conflit représente pour lui une bataille entre les forces universelles du Bien et du Mal. Il est alors invité à prendre la parole devant des aviateurs et à la radio, non pas en tant que philologue mais comme prédicateur. C’est dans ce contexte qu’il imagine décrire les tentations ordinaires du point de vue d’un démon. Ces lettres, initialement conçues comme des sermons destinés à galvaniser le moral des troupes, paraissent d’abord dans le journal The Manchester Guardian en 1941 sous le titre « From Devil to Devil ».
Le récit est remarquable par son approche singulière de la doctrine chrétienne, racontée par antithèse. La prose mordante insuffle une légèreté bienvenue à des thèmes profonds qui pourraient s’avérer rébarbatifs. Le génie de Lewis réside dans sa capacité à placer le lecteur dans la peau de Wormwood, permettant ainsi une compréhension plus intuitive de la nature chrétienne. Les thèmes abordés sont variés : la sexualité, l’amour, l’orgueil, la gourmandise, la guerre, le temps. Lewis propose également une lecture critique de certains courants de pensée contemporains.
La structure bureaucratique de l’enfer dépeinte par Lewis constitue une satire mordante des systèmes totalitaires. On y trouve un haut commandement, une police secrète, une maison de correction pour tentateurs incompétents, un service d’information, une académie et même un département philologique. Cette hiérarchie infernale fonctionne selon le principe « consommer ou être consommé », illustrant la nature prédatrice du mal.
La critique salue unanimement l’œuvre lors de sa parution. Le New York Times la qualifie « d’humoristique et animée… rarement le diable a-t-il reçu son dû avec autant de perspicacité ». Christianity Today parle d’une « expérience profonde » tandis que le Wall Street Journal la décrit comme « perversement brillante… un diable de spectacle ! ». Le magazine Time consacre même sa couverture à Lewis cinq ans après la publication, avec un diable en illustration.
Une adaptation en bande dessinée paraît chez Marvel Comics en 1994. Plusieurs mises en scène théâtrales voient le jour, notamment celle de la Fellowship for the Performing Arts qui tourne aux États-Unis pendant plusieurs années. La 20th Century Fox détient les droits d’adaptation cinématographique depuis les années 1950 et prévoit une production mêlant acteurs réels et personnages générés par ordinateur. L’influence du livre s’étend également à la musique contemporaine : il inspire notamment l’album « Peril and the Patient » du groupe Called to Arms et des chansons de Living Sacrifice et The Receiving End of Sirens.
Aux éditions EMPREINTE TEMPS PRÉSENT ; 138 pages.
3. Le problème de la souffrance (essai théologique, 1940)
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Résumé
Dans « Le problème de la souffrance », C. S. Lewis s’attaque à une question fondamentale qui traverse les siècles : comment un Dieu bon et tout-puissant peut-il permettre la souffrance dans le monde ? Le point de départ de sa réflexion repose sur un paradoxe simple mais redoutable : si Dieu est bon, il devrait souhaiter le bonheur parfait de ses créatures, et s’il est tout-puissant, il devrait pouvoir accomplir ce souhait. Or, les créatures ne sont pas heureuses. Cette contradiction apparente sert de fil conducteur à cet essai théologique.
Lewis établit d’abord les fondements de sa pensée en identifiant trois caractéristiques communes à toutes les religions : l’expérience du Numineux – cette sensation d’effroi mêlée d’émerveillement face au divin -, la reconnaissance d’une morale universelle, et le Numineux comme gardien de cette morale. Le christianisme y ajoute une quatrième dimension : l’ancrage dans des événements historiques concrets.
La réflexion se poursuit par une analyse de la toute-puissance divine. Pour Lewis, celle-ci ne signifie pas que Dieu peut accomplir l’impossible ou le contradictoire, mais qu’il peut réaliser tout ce qui est intrinsèquement possible. Cette précision ouvre la voie à une compréhension plus nuancée de la bonté divine, qui ne se limite pas à une simple bienveillance : l’amour véritable exige le perfectionnement de l’être aimé, un processus qui peut nécessiter la souffrance.
Le libre arbitre occupe une place centrale dans cette démonstration. La possibilité même de la souffrance découle de la liberté accordée aux créatures et des lois de la nature qui régissent l’univers. Lewis compare la souffrance à un mégaphone utilisé par Dieu pour réveiller un monde sourd à sa présence. La souffrance devient ainsi un moyen de transformation spirituelle, un appel à la conscience de notre condition et de notre besoin de rédemption.
Lewis aborde également la question de la méchanceté humaine, de la Chute, et de la transmission du péché originel. Il se penche notamment sur la souffrance animale, sujet rarement traité dans la théologie chrétienne, et n’hésite pas à affronter la difficile question de l’enfer. Sa réflexion culmine dans une méditation sur le paradis, présenté non comme une récompense mais comme l’accomplissement naturel des âmes qui désirent véritablement Dieu. Que devient alors le problème de la souffrance ? Lewis laisse la question ouverte, suggérant que la réponse définitive pourrait bien dépasser notre entendement terrestre.
Autour du livre
Ce texte théologique naît dans un contexte particulier, alors que l’Europe est plongée dans la Seconde Guerre mondiale. Ancien combattant de la Première Guerre mondiale, C. S. Lewis n’ignore rien des souffrances humaines lorsqu’il entreprend cette réflexion. Son propre parcours, de l’athéisme à la foi chrétienne, nourrit profondément sa démarche intellectuelle. Il ne cherche pas tant à prouver la vérité du christianisme qu’à en exposer les origines et à replacer le problème de la souffrance dans son contexte approprié.
La critique salue la profondeur de l’analyse, tout en soulignant parfois la complexité de certains passages. C. S. Lewis y privilégie une approche analytique plutôt qu’émotionnelle de la question, ce qui en fait davantage un texte théologique qu’une simple consolation spirituelle. Certains lecteurs relèvent des divergences avec l’interprétation littérale de la Genèse, notamment concernant l’évolution, mais reconnaissent la puissance de l’argumentation sur la nature de la souffrance.
La postérité du « Problème de la souffrance » se mesure notamment à travers son dialogue avec « Apprendre la mort », écrit vingt ans plus tard par Lewis après la mort de sa femme. Si le premier ouvrage offre une approche philosophique de la souffrance, le second en propose une expérience plus personnelle et émotionnelle, les deux textes se complétant mutuellement.
Aux éditions PIERRE TÉQUI ; 178 pages.
4. Les quatre amours (essai théologique, 1960)
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Résumé
Dans « Les quatre amours », C. S. Lewis entreprend un examen méthodique des quatre types d’amour issus de la tradition grecque, prenant comme point de départ la célèbre affirmation de Saint Jean : « Dieu est Amour ». Sa réflexion s’ouvre sur une distinction fondamentale entre l’amour-besoin, manifesté par exemple dans la relation d’un enfant à sa mère, et l’amour-don, incarné dans l’amour de Dieu pour l’humanité. Cette dichotomie initiale se révèle cependant plus complexe qu’il n’y paraît : le besoin d’un enfant pour le réconfort parental ne relève pas d’une simple indulgence égoïste mais d’une nécessité vitale, tandis que l’amour parental poussé à l’excès peut se pervertir.
Lewis poursuit son investigation en s’intéressant à la nature du plaisir, différenciant les plaisirs-besoins, comme l’eau pour l’assoiffé, des plaisirs d’appréciation, telle la contemplation de la nature. De cette observation naît un troisième élément qu’il nomme « l’amour d’appréciation », complémentaire aux deux premiers. Cette triple distinction sert de fondement à l’analyse des quatre formes d’amour traditionnelles.
Le Storgê, premier type d’amour, se manifeste dans l’affection familiale spontanée. Cette forme d’attachement, la plus naturelle et répandue, transcende les barrières conventionnelles, capable même d’unir des êtres aussi différents qu’un chien et un chat. Sa force réside dans son caractère instinctif, mais cette même qualité la rend vulnérable quand les besoins qu’elle satisfait disparaissent.
La Philia, ou amitié, constitue paradoxalement l’amour le moins naturel. Elle naît du partage de valeurs et d’intérêts communs, se distinguant des autres formes d’amour par son caractère électif. Lewis déplore sa dévaluation dans la société moderne, rappelant qu’elle représentait pour les Anciens la forme d’amour la plus accomplie.
L’Éros transcende la simple pulsion sexuelle – que Lewis nomme Vénus – pour atteindre une dimension plus profonde. Il se définit non comme le désir d’une femme, mais comme le désir d’une femme en particulier, illustrant la dualité humaine entre l’ange raisonneur et le félin instinctif. Cette force puissante peut conduire au meilleur comme au pire, jusqu’au suicide ou au meurtre passionnel.
L’Agapè, point culminant de la réflexion, incarne l’amour divin inconditionnel. Lewis la présente comme la plus élevée des quatre formes d’amour, seule capable de préserver les trois autres de leur tendance à l’auto-destruction. Cette charité divine doit gouverner et transfigurer les amours naturels pour les préserver de leur « auto-grandissement démoniaque ».
Autour du livre
« Les quatre amours » trouve son origine dans une série d’émissions radiophoniques diffusées en 1958 sur la BBC. Ces interventions suscitent la controverse aux États-Unis en raison de leur franchise concernant la sexualité. C. S. Lewis développe et affine sa réflexion pour aboutir à la publication du livre en 1960.
Le livre a suscité des réactions élogieuses de la part des critiques littéraires. Michael Joseph Gross salue des « réflexions magistrales mais sans prétention » sur les vertus et les dangers de l’amour. Martin D’Arcy, dans The New York Times Book Review, prédit que l’ouvrage « mérite de devenir un classique mineur comme miroir moderne des âmes. » Sydney J. Harris, pour Saturday Review, le qualifie de « livre rare et mémorable. »
Le livre conserve une influence majeure dans la réflexion sur l’amour et la spiritualité. Il a notamment inspiré « Love’s Sacred Order: The Four Loves Revisited » par Erasmo Leiva-Merikakis, démontrant sa capacité à nourrir la pensée contemporaine sur les différentes dimensions de l’amour.
Aux éditions PIERRE TÉQUI ; 172 pages.