Charles Exbrayat (1906-1989) est un écrivain français né et mort à Saint-Étienne, principalement connu pour ses romans policiers. Après une tentative avortée d’études de médecine à Marseille, d’où il est exclu pour chahut, il se tourne vers les sciences naturelles à Paris et enseigne brièvement tout en préparant l’agrégation.
Sa carrière d’écrivain débute réellement après la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle il participe à la Résistance dans les rangs des « Francs-tireurs et partisans » (FTP) de la Nièvre. Il travaille d’abord comme journaliste et scénariste, adaptant notamment des œuvres de Georges Simenon et participant à l’écriture d’une quinzaine de films.
C’est en 1957 qu’il se lance dans le roman policier avec « Elle avait trop de mémoire ». Il connaît rapidement le succès et reçoit le Grand Prix du roman d’aventures en 1958 pour « Vous souvenez-vous de Paco ? ». Au cours de sa carrière, il publie plus de cent romans, souvent teintés d’humour, dont les plus célèbres mettent en scène deux personnages récurrents : l’excentrique Écossaise Imogène McCarthery et le commissaire italien Roméo Tarchinini.
Sous le pseudonyme de Michael Loggan, partagé avec Jacques Dubessy, il écrit également une série de romans d’espionnage. Plusieurs de ses œuvres ont été adaptées au cinéma et à la télévision. En hommage à son œuvre, un prix Charles Exbrayat récompense chaque année un roman policier lors de la Fête du Livre de Saint-Étienne.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Série Imogène McCarthery – Ne vous fâchez pas, Imogène ! (1959)
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Résumé
Dans le Londres des années 1950, Imogène McCarthery, une Écossaise de 48 ans au caractère explosif, travaille comme secrétaire à l’Amirauté britannique. Cette célibataire aux cheveux rouges, surnommée « The Red Bull », voue un amour inconditionnel à son Écosse natale et ne rate jamais une occasion de critiquer ses collègues anglais.
Un jour, contre toute attente, le directeur des services secrets la convoque. Au lieu du licenciement redouté, il lui confie une mission capitale : transporter les plans ultraconfidentiels d’un nouvel avion à réaction, le Campbell 777, jusqu’à Callander, son village natal des Highlands. À peine montée dans le train, Imogène se retrouve traquée par un mystérieux individu à la grosse moustache. Entre sa naïveté désarmante, son patriotisme exacerbé et son penchant pour le whisky, la mission s’annonce périlleuse.
De retour sur ses terres d’origine, elle sème la pagaille dans le village et fait tourner en bourrique le chef constable local. Les cadavres s’accumulent et les quiproquos amoureux se multiplient tandis qu’elle tente, à sa façon bien particulière, de mener à bien sa mission pour la Couronne.
Autour du livre
Premier volet d’une série de sept romans publiés entre 1959 et 1975, « Ne vous fâchez pas, Imogène ! » marque la naissance d’une figure atypique dans le paysage du roman d’espionnage français des années 1960. L’héroïne se démarque par un mélange surprenant de failles et de qualités : sa confiance inébranlable en l’humanité, sa dévotion quasi mystique pour son père défunt, son goût prononcé pour la bagarre et sa conviction intime d’incarner une femme fatale irrésistible en font un personnage à la fois exaspérant et touchant.
Sous ses aspects de comédie légère, Charles Exbrayat déploie une satire mordante des relations anglo-écossaises. Les personnages, qu’ils soient héroïques, ridicules ou fourbes – particulièrement les « dégénérés d’anglais » selon l’expression de l’héroïne – portent en eux une dimension caricaturale assumée. Le whisky coule à flots tandis que les répliques cinglantes fusent, dans une atmosphère qui rappelle parfois les films de Blake Edwards avec l’inspecteur Clouseau.
Le succès d’Imogène McCarthery ne s’est jamais démenti. La saga complète comprend « Imogène est de retour » (1960), « Encore vous, Imogène ? » (1962), « Imogène, vous êtes impossible ! » (1963), « Notre Imogène » (1969), « Les fiançailles d’Imogène » (1971) et « Imogène et la veuve blanche » (1975). Cette longévité témoigne de l’attachement du public pour cette héroïne hors normes.
L’œuvre a connu plusieurs adaptations : un téléfilm en 1970 par Lazare Iglesis, une série télévisée en 1989 par François Leterrier avec Dominique Lavanant, puis un film en 2010 réalisé par Alexandre Charlot et Franck Magnier, avec Catherine Frot dans le rôle-titre. Cette dernière incarnation, si elle n’égale pas la puissance comique de l’original selon certains critiques, confirme la persistance de l’attrait pour ce personnage décalé.
La dimension burlesque du récit ne masque pas sa construction solide. Les rebondissements s’enchaînent avec efficacité jusqu’au retournement final qui renouvelle la lecture de l’ensemble. Cette alliance entre comédie et suspense, servie par des dialogues percutants, inscrit « Ne vous fâchez pas, Imogène ! » dans la tradition du « cosy mystery » britannique, tout en y insufflant une dose de folie bien française.
Aux éditions LE MASQUE ; 191 pages.
2. Série Imogène McCarthery – Imogène est de retour (1960)
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Résumé
Dans la petite ville écossaise de Callander, le retour d’Imogène McCarthery sème la panique. Cette rousse impétueuse, revenue après trois ans d’absence, avait laissé lors de son dernier passage une traînée de cadavres derrière elle. Le sergent Archibald McClostaugh, chargé de maintenir l’ordre, la met aussitôt en garde : au moindre mort, elle finira en prison.
Mais voilà qu’un certain Morton prétend être poursuivi par un fantôme – celui d’un homme dont il a pourtant assisté à l’enterrement trois ans plus tôt. Piquée par la curiosité, Imogène s’en mêle… Et le lendemain, Morton est retrouvé mort. Entre les portes qui claquent, les poings qui se ferment et le whisky qui coule à flots, la ville paisible bascule dans le chaos tandis que les habitants se divisent entre partisans et opposants de l’intrépide écossaise.
Autour du livre
Cette deuxième aventure d’Imogène McCarthery se distingue par son ton délibérément comique et sa structure qui s’apparente davantage à une comédie de situation qu’à un véritable polar. Le microcosme de Callander, avec ses maisonnettes proprettes et son unique hôtel, devient le théâtre d’une succession de péripéties rocambolesques qui rappellent l’atmosphère d’un village d’Astérix.
L’opposition entre Écossais et Anglais constitue l’un des ressorts comiques majeurs du récit. Les traits d’esprit fusent, portés par une « abyssale mauvaise foi » envers les « damnés anglais », qualifiés de « fieffés imbéciles ». Cette rivalité historique se cristallise notamment lors de l’enquête du coroner, séquence qui provoque l’hilarité par son absurdité assumée.
Le personnage d’Imogène, décrit comme une « sorcière aux cheveux rouge » ou une « héroïne d’un autre temps » selon les points de vue, divise la population locale. Son manque de discernement dans l’enquête se trouve compensé par son enthousiasme débordant et son inflexible sens de l’honneur écossais. Catherine Frot a d’ailleurs incarné ce personnage haut en couleur à l’écran en 2011, donnant une nouvelle dimension à cette héroïne atypique.
Si l’intrigue policière reste volontairement secondaire – « la seule question qu’on se pose est : à quel point se trompe-t-elle et pourquoi ? » -, c’est la succession de situations cocasses et de bagarres de taverne qui porte le récit. Le whisky coule à flots, « soigne les plaies » et « ravive les conflits », pendant que le sergent McClostaugh s’arrache désespérément les poils de sa barbe rousse, offrant un spectacle résolument burlesque.
Aux éditions LE MASQUE ; 220 pages.
3. Série Imogène McCarthery – Imogène, vous êtes impossible ! (1963)
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Résumé
À Callander, petit village des Highlands, deux clans s’affrontent : les admirateurs et les détracteurs d’Imogène McCarthery. Cette Écossaise au tempérament de feu, célibataire endurcie, partage son temps entre la dégustation de whisky et la résolution d’énigmes criminelles, au grand dam du sergent McClostaugh. Un soir, elle observe Brian Ardley et Alison Inchbare dans une position compromettante : lui est marié à Mona, une femme fortunée et handicapée, elle à un vétéran militaire qui pourrait être son père.
La mort soudaine de Mona par empoisonnement déclenche une enquête dans laquelle Imogène s’immisce avec sa fougue habituelle. Persuadée de la culpabilité des amants, elle tente d’imposer sa théorie à l’inspecteur Laggan, envoyé spécial de Londres. Mais son entêtement pourrait bien l’éloigner de la vérité, dans une affaire plus complexe qu’elle ne le suppose.
Autour du livre
Ce quatrième opus des aventures d’Imogène McCarthery transpose l’esprit des bandes dessinées d’Astérix dans les Highlands écossais. Les bagarres générales qui éclatent à Callander rappellent directement celles du village gaulois : une simple remarque suffit à déclencher le premier coup, puis la mêlée devient si confuse qu’il devient impossible de distinguer qui combat qui. La dimension policière passe au second plan derrière ces scènes truculentes où le whisky coule à flots et où les habitants règlent leurs différends à coups de poings.
La société dépeinte dans les rues de Callander reflète une Écosse traditionnelle aux mœurs rudes, où la violence conjugale s’exerce parfois en public sans que personne ne s’en offusque. Le divorce, pourtant légal, semble ne pas exister dans l’esprit des habitants. Même le sergent McClostaugh, censé faire respecter l’ordre, se retrouve lui-même au cœur de situations explosives : ses interrogatoires maladroits manquent six fois de lui coûter la vie.
Les habitants de ce village des Highlands se divisent en deux clans irréconciliables : les admirateurs d’Imogène qui prient chaque soir pour sa protection, et ses détracteurs qui espèrent sa disparition. L’entrepreneur de pompes funèbres se réjouit d’ailleurs de sa présence, certain que ses nombreux cercueils en stock finiront bien par trouver preneurs. Cette ambiance particulière transforme une simple enquête criminelle en une comédie sociale où le rire l’emporte souvent sur le suspense.
Les quiproquos s’enchaînent dans une atmosphère loufoque qui doit autant aux romans policiers qu’aux récits picaresques. Le dénouement, qui ne survient qu’aux dernières pages, prend à contre-pied les certitudes établies et révèle combien la présomption d’Imogène et sa fièvre nationaliste ont pu l’égarer dans ses conclusions hâtives.
Aux éditions LE MASQUE ; 250 pages.
4. Série Roméo Tarchinini – Chewing-gum et spaghetti (1959)
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Résumé
En pleine guerre froide, un jeune criminologue américain débarque à Vérone pour étudier les méthodes de la police italienne. Cyrus A. William Leacok, héritier d’une grande famille de Boston, se retrouve sous la tutelle du commissaire Roméo Tarchinini. Ce dernier incarne tout ce que l’Américain méprise : une approche intuitive des enquêtes, une passion démesurée pour la gastronomie et une conviction inébranlable que l’amour régit toute chose.
La découverte d’un corps met à l’épreuve leurs méthodes antagonistes. Pour Leacok, les preuves désignent clairement un suicide. Tarchinini s’insurge : impossible de se donner la mort dans la plus belle ville du monde ! L’enquête démarre sous le signe de l’incompréhension mutuelle. Mais entre les repas gastronomiques, les verres de grappa et les rencontres avec de belles Véronaises, Leacok voit peu à peu ses certitudes vaciller.
Autour du livre
« Chewing-gum et spaghetti » ouvre en 1959 la série des Tarchinini qui comptera huit volumes jusqu’en 1983. Cette première enquête, qui confronte les méthodes policières américaines et italiennes, s’inscrit dans un contexte de guerre froide où les États-Unis affirment leur supériorité sur le vieux continent. Le comique naît de la collision entre deux mondes : d’un côté, la rigueur scientifique et le puritanisme de Boston, de l’autre, l’exubérance et la joie de vivre de Vérone.
La ville de Roméo et Juliette ne constitue pas un simple décor : elle imprègne chaque page de son atmosphère romantique. Le commissaire Tarchinini, prénommé Roméo et marié à Giulietta, incarne cette omniprésence de l’amour qui, selon lui, motive tous les crimes commis dans sa cité. Les spécialités culinaires italiennes parsèment le récit, transformant peu à peu l’austère Leacok qui troquera son coca-cola contre de la grappa.
Le succès de cette formule mêlant polar et comédie pousse Charles Exbrayat à développer d’autres séries similaires, notamment celle d’Imogène qui sera adaptée à la télévision avec Dominique Lavanant. Avant de devenir romancier, Exbrayat exerçait comme journaliste et critique littéraire. Il a également écrit des scénarios adaptant Simenon au cinéma. Son parcours atypique culmine avec l’obtention du prix du roman d’aventures en 1958, un an avant la parution de « Chewing-gum et spaghetti ».
Si l’intrigue criminelle passe au second plan, elle garde une certaine complexité avec ses fausses pistes et ses rebondissements. Les dialogues savoureux alternent entre l’italien et l’anglais, créant des situations cocasses ponctuées par le leitmotiv « E un Americano » que Tarchinini utilise pour excuser le comportement de son collègue. La réédition du texte révèle malheureusement quelques coquilles qui n’entament pas le charme de cette comédie policière devenue un classique du genre.
Aux éditions LE MASQUE ; 320 pages.
5. Série Roméo Tarchinini – Le plus beau des bersagliers (1962)
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Résumé
Dans l’Italie des années 1950, Nino Regazzi fait tourner les têtes à Turin. Ce bersaglier au physique avantageux collectionne les conquêtes féminines sans se soucier des cœurs brisés. La situation dégénère quand trois jeunes femmes, découvrant qu’elles partagent le même amant, viennent au commissariat s’enquérir des peines encourues pour meurtre.
Le lendemain matin, le corps de Nino est découvert, un poignard planté dans le dos. Le commissaire Roméo Tarchinini, en stage à Turin, hérite de l’enquête aux côtés de l’inspecteur Zampol. Les suspects ne manquent pas : les trois jeunes femmes bien sûr, mais aussi le frère d’une quatrième, enceinte, qui avait menacé Nino de mort s’il ne l’épousait pas.
Entre deux interrogatoires, Tarchinini, que l’éloignement de sa chère Giulietta attriste, s’improvise entremetteur. Convaincu que son collègue Zampol, veuf endurci, souffre de solitude, il entreprend de lui trouver l’âme sœur.
Autour du livre
« Le plus beau des bersagliers » s’inscrit dans une série de huit enquêtes du commissaire Tarchinini publiées entre 1959 et 1983 dans la collection Le Masque. Cette deuxième aventure du commissaire véronais reprend la formule qui a fait le succès de « Chewing-gum et spaghetti » : la confrontation entre deux cultures policières. Là où le premier opus opposait méthodes italiennes et américaines, ce nouvel épisode met en scène le choc entre l’exubérance véronaise et la réserve turinoise.
Le personnage de Roméo Tarchinini se distingue dans le paysage du polar par sa conviction que l’amour constitue la clé de toute énigme criminelle. Cette obsession transcende la simple enquête : le commissaire ne peut s’empêcher de jouer les Cupidons auprès de son collègue Zampol, un veuf qu’il devine en manque d’affection. Le dénouement de l’intrigue passe presque au second plan derrière cette entreprise de remise en couple.
La caricature bienveillante de l’Italie traverse chaque page : personnages qui s’expriment avec emphase et gestuelle excessive, sentimentalisme exacerbé, omniprésence des « eh? » ponctuant les dialogues. Ces traits rappellent davantage l’univers de Don Camillo que celui de Pasolini, dans une atmosphère où le rire l’emporte sur le suspense. L’identité du coupable importe moins que le tableau pittoresque d’une société où la passion dicte chaque action.
Les lecteurs de l’époque ont particulièrement apprécié ce mélange entre polar et comédie de mœurs, même si certains critiques préviennent qu’une lecture en rafale des aventures de Tarchinini risque de provoquer une forme d’indigestion. Cette série se démarque comme la plus réussie sur le plan humoristique parmi toute l’œuvre d’Exbrayat, auteur également connu pour son personnage d’Imogène McCarthery, incarnée plus tard au cinéma par Catherine Frot.
Aux éditions LE MASQUE ; 250 pages.