Né le 11 avril 1951 à Fleurus en Belgique, Bernard Tirtiaux grandit dans une famille de cinq enfants. Son adolescence est marquée par un tragique accident de tram qui le laisse amputé d’une jambe. Passionné par le vitrail depuis ses études à l’école abbatiale de Maredsous, il poursuit des études de droit à l’université de Louvain tout en suivant des cours de dessin et de théâtre. Il suit une formation de verrier à La Cambre, puis en France.
De retour dans sa ville natale, il rachète la ferme familiale de Martinrou qu’il transforme en un véritable centre artistique, abritant son atelier de maître verrier et un espace théâtral. Dans les années 1980, il se lance dans un projet architectural original en construisant une maison bulle avec l’aide de deux amis.
Artiste aux multiples talents, Tirtiaux partage son temps entre la création de vitraux pour des églises, la réalisation de sculptures monumentales – dont la célèbre Cathédrale de Lumière érigée en 1995 au centre géographique de l’Europe des Quinze – et ses activités de chanteur et d’acteur de théâtre. Il dirige la Ferme de Martinrou aux côtés de son épouse, avec qui il a trois enfants artistes : deux fils musiciens et une fille peintre.
Sa carrière d’écrivain démarre en 1993 avec « Le passeur de lumière » et se poursuit avec plusieurs romans remarqués, dont « Pitié pour le mal » qui lui vaut trois récompenses au prix des lycéens 2006-2007. Issu d’une famille d’artistes, il est le frère de l’écrivain François Emmanuel et le neveu d’Henry Bauchau.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Le passeur de lumière (1993)
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Résumé
Au début du XIIe siècle, Nivard de Chassepierre, jeune orfèvre talentueux originaire de Huy sur les bords de la Meuse, doit fuir sa ville après avoir tué en duel le seigneur qui avait déshonoré sa mère. Il trouve alors refuge auprès de Rosal de Sainte-Croix, un ancien compagnon de son père mort en croisade. Cet architecte visionnaire perçoit en Nivard le futur maître verrier capable de sublimer les cathédrales qu’il rêve d’édifier. Commence alors pour le jeune homme un parcours initiatique à travers l’Europe et l’Orient, de Saint-Denis à Constantinople, à la recherche des secrets de fabrication du verre et des couleurs. Sa quête de la lumière parfaite sera jalonnée de drames et de passions. De retour en Occident, il créera les vitraux des plus prestigieuses cathédrales.
Autour du livre
Premier roman de Bernard Tirtiaux publié en 1993 chez Denoël, « Le passeur de lumière » puise sa source dans la contemplation de la rosace de Saint-Jean-des-Vignes à Soissons. L’auteur, lui-même maître verrier depuis l’âge de 18 ans, transpose sa passion du verre dans cette fresque médiévale qui entremêle histoire des cathédrales et quête spirituelle.
Le récit s’inscrit dans un moment charnière de l’histoire de l’art : l’émergence de l’architecture gothique et la fondation de l’ordre des Templiers. À travers le personnage de Nivard, Tirtiaux restitue la complexité d’une époque où les croisades, loin de n’être que conquêtes sanglantes, permettent la circulation des savoirs entre Orient et Occident. Les maîtres verriers parcourent l’Europe et le Proche-Orient à la recherche de nouvelles techniques, de pigments rares, inventant des couleurs comme le célèbre « Bleu de Chartres » que notre technologie moderne ne parvient toujours pas à reproduire.
La dimension initiatique structure sensiblement le roman, organisé en 33 chapitres – nombre symbolique correspondant au dernier grade maçonnique. Tirtiaux y dévoile les arcanes d’un métier où technique et spiritualité se confondent : le verrier devient alchimiste, transformant la matière pour capturer la lumière divine. Cette quête de perfection absolue résonne avec les préoccupations contemporaines, notamment face à la montée des obscurantismes.
Les critiques saluent la capacité de l’auteur à transmettre les aspects techniques de l’art verrier sans jamais lasser. Si certains lecteurs déplorent un style parfois trop orné ou des personnages manquant de nuances, la majorité s’accorde sur la puissance évocatrice du récit. L’ouvrage a reçu plusieurs prix littéraires et a définitivement modifié le regard de nombreux lecteurs sur les vitraux des cathédrales.
Aux éditions FOLIO ; 400 pages.
2. Les sept couleurs du vent (1995)
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Résumé
En cette seconde moitié du XVIe siècle, Sylvain Chantournelle, compagnon charpentier surnommé Visentin le Pacifique par ses pairs, revient dans ses Vosges natales après sept années d’apprentissage. Ne retrouvant que son frère de lait Lionel, devenu séminariste, il remet en état le domaine familial avant de repartir sur les routes. Doté d’une nature solaire et optimiste, il refuse de porter une arme malgré les guerres de religion qui déchirent la France. Sa passion pour la musique le pousse à concevoir un rêve fou : construire des orgues monumentales sur terre et sur mer, dans l’espoir que leurs mélodies apaisent la violence de son temps. Sur son chemin, il rencontre Mathilde, dont il tombe éperdument amoureux. Malgré leur différence sociale, il entreprend de conquérir sa main en refaisant le toit de sa famille. Commence alors une vie d’errance entre chantiers et voyages, toujours guidée par son idéal de beauté.
Autour du livre
Dans « Les sept couleurs du vent », Bernard Tirtiaux célèbre le compagnonnage du XVIe siècle à travers une fresque où s’entremêlent l’excellence artisanale et la quête d’absolu. Le personnage de Sylvain Chantournelle incarne les valeurs fondamentales de cette confrérie : le partage des savoirs, l’entraide, la recherche permanente du dépassement de soi. Chaque rencontre sur sa route devient une occasion d’enrichissement mutuel, sans trace de jalousie entre les compagnons qui échangent leurs techniques et leurs secrets.
La musique pulse au cœur du récit, d’abord à travers les appeaux que Sylvain façonne avec minutie – « six instruments différents rien que pour les grives » – puis dans son « nymphaïon », orgue portatif qui enchante les musiciens croisés sur son chemin. Cette quête musicale culmine dans son projet le plus audacieux : des orgues marines dont « deux roues à aube fixées sur les flancs du navire mettent en branle les soufflets qui fournissent le vent des tuyères. »
Le contexte historique des guerres de religion confère une dimension supplémentaire à cette recherche d’harmonie. Face aux massacres qui ensanglantent la France, notamment celui de la Saint-Barthélemy, Sylvain oppose une douceur inébranlable, refusant de porter une arme et conservant son sourire lumineux. Sa réponse à la violence reste invariablement la même : créer de la beauté.
Le ton poétique qui imprègne la narration fait écho à la sensibilité du protagoniste. Les descriptions techniques du travail du bois s’entrelacent avec des passages d’une grande sensualité, comme lorsque le vent des notes « fait frissonner son ventre, ses seins, ses épaules » de la musicienne imaginée. Cette fusion entre la maîtrise artisanale et l’élan artistique rappelle par moments « Le Nom de la Rose » d’Umberto Eco, transposé dans l’univers des bâtisseurs et de la musique plutôt que celui des livres.
Plusieurs critiques soulignent le potentiel cinématographique de l’œuvre, dont la dimension visuelle et la succession d’aventures romanesques évoquent l’esprit des romans d’Alexandre Dumas. La singularité de Tirtiaux réside dans sa connaissance intime du monde qu’il dépeint : lui-même maître verrier accueilli par les compagnons, il insuffle à son récit une authenticité qui transcende la simple reconstitution historique.
Aux éditions FOLIO ; 384 pages.
3. Aubertin d’Avalon (2002)
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Résumé
En cette fin de XIIe siècle, Aubertin d’Avalon, maître sculpteur et bâtisseur de cathédrale, traverse une période sombre. Évincé du chantier de Notre-Dame de Paris et veuf d’Ermeline qu’il chérissait, il se consacre à sculpter inlassablement le portrait de sa défunte épouse. Ses trois fils sont partis en croisade, le laissant seul avec Sauvejoie, son fils adoptif. Les Templiers lui proposent alors une mission singulière : concevoir les plans d’une nouvelle cathédrale à Chartres et rapporter de Palestine le feu divin du Buisson Ardent, conservé depuis des siècles, destiné à incendier l’édifice roman existant. Pour Aubertin, ce geste représente un sacrilège envers les bâtisseurs, mais l’espoir de retrouver ses fils le pousse à accepter ce périple qui le transformera profondément.
Autour du livre
Le point de départ du roman s’ancre dans un fait historique avéré : l’incendie de la cathédrale romane de Chartres en 1194 et sa reconstruction immédiate, suggérant que plans et financement étaient prêts avant même le sinistre. Bernard Tirtiaux, lui-même maître verrier, sculpteur et homme de spectacle, insuffle à son récit la passion des artisans médiévaux. Cette double identité d’artiste et d’écrivain transparaît particulièrement dans les passages où il décrit le travail de la pierre et la quête spirituelle qui anime les bâtisseurs de cathédrales.
L’œuvre entremêle plusieurs niveaux de lecture : la dimension historique des croisades, le questionnement spirituel d’un homme qui « cherche une renaissance », et une réflexion sur l’art comme vecteur de transcendance. Le personnage d’Aubertin incarne cette complexité : homme de foi prudente et rebelle, il sculpte pour apaiser sa révolte tout en blasphémant quand le sort l’accable.
La présence du personnage de Guiot de Provins, religieux passionné par les aventures de Perceval, établit un lien avec la littérature médiévale – ce troubadour serait la source du « Parzival » de Wolfram von Eschenbach. Cette référence littéraire s’inscrit dans un tissu d’éléments historiques minutieusement documentés qui confèrent au récit sa profondeur.
Le roman soulève des questions fondamentales sur le renouveau et la destruction créatrice : faut-il nécessairement détruire pour reconstruire ? Un bâtisseur peut-il devenir destructeur ? Ces interrogations résonnent particulièrement avec l’incendie récent de Notre-Dame de Paris, rappelant que les cathédrales demeurent des témoins vivants de l’histoire, perpétuellement menacés et renaissants.
Aux éditions JC LATTÈS ; 300 pages.
4. Pitié pour le mal (2006)
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Résumé
1944, dans une ferme de Wallonie. La guerre touche à sa fin quand des soldats allemands démobilisés réquisitionnent Gaillard de Graux, un magnifique cheval de trait maintes fois primé. Pour Mutien et son jeune frère Abel, c’est un affront impardonnable : ce brabançon faisait la fierté de leur père, exécuté par les nazis un an plus tôt. Les deux garçons, âgés de 13 et 8 ans, se lancent dans une folle équipée à travers les terres dévastées pour récupérer l’animal. Au fil des semaines, ils se rapprochent du convoi et nouent des liens imprévus avec certains soldats, notamment Gunther, un vieil officier qui veille sur eux discrètement.
Autour du livre
Entre récit initiatique et méditation sur la guerre, « Pitié pour le mal » déploie une réflexion sur la nature humaine à travers le regard d’un enfant. Bernard Tirtiaux construit son roman sur une double temporalité : le périple des frères en 1944 et, des années plus tard, la découverte par Abel des lettres échangées entre Mutien et Gunther. Cette structure permet d’éclairer les événements sous différents angles et de mesurer l’impact durable de cette expérience sur les protagonistes.
La force du récit réside dans sa capacité à transcender les clichés sur la guerre pour interroger la frontière ténue entre amis et ennemis. À travers la figure de Gunther, soldat allemand aux « mains en or qui sculptent le bois », se dessine la possibilité d’une humanité commune par-delà les conflits. Les deux frères réagissent différemment à cette découverte : si Abel s’ouvre progressivement à cette complexité, Mutien reste longtemps prisonnier de sa haine, avant que la correspondance avec Gunther ne révèle son évolution.
La quête du cheval, symbole de l’honneur familial, devient le prétexte d’une réflexion plus vaste sur la transmission et la résilience. La phrase « Il faut transmettre à nos enfants la vigilance plutôt que la haine » résume l’ambition du roman : substituer à la vengeance une forme de sagesse lucide. Le titre même, « Pitié pour le mal », suggère une troisième voie entre le pardon impossible et la rancœur destructrice.
Les figures des deux frères incarnent des trajectoires opposées mais complémentaires : Mutien, fougueux et rebelle, deviendra un aventurier parcourant le monde, tandis qu’Abel choisira la vie monastique avant de s’en délier. Leur relation fraternelle, faite de rudesse et d’admiration muette, constitue le cœur émotionnel du récit.
Le roman a reçu un accueil critique enthousiaste, notamment en Belgique, où il a été salué pour sa capacité à renouveler la littérature sur la Seconde Guerre mondiale. Les lecteurs ont particulièrement apprécié sa dimension universelle qui dépasse le cadre historique pour questionner les mécanismes de la haine et les possibilités de réconciliation.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 192 pages.
5. Noël en décembre (2015)
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Résumé
En 1914, le destin lie le petit Noël, fils de fermiers wallons, à Luise, nouveau-née confiée à sa famille par une mère allemande en fuite. Durant huit ans, les enfants grandissent ensemble jusqu’au retour de Klara qui emmène sa fille à Vienne où elle vit avec son mari juif. Malgré la distance, Noël et Luise maintiennent leur relation à travers des retrouvailles lors des fêtes de fin d’année. Mais la montée du nazisme et la déportation de la famille de Luise viennent briser ce fragile équilibre. Le récit prend la forme d’une longue lettre dans laquelle Noël, devenu photographe puis aviateur, retrace trois décennies de passion et d’absence, porté par l’espoir de retrouver celle qui incarne son premier et unique amour.
Autour du livre
« Noël en décembre » s’inspire d’événements réels, ce qui confère au récit une épaisseur historique particulière. L’histoire s’articule autour d’une narration à la première personne où Noël s’adresse directement à Luise, créant une intimité saisissante avec le lecteur. Cette structure épistolaire permet d’incarner la quête amoureuse tout en dressant un tableau de l’Europe entre 1914 et 1945.
Le texte transcende le simple roman d’amour pour aborder des thématiques universelles : l’identité, l’appartenance, le déracinement. Luise incarne cette complexité : ni totalement allemande, ni belge, ni juive, ni aryenne, elle cristallise les déchirements de son époque. Sa relation avec Noël évolue subtilement, passant d’un amour fraternel à une passion romantique, tandis que l’Histoire s’immisce dans leur destin.
Bernard Tirtiaux brode un récit où la musique et la photographie occupent une place centrale. Ces arts deviennent les vecteurs d’expression des sentiments, notamment à travers l’album photo que Noël compose pour Luise, véritable déclaration d’amour visuelle.
Les scènes de guerre, particulièrement celles de 1914-1918, s’appuient sur des témoignages oraux recueillis dans l’est de la Belgique, conférant au récit une authenticité historique remarquable. Le père de Noël, gazé pendant la Grande Guerre, symbolise les traumatismes indélébiles du conflit, tandis que le personnage de Léopold, frère débrouillard pratiquant le marché noir, illustre les stratégies de survie en temps de guerre.
Aux éditions JC LATTÈS ; 250 pages.