Willa Cather naît le 7 décembre 1873 dans une ferme de Virginie. À l’âge de neuf ans, sa famille déménage dans le Nebraska, d’abord dans une ferme, puis dans la petite ville de Red Cloud. Cette région des Grandes Plaines, alors encore considérée comme une frontière, marque durablement la future écrivaine par ses paysages grandioses et la diversité de ses habitants, notamment les immigrants européens.
Brillante élève, elle étudie à l’Université du Nebraska où elle découvre sa vocation d’écrivaine. Après ses études, elle part pour Pittsburgh où elle travaille comme journaliste et enseignante. À 33 ans, elle s’installe à New York, qui devient sa résidence principale pour le reste de sa vie.
Sa carrière littéraire décolle véritablement avec sa « Trilogie de la Prairie » : « Pionniers » (1913), « Le Chant de l’alouette » (1915) et « Mon Ántonia » (1918). Ces romans, qui dépeignent la vie des pionniers dans les Grandes Plaines, lui apportent la reconnaissance critique. En 1923, elle reçoit le Prix Pulitzer pour « L’un des nôtres » (1922). Son roman « La Mort et l’Archevêque » (1927) devient l’un de ses plus grands succès.
Personnalité résolument privée, Cather partage sa vie avec l’éditrice Edith Lewis pendant 39 ans. Ensemble, elles partagent leur temps entre New York et leur résidence d’été sur l’île de Grand Manan, au Nouveau-Brunswick. En 1945, elle est diagnostiquée d’un cancer du sein. Elle meurt d’une hémorragie cérébrale le 24 avril 1947 à New York, à l’âge de 73 ans. Elle est enterrée aux côtés d’Edith Lewis à Jaffrey, dans le New Hampshire.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Mon Ántonia (1918)
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Résumé
En 1880, dans les grandes plaines du Nebraska, deux enfants débarquent du même train : Jim Burden, un orphelin de dix ans venu de Virginie rejoindre ses grands-parents, et Ántonia Shimerda, fille d’immigrants tchèques fraîchement arrivés d’Europe. Les deux familles s’installent sur des terres voisines, dans cette région encore sauvage où la survie dépend de la capacité à dompter une nature hostile.
Entre Jim et Ántonia naît une amitié profonde, nourrie par leurs découvertes communes de ce nouveau territoire. Mais la rudesse de la vie de pionnier frappe brutalement la famille Shimerda : le père, musicien raffiné inadapté à sa nouvelle condition de fermier, se suicide durant un hiver glacial. Pour Ántonia, c’est le début d’une vie de labeur. Elle doit travailler aux champs comme un homme, sous l’autorité de son frère aîné Ambrosch. Malgré une existence difficile, elle conserve néanmoins son optimisme.
Lorsque les grands-parents de Jim déménagent en ville, la jeune fille trouve un emploi de domestique chez les Harling. Cette nouvelle vie citadine s’accompagne de promesses et de dangers : si Ántonia s’épanouit auprès des enfants dont elle a la charge, elle doit aussi faire face aux avances menaçantes de son employeur, Mr Cutter. Pendant ce temps, Jim excelle dans ses études. Alors qu’il s’apprête à partir étudier à l’université, ses sentiments pour Ántonia prennent une nouvelle dimension. Mais leurs chemins semblent destinés à se séparer.
Autour du livre
La genèse de « Mon Ántonia » doit beaucoup à Viola Roseboro’, éditrice de Willa Cather au magazine McClure’s. Après plusieurs refus du manuscrit original, elle lui suggère de modifier radicalement la narration pour adopter le point de vue de Jim Burden. Cette recommandation s’avère décisive : publié en 1918, le roman constitue le dernier volet de la « Trilogie de la Prairie » après « Pionniers » (1913) et « Le Chant de l’alouette » (1915). Chaque tome peut toutefois se lire indépendamment des autres.
L’originalité narrative réside dans son dispositif d’enchâssement : une narratrice présentée comme Cather elle-même introduit le manuscrit de Jim Burden, son ami d’enfance devenu avocat new-yorkais. Cette mise à distance permet à l’autrice d’aborder avec subtilité les questions de genre et d’immigration. À travers le regard masculin de Jim se dessine le portrait d’une femme exceptionnelle qui transcende les conventions sociales de son époque. La prairie du Nebraska, décrite avec une sensualité saisissante, s’impose comme un personnage à part entière. Les descriptions des paysages traduisent la communion profonde entre les personnages et cette terre encore sauvage.
Le roman propose une méditation sur la mémoire et l’identité américaine. Les immigrants européens – Tchèques, Norvégiens, Suédois, Russes – y apparaissent comme les véritables pionniers d’une Amérique en construction. Leurs difficultés d’adaptation, leurs espoirs et leurs désillusions composent une fresque sociale d’une grande justesse. Le personnage d’Ántonia incarne cette double appartenance : fidèle à ses racines bohémiennes tout en participant activement à la conquête de l’Ouest américain.
La critique salue unanimement la parution de « Mon Ántonia » en 1918. Le livre est immédiatement considéré comme un chef-d’œuvre qui propulse Cather au premier rang des romanciers américains. H. L. Mencken souligne qu’aucune fiction romantique écrite en Amérique n’égale sa beauté. En 2020, le critique Robert Christgau le qualifie de « magnifique roman encore trop méconnu ». L’écrivaine Rebecca Traister confie en 2021 qu’elle y retourne régulièrement pour « la pure beauté de sa prose ».
En 2010, l’Illusion Theater de Minneapolis présente une version théâtrale écrite par Allison Moore, sur une musique originale de Roberta Carlson. La production reçoit le Prix Ivey et part en tournée dans le Minnesota et le Nebraska. En 2018, le Book-It Repertory Theatre de Seattle propose une nouvelle adaptation signée Annie Lareau. Le Seattle Weekly salue la réussite de cette mise en scène qui, en jouant sur une distribution ethniquement mixte, souligne la résonance contemporaine du texte face aux débats sur l’immigration. Une adaptation télévisuelle voit également le jour en 1995.
Aux éditions RIVAGES ; 352 pages.
2. L’un des nôtres (1922)
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Résumé
Dans les premières décennies du XXe siècle, Claude Wheeler grandit dans une ferme prospère du Nebraska. Fils d’un agriculteur accompli et d’une mère profondément pieuse, il mène une existence confortable mais insatisfaisante. Malgré son désir d’étudier à l’université d’État, ses parents l’inscrivent dans un modeste établissement chrétien. Sa rencontre avec la famille Erlich, qui lui fait découvrir la musique, l’art du débat et la liberté de pensée, lui ouvre de nouveaux horizons. Mais ses aspirations sont brutalement interrompues quand son père agrandit l’exploitation familiale, le contraignant à abandonner ses études pour gérer une partie de la ferme.
Dans l’espoir de donner un sens à son existence, Claude épouse Enid Royce, une amie d’enfance. Son mariage s’avère rapidement désastreux : son épouse, plus passionnée par l’activisme politique et le travail missionnaire que par leur vie commune, finit par partir en Chine au chevet de sa sœur malade. De retour dans la ferme familiale, Claude suit avec attention les nouvelles de la Première Guerre mondiale qui fait rage en Europe. Quand les États-Unis entrent dans le conflit, il s’engage dans l’armée, convaincu d’avoir enfin trouvé sa voie. Malgré une épidémie de grippe dévastatrice et les conditions effroyables du front, Claude Wheeler éprouve pour la première fois le sentiment d’être utile. Son parcours le conduit jusqu’aux tranchées françaises, où il se retrouve confronté à une offensive allemande d’une violence inouïe.
Autour du livre
La genèse de « L’un des nôtres » prend racine dans la propre histoire de Willa Cather. Le personnage de Claude Wheeler s’inspire de son cousin Grosvenor Cather, né et élevé dans la ferme voisine de celle de sa famille. Dans une lettre à Dorothy Canfield Fisher, elle confie avoir mêlé des éléments de sa propre personnalité à celle de son cousin. La mort de Grosvenor au combat en 1918 à Cantigny, en France, bouleverse profondément la romancière qui apprend la nouvelle dans un salon de coiffure. Sa disparition agit comme un déclencheur : « Il était tellement présent dans mon esprit que je ne pouvais penser à rien d’autre… une partie de moi a été enterrée avec lui en France, et une partie de lui est restée vivante en moi. »
Pour donner corps à son récit, Cather effectue un minutieux travail de documentation. Elle s’appuie sur les lettres de son cousin et celles de David Hochstein, un violoniste new-yorkais qui servira de modèle au personnage de David Gerhardt. Elle interroge des vétérans et des soldats blessés dans les hôpitaux, s’intéressant particulièrement aux témoignages des ruraux du Nebraska qu’elle relate dans un article intitulé « Roll Call on the Prairie ». Elle se rend également sur les champs de bataille français pour s’imprégner des lieux.
La structure du roman, scindée en deux parties, reflète le parcours intérieur du protagoniste. La première moitié, ancrée dans le Nebraska, dépeint les tourments d’un homme en quête de sens. La seconde partie, située en France, montre comment cette quête trouve son aboutissement dans l’expérience de la guerre. Claude Wheeler incarne une figure emblématique de l’Amérique : celle d’un jeune homme né après la disparition de la frontière, dont l’agitation caractéristique le pousse à chercher sa rédemption sur un autre front, bien plus sanglant.
La réception critique de « L’un des nôtres », couronné par le Prix Pulitzer en 1923, s’avère contrastée. Sinclair Lewis salue la première partie située dans le Nebraska mais critique la seconde, qu’il considère comme un assemblage de « clichés des romans de guerre ordinaires ». H. L. Mencken, pourtant admirateur des œuvres précédentes de Cather, compare les scènes de guerre à un « feuilleton du Lady’s Home Journal ». Ernest Hemingway formule la critique la plus acerbe, accusant Cather d’avoir copié les scènes de bataille du film « Birth of a Nation ». Ces réserves n’empêchent pas le roman de toucher un public plus large que les précédents ouvrages de l’écrivaine américaine. Les critiques lui reprochent principalement sa vision positive de la guerre, à contre-courant des œuvres désabusées et antimilitaristes de l’époque, comme « Trois soldats » de John Dos Passos.
Aux éditions RIVAGES ; 592 pages.
3. La Mort et l’Archevêque (1927)
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Résumé
En 1851, Jean Marie Latour, un prêtre français, quitte l’Ohio pour le Nouveau-Mexique récemment annexé aux États-Unis. Nommé vicaire apostolique de ce vaste territoire, il part accompagné de son ami Joseph Vaillant. Le périple s’avère périlleux : depuis Cincinnati, terminus de la ligne ferroviaire, ils doivent emprunter le fleuve jusqu’au golfe du Mexique puis traverser le désert, un voyage qui durera une année entière.
À leur arrivée à Santa Fe, les deux hommes découvrent une terre aride et hostile, peuplée de Mexicains et d’Indiens, où quelques prêtres corrompus règnent en maîtres sur leurs paroisses. Entre les tensions avec le clergé local, les conditions climatiques extrêmes et l’immensité du territoire à couvrir, leur mission s’annonce ardue.
Latour, intellectuel raffiné, et Vaillant, personnage disgracieux mais dévoué, devront user de diplomatie et de persévérance pour établir l’autorité de l’Église catholique dans cette contrée sauvage. À dos de mule, ils sillonnent inlassablement le pays, visitant les pueblos isolés, célébrant mariages et baptêmes, construisant des églises et des écoles. Au fil des années, entre miracles et épreuves, ils finiront par nouer de puissants liens avec cette terre et ses habitants.
Autour du livre
Willa Cather puise son inspiration dans la vie de Jean-Baptiste Lamy, premier archevêque de Santa Fe, dont elle découvre la statue dans la cathédrale de la ville. Pour documenter son récit, elle s’appuie notamment sur la biographie du Révérend Joseph P. Machebeuf, ami de Lamy, consultée en 1925. La romancière ne cherche pas à produire une œuvre strictement historique mais transfigure la réalité pour créer une méditation sur la foi, l’amitié et la rencontre des cultures.
L’originalité du récit réside dans sa structure épisodique : plutôt qu’une intrigue linéaire, Cather propose une série de tableaux qui s’enchaînent comme autant de miniatures. Les descriptions des paysages du Nouveau-Mexique acquièrent une dimension presque mystique sous sa plume. Les relations entre les différentes communautés – Mexicains, Indiens Pueblos, Navajos, colons américains – sont dépeintes avec finesse et nuance. Le livre se distingue également par son traitement de la spiritualité : bien que n’étant pas catholique elle-même, Cather parvient à restituer avec justesse la vie intérieure de ses personnages.
La critique salue unanimement la parution du livre en 1927. Le magazine Time le classe parmi les 100 meilleurs romans de langue anglaise publiés entre 1923 et 2005. La Modern Library l’inclut dans sa liste des 100 meilleurs romans du XXe siècle. Les Western Writers of America le désignent comme le septième meilleur roman western du siècle dernier. Il figure également dans la liste des 100 livres majeurs établie par le magazine Life pour la période 1924-1944. Les universitaires soulignent sa modernité dans son questionnement sur le genre et l’identité, notamment à travers le personnage de Latour qui transcende les normes de la masculinité et de la féminité. Le livre reçoit en 1930 la médaille William Dean Howells de l’American Academy of Arts and Letters.
Aux éditions LES BELLES LETTRES ; 285 pages.