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Victor Segalen en 3 livres – Notre sélection

Victor Segalen naît le 14 janvier 1878 à Brest dans une famille bourgeoise. Après des études de médecine à l’École de Santé Navale de Bordeaux, il devient médecin de marine, ce qui lui permet de voyager à travers le monde. Sa première affectation le conduit en Polynésie en 1903, où il découvre l’œuvre de Paul Gauguin qui vient de mourir. Cette rencontre posthume avec l’artiste marque profondément sa sensibilité et influence son premier roman, « Les Immémoriaux », publié en 1907 sous le pseudonyme de Max-Anély.

En 1909, Segalen part pour la Chine où il entreprend deux grandes expéditions archéologiques. Il y découvre une culture qui le fascine et inspire certaines de ses œuvres majeures comme « Stèles » (1912) et « René Leys » (1922). Sa quête d’exotisme et son intérêt pour les civilisations orientales nourrissent toute son œuvre poétique et romanesque.

La Première Guerre mondiale le ramène en France, où il sert comme médecin militaire. En 1917, il repart en Chine pour une mission de recrutement de travailleurs. De retour en France en 1918, épuisé et dépressif, il est hospitalisé à plusieurs reprises. Le 21 mai 1919, lors d’une promenade dans la forêt de Huelgoat en Bretagne, il meurt dans des circonstances mystérieuses, un exemplaire d’Hamlet à ses côtés. Il laisse une œuvre originale et novatrice, à la croisée de la poésie, du roman et de l’ethnographie, qui influence profondément la littérature française du XXe siècle.

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. Les Immémoriaux (roman, 1907)

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Résumé

À la fin du XVIIIe siècle, sur l’île de Tahiti, Térii occupe la fonction sacrée de « haèré-po », prêtre-récitant chargé de perpétuer oralement la mémoire et les traditions du peuple maori. Lors d’une cérémonie rituelle, il commet l’impardonnable : un trou de mémoire dans la récitation des généalogies divines. Cette défaillance coïncide avec l’arrivée des premiers Européens sur l’île, « hommes à la peau blême » porteurs d’armes à feu et d’une nouvelle religion. Contraint à l’exil, Térii entreprend un périple de vingt ans à travers les îles polynésiennes, en quête des savoirs ancestraux. À son retour, il découvre une société tahitienne métamorphosée : les missionnaires protestants anglais ont imposé leur dieu Iésu-Kérito (Jésus-Christ) et leurs codes moraux.

Autour du livre

À travers les yeux des Maoris, « Les Immémoriaux » dépeint la transformation radicale de la société tahitienne sous l’influence des missionnaires protestants. Ce changement de perspective marque une rupture avec la littérature coloniale traditionnelle. En inversant le point de vue habituel, les rituels chrétiens, la monogamie et le repos dominical apparaissent dans leur dimension la plus étrange aux yeux des autochtones. Un exemple saisissant illustre cette inversion : les célébrations religieuses occidentales sont perçues comme une « religion maigre » en comparaison des festivités sensuelles traditionnelles des Tahitiens.

Premier roman de Segalen publié en 1907 sous le pseudonyme de Max-Anély, « Les Immémoriaux » naît de son expérience de médecin de la marine française à Tahiti. Son arrivée en 1903, quelques mois après la mort de Paul Gauguin, le confronte à une société polynésienne en pleine mutation. Cette observation directe nourrit sa réflexion sur l’altérité, développée plus tard dans son « Essai sur l’exotisme ». Il y rejette catégoriquement les clichés habituels : « le palmier et le chameau, casque de colonial, peaux noires et soleil jaune ». Sa conception de l’exotisme se fonde sur « la perception aiguë et immédiate d’une incompréhensibilité éternelle ».

Seul roman français longtemps accepté dans le panthéon culturel maori, « Les Immémoriaux » préfigure les réflexions postcoloniales du XXe siècle. Le philosophe Édouard Glissant s’approprie notamment le concept segalénien du « Divers » pour élaborer sa théorie du « Tout-Monde ». Cette approche novatrice se manifeste jusque dans la structure narrative : le texte intègre des expressions maories et adopte un point de vue interne qui rompt avec les codes de la littérature exotique encore en vogue au début du XXe siècle.

La construction en trois parties souligne la métamorphose de la société tahitienne : les premiers contacts avec les Européens, suivis du périple initiatique de Térii, puis son retour dans une île profondément transformée. Cette structure met en lumière, comme dans un miroir inversé, l’ampleur des changements survenus en l’espace d’une génération. Si l’acculturation des Maoris constitue le cœur du récit, Segalen évite tout manichéisme en soulignant aussi la responsabilité des chefs locaux, notamment Pomare, dans ce bouleversement culturel.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 316 pages.


2. René Leys (roman, 1922)

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Résumé

En 1911, à Pékin, un narrateur français tient son journal alors que la dynastie des Qing agonise. Obsédé par les mystères de la Cité interdite, il cherche à percer les secrets du palais impérial et à découvrir la vérité sur la mort suspecte de l’empereur Guangxu, survenue trois ans plus tôt. Sa quête piétine jusqu’à sa rencontre avec René Leys, un jeune Belge de dix-neuf ans devenu son professeur de mandarin. Ce dernier prétend non seulement avoir été l’ami de l’empereur défunt, mais aussi être le chef de la police secrète et l’amant de l’impératrice douairière. Le narrateur se laisse peu à peu envoûter par les confidences de plus en plus extravagantes de son jeune mentor, sans pouvoir démêler le vrai du faux.

Autour du livre

Les éléments qui constituent la genèse de « René Leys » se mêlent intimement à la vie de Segalen en Chine. En juin 1910, alors qu’il travaille sur « Le Fils du Ciel » et « Stèles », l’écrivain rencontre Maurice Roy, un jeune Français de dix-neuf ans qui maîtrise parfaitement le pékinois. Cette rencontre s’avère providentielle : Roy devient non seulement son professeur de chinois mais aussi son conseiller pour « Le Fils du Ciel », un projet ambitieux sur l’empereur Guangxu. Les conversations entre les deux hommes prennent une telle importance que Segalen crée un dossier séparé intitulé « Les Annales secrètes d’après M.R. » pour les consigner.

En 1912, la fascination initiale laisse place à une distance critique, comme en témoigne une confidence à Jean Lartigue où Segalen évoque un « laisser-aller sentimental ». Cette prise de recul nourrit l’ironie qui irrigue le texte final. D’abord conçu comme un simple divertissement en marge de travaux plus sérieux, le manuscrit évolue sous différents titres : « Le Mystère de la Chambre violâtre », « Le Jardin mystérieux ». Dans une lettre à Jules de Gaultier en 1914, Segalen le qualifie de « roman simili-policier de la vie pékinoise ».

Contrairement à l’indication finale du manuscrit qui mentionne une rédaction du « 1er novembre 1913 au 31 janvier 1914 », l’écriture s’étend sur plusieurs années. Jean Lartigue note dans son journal, dès mai 1913, la lecture de « trente pages du Jardin mystérieux ». Deux versions manuscrites se succèdent : la première en 1913-1914, la seconde à Brest en 1916, où le texte passe de 413 à 334 pages, témoignant d’un important travail de concision.

La dimension autobiographique se double d’une réflexion sur les limites du roman traditionnel. Dans un projet d’article de 1910, Segalen fustige « l’auteur » omniprésent et les conventions du récit naturaliste. Cette posture critique se reflète dans la structure même du texte qui annonce d’emblée son propre échec. Les scènes de la vie pékinoise alternent avec des passages d’une grande drôlerie, notamment dans la description des généalogies impériales ou des représentations d’opéra.

La mort de Segalen en 1919 dans des circonstances mystérieuses précède la publication. Une première version expurgée paraît dans la Revue de Paris en 1921 sous le titre « D’après René Leys », suivie en 1922 de l’édition intégrale chez Georges Crès. Le pseudonyme choisi plus tard par Pierre Ryckmans – Simon Leys – témoigne de l’influence durable de cette œuvre sur les sinologues occidentaux.

Aux éditions FOLIO ; 432 pages.


3. Stèles (recueil de poèmes, 1912)

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Publié en 1912 à Pékin, « Stèles » est un recueil poétique singulier qui s’inspire directement des monuments épigraphiques chinois. Victor Segalen transpose dans son œuvre la forme hiératique de ces pierres dressées qui, sous la dynastie Zhou, servaient de poteaux sacrificiels avant d’adopter une fonction funéraire sous les Han. Le recueil se structure autour de six ensembles correspondant aux orientations cardinales traditionnelles chinoises : les stèles face au Midi célèbrent le pouvoir impérial, celles face au Nord évoquent l’amitié, les stèles orientées traitent de l’amour, tandis que les « occidentées » relatent les faits guerriers. S’y ajoutent les stèles « du bord du chemin », sans orientation définie, et les « stèles du milieu », point culminant de l’œuvre.

L’édition originale, tirée à seulement 81 exemplaires hors commerce sur papier de Corée, reproduit scrupuleusement les proportions des stèles chinoises. Chaque poème s’inscrit dans un cadre rectangulaire noir et s’accompagne d’épigraphes en caractères chinois – non pas de simples traductions mais des paraphrases qui dialoguent avec le texte français. Cette mise en page particulière participe pleinement au projet poétique.

Loin de tout exotisme superficiel, Segalen élabore une poétique de l’altérité radicale. Les poèmes, construits selon une structure bipartite rigoureuse, mettent en scène différentes voix : celle de l’Empereur, des dignitaires ou de l’historiographe officiel. Mais sous ces masques énonciatifs perce la subjectivité du poète qui, par le jeu de l’ironie et de la négation, subvertit les codes du discours commémoratif traditionnel.

La mort mystérieuse de Segalen en 1919 dans la forêt de Huelgoat, un exemplaire d’Hamlet à la main, ajoute une dimension tragique à cette œuvre qui n’a cessé d’interroger l’absence et la différence. Méconnu à sa parution, « Stèles » s’est imposé comme l’un des recueils majeurs du XXe siècle, ouvrant la voie à une conception nouvelle de la poésie, déliée des conventions occidentales et attentive aux résonances entre les cultures.

Aux éditions GALLIMARD ; 160 pages.

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