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Stig Dagerman en 3 livres – Notre sélection

Stig Dagerman en 3 livres – Notre sélection

Né le 5 octobre 1923 à Älvkarleby en Suède, Stig Halvard Jansson, qui prendra plus tard le nom de Dagerman, connaît une enfance marquée par l’abandon. Sa mère le quitte peu après sa naissance, et son père, ouvrier, est peu présent. Ce sont ses grands-parents qui l’élèvent à la campagne, dans une ferme modeste au bord du Dalälven. La vie n’y est pas facile ; le jeune Stig apprend tôt ce que signifient les dettes et les soucis financiers.

En 1940, un drame le frappe : son grand-père est assassiné par un déséquilibré. À Stockholm, où il poursuit ses études, Dagerman fait l’objet de moqueries de la part de ses camarades qui le considèrent comme un rustre. Il commence à écrire pour la presse syndicale en 1941 et s’engage dans les jeunesses syndicalistes. En 1943, il épouse Annemarie Götze, fille de réfugiés allemands, dont il aura deux fils.

Sa carrière littéraire décolle véritablement en 1945 avec la publication de son premier roman, « Le Serpent ». Entre 1945 et 1949, il connaît une période d’intense créativité durant laquelle il publie romans, nouvelles, pièces de théâtre et articles de journaux. En 1946, il voyage en Allemagne et témoigne des ravages de l’après-guerre, une expérience qui donnera naissance à « Automne allemand ».

À partir de 1949, Dagerman traverse une profonde crise créative. Il ne parvient plus à écrire. Sa vie privée se complique : il divorce d’Annemarie en 1950 et épouse l’actrice Anita Björk en 1953. Tourmenté par le sentiment de ne pas être à la hauteur des attentes placées en lui et souffrant de dépression, il met fin à ses jours le 4 novembre 1954, dans le garage de sa résidence près de Stockholm.

Son œuvre, qui aborde de grands thèmes universels comme la morale, la culpabilité, la solitude ou la peur, continue d’influencer la littérature contemporaine. Chaque année, un prix portant son nom récompense des personnes qui, comme lui, promeuvent l’empathie et la compréhension à travers leur travail.

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. L’Enfant brûlé (roman, 1948)

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Résumé

Stockholm, fin des années 1940. Le roman s’ouvre sur l’enterrement d’Alma, morte subitement chez le boucher. Son fils Bengt, un étudiant de vingt ans, se retrouve seul avec son père Knut, un modeste ébéniste. Le jour même des funérailles, Bengt découvre que son père entretenait une liaison avec Gun, ouvreuse dans un cinéma. Cette révélation ébranle les fondements de son existence : non seulement sa mère est morte, mais l’image qu’il avait de son père vole en éclats. Animé par un désir de vengeance, il se met à suivre son père et finit par identifier Gun.

Alors que Knut présente officiellement Gun à son fils, la haine qu’il croyait éprouver pour celle qui a remplacé sa mère cède la place à une attraction inexplicable. Le jeune homme se retrouve alors déchiré entre sa fiancée Bérit, une jeune femme fragile, et Gun, qui incarne tout ce qu’il devrait détester. Dans cette maison où le fantôme d’Alma plane encore, Bengt sombre dans une spirale autodestructrice, consumé par des sentiments contradictoires d’amour et de haine.

Autour du livre

« L’Enfant brûlé » naît lors d’un séjour de Stig Dagerman en Bretagne durant l’été 1948, alors qu’il s’y trouve pour rédiger une série de reportages. À seulement vingt-cinq ans, il livre ce qui sera considéré comme son chef-d’œuvre. Le roman paraît aux éditions Norstedts le 18 octobre 1948 et suscite immédiatement un vif intérêt. Il sera l’ouvrage le plus commenté, réédité et traduit de l’auteur.

Le titre original « Bränt barn » fait référence au proverbe suédois « Bränt barn skyr elden » (« L’enfant brûlé craint le feu »), dont l’ironie traverse le roman : Bengt, l’enfant brûlé, ne cesse au contraire de se rapprocher des flammes qui menacent de le consumer. La structure narrative alterne chapitres à la troisième personne et lettres que Bengt s’écrit à lui-même, selon un conseil maternel censé apaiser ses tourments. Cette dualité reflète la personnalité fracturée du protagoniste, partagé entre sa voix sociale et ses démons intérieurs.

Stig Dagerman y décortique avec une précision clinique les mécanismes psychologiques du deuil, de la jalousie et du désir. La quête obsessionnelle de pureté qui anime Bengt se heurte constamment à la médiocrité qu’il perçoit chez les autres et en lui-même. Sa relation transgressive avec Gun cristallise cette tension entre idéal et réalité, entre amour et destruction. Le motif récurrent de la bougie, qui brûle lors des moments clés du récit, symbolise cette dualité entre lumière et consumation.

À sa parution, la critique salue quasi unanimement la plume de Dagerman. Ivar Harrie, dans sa recension, souligne « la rigueur objective de cette étude humaine intime et pénétrante ». Sven Stolpe loue particulièrement « la fermeté avec laquelle Dagerman saisit son jeune héros, son jugement implacable sur ses tentatives d’auto-falsification ». Graham Greene évoque une « merveilleuse objectivité », tandis que l’Evening Standard en 2019 célèbre « l’atmosphère strindbergienne de menace voilée » qui imprègne le texte.

« L’Enfant brûlé » connaît trois adaptations : une pièce de théâtre écrite et mise en scène par Dagerman lui-même en 1949 sous le titre « Ingen går fri » (« Personne n’est libre »), puis un film suédois réalisé par Hans Abramson en 1967 avec Hans Ernback, Bente Dessau et Marie Göranzon dans les rôles principaux. Une seconde adaptation cinématographique française, « L’enfant brûlé », voit le jour en 1991.

Aux éditions GALLIMARD ; 350 pages.


2. Automne allemand (recueil d’articles, 1947)

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Résumé

À l’automne 1946, Stig Dagerman, un journaliste suédois de 23 ans, sillonne une Allemagne meurtrie par sa défaite. Son périple le mène de Hambourg à Munich, de la Ruhr à Berlin, où il découvre des villes réduites en cendres par les bombardements alliés.

Dans les caves inondées des immeubles en ruine, des familles entières survivent, les pieds dans l’eau glacée, se nourrissant de quelques pommes de terre glanées au marché noir. Les enfants toussent, rongés par la tuberculose, tandis que les vieillards s’éteignent dans l’indifférence générale. Dans les gares, des milliers de réfugiés s’entassent dans des wagons de marchandises, chassés de Bavière où ils avaient trouvé refuge pendant la guerre.

Le reporter assiste aux procès de dénazification qui, dans une atmosphère de tragi-comédie, jugent les petits collaborateurs pendant que les véritables responsables prospèrent grâce à leurs relations. Il rencontre une jeunesse désabusée qui, à vingt ans à peine, a déjà tout perdu.

Face à ce spectacle de désolation, Dagerman s’interroge sur le sens d’une punition collective qui frappe sans discernement coupables et innocents. Comment exiger d’un peuple affamé qu’il tire les leçons de son passé quand sa seule préoccupation est de trouver de quoi manger ? Les Alliés peuvent-ils bâtir une démocratie sur les ruines d’une nation où le froid et la faim règnent en maîtres ?

À travers treize articles qui composent « Automne allemand », le journaliste livre un témoignage saisissant sur cette période méconnue de l’histoire allemande, où la libération n’apporte pas la liberté tant espérée mais une nouvelle forme de désespoir.

Autour du livre

« Automne allemand » naît d’une commande du journal suédois Expressen qui envoie Dagerman en reportage pendant deux mois dans l’Allemagne de l’immédiat après-guerre. Marié à une réfugiée allemande dont le père était un anarchiste recherché par les nazis, Dagerman bénéficie d’une position privilégiée pour observer et comprendre la situation. Les treize articles qui composent ce livre sont d’abord publiés dans la presse avant d’être rassemblés en volume en 1947.

Le regard que porte Dagerman sur l’Allemagne vaincue tranche nettement de celui de ses contemporains. Alors que la plupart des journalistes préfèrent rester dans leurs hôtels et consulter la presse locale, lui choisit d’aller à la rencontre des populations, de partager leur quotidien. Sans jamais nier les crimes du nazisme, il refuse l’idée d’une culpabilité collective qui justifierait les souffrances du peuple allemand. Il montre comment la politique de dénazification menée par les Alliés rate souvent sa cible : les petits collaborateurs sont poursuivis tandis que les véritables responsables parviennent à sauver leur situation grâce à leurs relations ou leur argent.

L’ouvrage soulève ainsi des questions fondamentales sur la justice, la responsabilité et la reconstruction d’une société. Dagerman note que la faim et le dénuement ne constituent pas une bonne école de démocratie. Il décrit une jeunesse désemparée qui « a conquis le monde à dix-huit ans et tout perdu à vingt-deux ». La misère, observe-t-il, pousse certains à regretter l’époque hitlérienne non par conviction idéologique mais simplement parce qu’ils mangeaient à leur faim.

La critique salue unanimement la qualité littéraire exceptionnelle de ces reportages. Herbert Tingsten du Dagens Nyheter loue « la passion du poète, son regard capable de capter les individus et son talent pour restituer les atmosphères sans tomber dans le sentimentalisme ». Jean-Yves Jouannais, dans « L’usage des ruines », dresse un portrait de Dagerman dont il souligne la capacité rare à se confronter à une réalité inhumaine. « Automne allemand » s’impose rapidement comme un témoignage majeur sur les conséquences de la défaite allemande et le destin de l’Europe.

Le cinéaste Roberto Rossellini s’inspire notamment de cette période pour réaliser en 1948 « Allemagne année zéro », dernier volet de sa trilogie de la guerre après « Rome, ville ouverte » et « Païsa ». Le film, comme le livre de Dagerman, dépeint la survie quotidienne dans le Berlin d’après-guerre et interroge la responsabilité collective d’un peuple.

Aux éditions BABEL ; 176 pages.


3. Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (essai, 1952)

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Résumé

En 1952, un écrivain suédois de 29 ans, Stig Dagerman, publie dans un magazine une méditation poignante sur le sens de l’existence. Sans foi religieuse ni point fixe auquel s’arrimer, il traque la consolation « comme le chasseur traque le gibier », cherche désespérément une raison de vivre dans un monde qui lui semble dénué de repères stables.

Face à l’angoisse existentielle et à la certitude de la mort, il interroge les multiples formes de consolation que sont le plaisir, le talent, la solitude ou encore l’art. Son propre talent d’écrivain lui apparaît comme un fardeau qui le paralyse par la peur de ne pas être à la hauteur.

Dans sa quête éperdue de liberté et d’indépendance, il s’efforce de trouver une consolation qui transcenderait les illusions éphémères pour atteindre une véritable raison d’être. Mais le monde semble plus fort que lui…

Autour du livre

Commandé à l’origine par un magazine féminin suédois qui souhaitait un texte sur « l’art de vivre », cet essai prend une résonance tragique avec le suicide de l’auteur deux ans plus tard, en novembre 1954. Le manuscrit ne sera redécouvert qu’en 1981, près de trente ans après sa mort. Ces quelques pages constituent ainsi le testament spirituel d’un écrivain tourmenté qui, à travers sa propre détresse, livre une réflexion universelle sur la condition humaine.

Le style de Dagerman se caractérise par une écriture dépouillée, émaillée d’images saisissantes qui éclairent son propos tout en touchant profondément le lecteur. Sa capacité à conjuguer concepts philosophiques complexes et logique discursive accessible témoigne d’un remarquable effort de clarté. Le ton, maîtrisé et grave mais jamais excessif, alterne entre ombre et lumière, une tension permanente qui reflète ses tourments intérieurs.

Dagerman y aborde des thèmes comme la quête de sens dans un monde absurde, le poids du temps, la liberté illusoire, la solitude existentielle. Il y développe une pensée à la fois pessimiste et confiante, marquée par une profonde ambivalence. Pour lui, la vie ne se mesure pas en années mais en « expériences, moments et événements ». Les vraies consolations sont celles qui nous libèrent temporairement, comme « la rencontre avec un être aimé, une caresse sur la peau, le spectacle du clair de lune ».

« Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » a connu plusieurs adaptations artistiques notables. En 1989, le compositeur français Denis Dufour en tire une œuvre de musique acousmatique de 67 minutes. Le groupe Têtes Raides l’intègre à son album « Banco » sous forme d’une lecture musicale de vingt minutes. En 2000, il fait l’objet d’une adaptation théâtrale à la Mezza Luna de Liège. L’artiste Guillaume Leblon s’en inspire en 2007 pour créer un mur en terre cuite présenté à la FIAC de Paris.

Aux éditions ACTES SUD ; 24 pages.

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