Sawako Ariyoshi (1931-1984) est une écrivaine japonaise majeure du XXe siècle. Née à Wakayama, elle passe une partie de son enfance à Java où son père est muté pour son travail. De retour au Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, elle poursuit ses études et obtient un diplôme de littérature anglaise à l’université chrétienne de Tokyo en 1952.
Sa carrière littéraire débute véritablement en 1954 avec la publication de critiques théâtrales et de nouvelles. En 1956, elle obtient le prix Bungakukai pour son œuvre « Jiuta ». Une bourse de la fondation Rockefeller lui permet de voyager aux États-Unis en 1959-1960, élargissant ses horizons et influençant ses thèmes d’écriture.
Son œuvre prolifique compte plus d’une centaine de textes, incluant romans, nouvelles, pièces de théâtre et scénarios. Ses romans les plus célèbres sont « Les dames de Kimoto » (1959), « Kaé ou les deux rivales » (1966) et « Le crépuscule de Shigezo » (1972). Son écriture se caractérise par une attention particulière aux traditions japonaises et aux problématiques sociales, notamment la condition féminine dans une société patriarcale. Elle base ses œuvres sur des recherches documentaires approfondies, mêlant réalisme historique et talent narratif.
Mariée brièvement de 1962 à 1964, elle a une fille. Elle meurt prématurément à 53 ans, le 30 août 1984, des suites d’une insuffisance cardiaque. Son héritage littéraire reste important au Japon et ses œuvres majeures ont été traduites en plusieurs langues, dont le français.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Les dames de Kimoto (1959)
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Fin du XIXe siècle, province de Wakayama. Hana, vingt ans, quitte sa famille pour épouser Keisaku Matani, un jeune homme prometteur qu’elle n’a rencontré qu’une fois. Sa grand-mère Toyono, qui l’a élevée, a tout orchestré selon les traditions : le mari choisi habite en aval du fleuve Ki, comme le veut la coutume, et la jeune femme maîtrise parfaitement les arts nécessaires à son nouveau rôle – cérémonie du thé, calligraphie, art floral. Dans sa nouvelle demeure, Hana est une épouse modèle, soutenant discrètement mais efficacement l’ascension politique de son mari.
Le choc des générations éclate quand sa fille Fumio grandit. Celle-ci refuse obstinément de perpétuer les traditions que sa mère tente de lui inculquer. Elle monte à bicyclette, étudie les sciences, revendique le droit de choisir son existence. Ce conflit entre mère et fille symbolise les mutations profondes du Japon au début du XXe siècle, entre respect des codes séculaires et aspiration à la modernité. La troisième génération, incarnée par Hanako, la fille de Fumio, tentera de réconcilier ces deux mondes dans un pays défiguré par la Seconde Guerre mondiale.
Publié en 1959, ce roman s’inspire directement de l’histoire familiale de Sawako Ariyoshi. Le titre original « Kinokawa » (« La rivière Ki ») fait référence au fleuve qui traverse la région, symbole du temps qui s’écoule et des changements inéluctables de la société japonaise. D’abord paru en feuilleton dans un magazine féminin, il constitue le premier volet d’une « trilogie fluviale » qui comprend aussi « La rivière Arida » (1963) et « La rivière Hidaka » (1965). Cette chronique familiale, qui a conquis plus de trois millions de lecteurs au Japon, a été portée à l’écran en 1966 par le réalisateur Noboru Nakamura. Le personnage d’Hana, interprété par Yōko Tsukasa, a particulièrement marqué les esprits, valant à l’actrice le prestigieux prix Mainichi.
Aux éditions FOLIO ; 320 pages.
2. Le crépuscule de Shigezo (1972)
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Tokyo, fin des années 1960. Akiko travaille comme dactylo dans un cabinet d’avocats tout en s’occupant de son fils lycéen et de son mari. Un soir d’hiver, elle découvre sa belle-mère morte et son beau-père Shigezo errant dans la rue. À 84 ans, celui qui fut un patriarche autoritaire montre des signes inquiétants de démence sénile. La famille doit prendre une décision : que faire de ce vieil homme qui ne peut plus vivre seul ?
Face à l’absence de structures d’accueil adaptées et à la pression sociale, Akiko n’a d’autre choix que de s’occuper de Shigezo. Elle qui rêvait d’indépendance se retrouve à gérer les fugues, l’incontinence et les sautes d’humeur de son beau-père, pendant que son mari se mure dans le déni. Pourtant, au fil des mois, une métamorphose s’opère : l’antipathie initiale laisse place à une forme d’attachement réciproque entre la belle-fille et ce vieillard redevenu enfant.
Le succès du livre en 1972 est fulgurant : plus d’un million d’exemplaires vendus en six mois, une adaptation cinématographique l’année suivante par Shirō Toyoda, avec la célèbre actrice Hideko Takamine dans le rôle d’Akiko. Les lecteurs se reconnaissent dans cette histoire qui met en lumière la réalité quotidienne des aidants familiaux, presque toujours des femmes.
L’écho du roman dépasse le cadre littéraire pour devenir un véritable phénomène social. Sawako Ariyoshi utilise sa notoriété nouvelle pour faire évoluer les mentalités et les lois : elle obtient l’autorisation exceptionnelle de faire un don de 66 000 dollars pour la création de maisons de retraite, ouvrant la voie à un assouplissement de la législation sur les dons caritatifs. Cinquante ans après sa publication, ce portrait sans fard de la vieillesse et de la condition féminine au Japon n’a rien perdu de son mordant.
Aux éditions FOLIO ; 368 pages.
3. Kaé ou les deux rivales (1966)
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À la fin du XVIIIe siècle, dans une bourgade japonaise, la jeune Kaé s’apprête à intégrer la famille Hanaoka. Son mariage avec Umpei, fils d’un médecin de campagne, a été arrangé par Otsugi, sa future belle-mère. Une union inhabituelle entre une fille de samouraï et un roturier, célébrée par procuration car le marié poursuit ses études de médecine à Kyoto. Durant trois ans, Kaé partage le quotidien d’Otsugi, cette femme qu’elle admirait enfant pour sa beauté légendaire.
Tout bascule au retour d’Umpei. Otsugi, jusqu’alors bienveillante et maternelle, se transforme en rivale acharnée, dévorée par la jalousie. Une guerre sourde s’installe entre les deux femmes qui se disputent l’attention du jeune homme. Celui-ci, absorbé par ses recherches médicales, ne prête guère attention à ce conflit qui empoisonne son foyer. Son obsession : mettre au point un puissant anesthésique permettant d’opérer les cancers du sein. Après dix années d’expérimentation sur les animaux, il lui faut désormais tester sa découverte sur des êtres humains. Les deux rivales se portent volontaires, prêtes à risquer leur vie pour gagner son affection.
Ce roman s’inspire de l’histoire du docteur Hanaoka Seishū, premier chirurgien au monde à avoir réalisé une opération sous anesthésie générale en 1804, quarante ans avant l’utilisation de l’éther en Occident. Si les avancées médicales constituent la toile de fond du récit, c’est avant tout la condition des femmes dans le Japon traditionnel qui occupe le premier plan. À travers cette rivalité domestique teintée de cruauté psychologique, Sawako Ariyoshi dévoile les mécanismes d’oppression qui régissent la société nippone de l’époque.
Publié en 1966, « Kaé ou les deux rivales » a connu un important succès qui lui a valu le prix de littérature féminine. Le roman a donné lieu à plusieurs adaptations : un film en 1967, une pièce de théâtre l’année suivante, puis une série télévisée par la NHK en 2005. Souvent comparée à Simone de Beauvoir, qu’elle admirait, Sawako Ariyoshi signe ici une œuvre qui transcende la simple chronique historique pour questionner les rapports de domination entre les sexes.
Aux éditions MERCURE DE FRANCE ; 197 pages.
4. Le miroir des courtisanes (1962)
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Japon, début du XXe siècle. Tomoko vit ses premières années auprès de sa grand-mère Tsuna, loin de sa mère Ikuyo, une jeune veuve de vingt ans remarquablement belle mais d’une indifférence glaciale envers sa fille. Après le remariage d’Ikuyo et la mort de Tsuna, Tomoko, âgée de dix ans, se retrouve vendue à une maison de geishas par sa propre mère, qui intègre elle-même le « monde des fleurs et des saules » comme courtisane.
L’histoire suit le parcours de Tomoko des années 1920 jusqu’aux années 1950, de son apprentissage comme geisha à son ascension sociale comme aubergiste puis restauratrice. Tout au long de ces décennies se tisse une relation complexe avec sa mère Ikuyo, mélange d’admiration et de ressentiment, d’amour et de haine. Tandis que la mère reste prisonnière de sa beauté et de son égoïsme, ne vivant que pour ses kimonos somptueux et l’attention des hommes, la fille s’efforce de tracer sa propre voie dans une société en pleine mutation.
Entre la fin de l’ère Meiji et l’après-guerre, Sawako Ariyoshi compose une fresque sur la condition des femmes japonaises. À travers le destin de ces deux femmes se dessinent les bouleversements d’une société basculant de la tradition vers la modernité : l’influence grandissante de l’Occident, la montée du capitalisme, les ravages de la guerre, et surtout l’évolution de la condition féminine dans un monde encore dominé par le pouvoir masculin.
Aux éditions PICQUIER ; 522 pages.