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Paul Guimard en 3 romans majeurs – Notre sélection

Paul Guimard en 3 romans – Notre sélection

Paul Guimard naît le 3 mars 1921 à Saint-Mars-la-Jaille en Loire-Atlantique. Après ses études secondaires au lycée catholique Saint-Stanislas de Nantes, il fait ses débuts comme journaliste dans sa ville natale. Pendant la guerre, il travaille comme chroniqueur hippique à L’Écho de la Loire puis comme journaliste aux faits divers à L’Ouest-Éclair.

Sa carrière prend un tournant lorsqu’il intègre la Radiodiffusion française, où il crée et anime La Tribune de Paris. L’année 1956 marque ses débuts littéraires avec « Les Faux Frères », qui remporte le grand prix de l’humour. Le succès continue avec « Rue du Havre », couronné par le prix Interallié en 1957.

En 1962, alors qu’il participe à l’émission Opération Cap à l’ouest pour la RTF, il est victime d’un grave accident à Casablanca qui lui laisse des séquelles durables. Cette expérience du hasard et de la fragilité de la vie influence son œuvre la plus célèbre, « Les choses de la vie » (1967), adaptée au cinéma par Claude Sautet en 1970.

Sa vie privée est marquée par son mariage avec l’écrivaine Benoîte Groult, avec qui il a une fille, Constance, née en 1953. Proche du pouvoir socialiste, il devient chargé de mission auprès de François Mitterrand à l’Élysée en 1981-1982, puis membre de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle.

Il continue à écrire jusqu’à la fin des années 1990, publiant notamment « Giraudoux ? Tiens ! » (1988), « Un concours de circonstances » (1990) et « Les Premiers venus » (1997). Il reçoit le prix littéraire de la fondation Prince-Pierre-de-Monaco en 1993. Paul Guimard s’éteint le 2 mai 2004 à Hyères, dans le Var.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Les choses de la vie (1967)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Un matin des années 1960, Pierre Delhomeau, avocat parisien, prend la route au volant de sa MG pour aller plaider à Rennes. Durant son trajet, ses pensées vagabondent entre ses souvenirs d’enfance, sa maîtresse Hélène et cette lettre de rupture qu’il n’a finalement pas voulu lui donner, gardée dans sa poche. Sur la nationale, à hauteur du lieu-dit La Providence, sa voiture lancée à 140 km/h aborde un virage quand surgit une bétaillère qui lui coupe la priorité, tandis qu’un poids lourd arrive en sens inverse.

Entre le moment où la MG entre dans le virage et celui où elle termine sa course dans un champ, dix secondes à peine se sont écoulées. Dix secondes durant lesquelles Pierre, éjecté de l’habitacle, se remémore intensément les fragments de son existence. Gisant dans l’herbe, incapable de bouger ou d’ouvrir les yeux mais toujours conscient, il entend s’agiter autour de lui les témoins, les gendarmes, les secours. Son esprit oscille entre déni et lucidité face à la gravité de son état, jusqu’à son transport à l’hôpital de Laval où la mort l’attend.

Autour du livre

« Les choses de la vie » de Paul Guimard frappe par sa structure narrative insolite : cent pages pour décrire dix secondes d’existence, celles qui séparent l’entrée dans le virage fatal de l’impact final. Cette dilatation du temps permet de saisir la complexité des derniers instants, où les préoccupations les plus triviales se mêlent aux questionnements essentiels. Ainsi s’inquiète-t-il de la porte-fenêtre du jardin « dont les paumelles insuffisantes font travailler les gonds à faux », tandis que la mort approche inexorablement.

La réussite de Guimard tient dans sa capacité à restituer le flux de conscience d’un mourant avec une précision clinique, sans pathos ni sensationnalisme. Les pensées s’entrechoquent, du présent au passé, de l’insignifiant au fondamental : « On naît en état de mort et l’on se réfugie dans la grandiloquence qui est l’ivrognerie de l’âme et l’on s’efforce de provoquer avec ses idées un fracas que l’on voudrait majestueux et l’on se satisfait de ce menu tumulte jusqu’à ce que l’on parvienne au bord du vrai silence. »

Couronné par le Prix des Libraires en 1968, ce texte résonne particulièrement avec son époque : les années 1960 voient l’essor de l’automobile et la multiplication des accidents mortels sur les routes. La description méticuleuse du crash, seconde par seconde, prend alors une dimension prémonitoire. Plusieurs critiques suggèrent d’ailleurs que ce livre devrait intégrer les programmes de sécurité routière.

L’adaptation cinématographique par Claude Sautet en 1970, avec Michel Piccoli et Romy Schneider, modifie sensiblement la trame en développant l’histoire d’amour entre Pierre et Hélène. Si le film connaît un grand succès, il s’éloigne de l’essence du texte original qui privilégie la conscience d’un homme face à sa fin imminente. Le remake américain de 1994, « Intersection », confirme la portée universelle de cette méditation sur la fragilité de l’existence.

Cette fable sur l’importance des « petites choses » trouve sa quintessence dans l’épisode de la lettre de rupture : écrite sous le coup de la colère puis regrettée, elle sera finalement retrouvée dans la poche du mort, figeant à jamais une intention qui ne correspondait plus à la réalité des sentiments. Cette ironie tragique illustre la cruauté du hasard qui transforme l’anodin en définitif.

Aux éditions FOLIO ; 160 pages.


2. L’ironie du sort (1961)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Nantes, septembre 1943. Dans l’obscurité d’une porte cochère, Antoine Desvrières attend, le doigt sur la gâchette. Sa mission : abattre le lieutenant Werner de Rompsay qui, sur le point de terminer son enquête sur le réseau de résistance « Cornouailles », menace de le démanteler. Non loin de là, Marie-Anne de Hauteclaire, fille du bâtonnier de Nantes et amante d’Antoine, attend dans l’angoisse l’issue de cette action dont elle ignore les détails. Elle porte en elle l’enfant d’Antoine, mais ne le lui a pas encore annoncé.

Tout repose sur un élément en apparence insignifiant : le démarreur récalcitrant de la traction avant du Feldgendarme Helmut Eidemann. Selon que la voiture démarre ou non, le lieutenant Werner empruntera des chemins différents pour rentrer chez lui, modifiant irrémédiablement le cours des événements. De cette fraction de seconde dépendent non seulement la réussite de l’attentat, mais aussi l’avenir de tous ceux qui gravitent autour de cette action : résistants, collaborateurs, amants et familles.

Paul Guimard déroule alors trois scénarios différents. Dans l’un, Antoine réussit son attentat mais est arrêté puis exécuté, laissant derrière lui un fils qui portera son nom. Dans un autre, il échoue mais survit, tandis que son ami Jean Rimbert est arrêté et fusillé. Le troisième le voit épouser Marie-Anne avant de divorcer des années plus tard.

Autour du livre

« L’ironie du sort » s’inscrit dans une réflexion philosophique sur le hasard et ses ramifications. La structure narrative déploie trois versions alternatives d’un même événement, chacune découlant d’un incident minuscule : le démarrage ou non d’une voiture.

La force du texte réside dans sa capacité à tisser des liens entre les conséquences immédiates et lointaines d’un acte. Ainsi, dix-sept ans après les événements initiaux, le sort d’une vieille femme traversant la rue dépendra encore de ce fameux démarreur capricieux. Cette construction en miroir permet de saisir comment les vies s’entrecroisent et se modifient mutuellement, telles des billes dont la trajectoire change au moindre choc, selon l’image suggérée dans le texte.

Paul Guimard questionne également la notion d’identité à travers ces destins parallèles. Un passage particulièrement évocateur souligne cette idée : « On se fait mal à l’idée qu’un même individu soit différent selon les interlocuteurs sans cesser d’être fidèle à lui-même. Les relations humaines se trouveraient simplifiées si l’on tenait pour évident qu’un homme pût préférer les abricots chez son père, les fraises chez son camarade et les cerises chez sa femme sans être incohérent pour autant. »

Édouard Molinaro adapte le livre au cinéma en 1974, relevant le défi de transposer à l’écran cette structure narrative complexe. Certains critiques rapprochent d’ailleurs cette œuvre du film « Mon oncle d’Amérique » d’Alain Resnais (1980) pour sa manière d’analyser les comportements, ainsi que de « Smoking/No Smoking » du même réalisateur, qui joue également sur la multiplicité des possibles. Plus récemment, des critiques ont établi un parallèle avec la physique quantique, où plusieurs réalités coexistent simultanément avant qu’une observation ne les fige, à l’image du célèbre chat de Schrödinger.

Aux éditions FOLIO ; 160 pages.


3. Rue du Havre (1957)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans le Paris des années 1950, rue du Havre, à quelques pas de la gare Saint-Lazare, Julien Legris vend des billets de loterie. Ce sexagénaire solitaire, rescapé des deux guerres mondiales, observe chaque jour le ballet incessant des voyageurs qui affluent de la gare. Parmi la foule anonyme, son regard s’est arrêté sur deux jeunes gens : François, un publicitaire trentenaire qui rêvait d’être artiste, et Catherine, une apprentie comédienne de dix-huit ans. Dans l’esprit de Julien, ces deux êtres sont faits l’un pour l’autre « comme le vent pour la mer, la main pour la main ».

Un obstacle majeur empêche pourtant leur rencontre : onze minutes séparent l’arrivée de leurs trains respectifs. François descend à 8h41, Catherine à 8h52, et la ponctualité de la SNCF est alors indéniable. L’opportunité d’agir se présente enfin lorsque François recrute Julien comme Père Noël dans son grand magasin. Le vieil homme y voit l’occasion rêvée de provoquer enfin cette rencontre tant espérée.

Autour du livre

À travers cette mécanique du hasard et de la destinée, « Rue du Havre » met en scène trois solitudes qui cherchent leur place dans le Paris grouillant des années 1950. La construction en quatre tableaux – trois portraits individuels suivis d’une convergence finale – souligne la fragilité des liens qui unissent ou séparent les êtres dans la ville moderne. Le choix de cette structure narrative singulière permet à Paul Guimard d’orchestrer le ballet des destins avec une précision d’horloger.

Le Paris d’après-guerre se dessine en toile de fond, à l’orée de la société de consommation. Le microcosme de la rue du Havre, avec ses flux de voyageurs minutés par la SNCF, devient le théâtre d’une réflexion sur la possibilité d’influer sur le cours des événements. Cette thématique deviendra d’ailleurs une constante dans l’œuvre de Guimard, notamment dans « Les choses de la vie », plus tard adapté au cinéma par Claude Sautet en 1970.

Le chapitre consacré à Catherine offre une peinture saisissante de l’industrie cinématographique des années 1950. La description du studio où la jeune femme passe son bout d’essai résonne étrangement avec les débats contemporains : « En entrant au studio pour tourner le bout d’essai décisif, son premier sentiment avait été qu’elle cessait d’exister. […] Paradoxalement elle eut la révélation de son existence dans l’instant qu’elle se désincarnait. »

Couronné par le Prix Interallié en 1957, ce deuxième roman de Paul Guimard a fait l’objet d’une adaptation cinématographique par Jean-Jacques Vierne en 1962. Réédité en janvier 2024 par les Éditions L’Échappée, « Rue du Havre » continue de séduire par son ton oscillant entre mélancolie et humour caustique. La critique salue particulièrement sa capacité à transformer un banal carrefour parisien en théâtre où se jouent les possibles d’existences qui s’ignorent, portée par une ironie bienveillante qui masque sa gravité.

« Rue du Havre » s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’effet papillon, chère à Paul Guimard : comment la modification d’un détail du présent peut-elle bouleverser l’avenir ? Cette question traverse le récit, porté par un Julien Legris qui tente de perturber le cours des choses pour influencer le destin de deux inconnus.

Aux éditions L’ÉCHAPPÉE ; 153 pages.

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