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Muriel Spark en 3 romans – Notre sélection

Muriel Spark en 3 romans – Notre sélection

Muriel Sarah Camberg naît le 1er février 1918 à Édimbourg, d’un père juif et d’une mère anglicane. Elle grandit dans le quartier de Bruntsfield et fait ses études à la James Gillespie’s High School for Girls. En 1937, elle épouse Sidney Oswald Spark et le suit en Rhodésie (aujourd’hui Zimbabwe). Un fils, Robin, naît de cette union en 1938, mais le mariage s’avère malheureux en raison des troubles maniacodépressifs de son mari.

De retour en Grande-Bretagne en 1944, elle travaille dans les services de renseignement pendant la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, elle se lance dans l’écriture sous son nom d’épouse, d’abord comme poète et critique littéraire. Elle devient rédactrice de la Poetry Review en 1947. Sa conversion au catholicisme en 1954 marque un tournant décisif dans sa carrière d’écrivaine.

Son premier roman, « Les Consolateurs », paraît en 1957, mais c’est « Les belles années de Mademoiselle Brodie » (1961) qui la propulse vers la célébrité. Ce roman, inspiré par l’une de ses anciennes professeures, dépeint une institutrice écossaise aux méthodes peu orthodoxes qui marque sensiblement ses élèves.

Après avoir vécu à Londres puis à New York, Spark s’installe en Toscane avec l’artiste Penelope Jardine. Elle continue d’écrire énormément, publiant romans, nouvelles et poésies. Son œuvre, marquée par l’originalité du ton et des thèmes, lui vaut de nombreuses distinctions, dont le titre de Dame de l’Empire britannique en 1993. Muriel Spark s’éteint le 13 avril 2006 à Florence.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Les belles années de Mademoiselle Brodie (1961)

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Résumé

Édimbourg, années 1930. Miss Jean Brodie, institutrice charismatique d’une école privée pour filles, sélectionne six élèves de dix ans pour former son cercle rapproché, la « crème de la crème » : Sandy, Rose, Mary, Jenny, Monica et Eunice. « Donnez-moi une fille à l’âge malléable, et elle m’appartiendra pour la vie », proclame celle qui se dit « dans la fleur de l’âge ». Rejetant les méthodes traditionnelles, elle nourrit ses protégées de récits de voyage, d’art, d’histoire et leur transmet son admiration pour Mussolini. Ses méthodes non-conformistes irritent la directrice, Miss Mackay, qui cherche à la faire renvoyer.

Deux hommes gravitent autour de Miss Brodie : Teddy Lloyd, professeur d’art manchot marié, dont elle est éprise, et Gordon Lowther, professeur de musique célibataire, avec qui elle entame une liaison par dépit. Les années passent mais son influence sur les filles, devenues adolescentes, ne faiblit pas. Plus troublant encore, elle tente de manipuler leur vie sentimentale, particulièrement celle de Rose qu’elle destine à devenir la maîtresse de Lloyd. Rapidement, le lecteur apprend qu’une des six élèves va trahir Miss Brodie auprès de la directrice. Mais laquelle ? Et surtout, pourquoi ?

Autour du livre

Le personnage de Miss Jean Brodie s’inspire en partie de Christina Kay, qui fut l’enseignante de Muriel Spark pendant deux ans à la James Gillespie’s High School for Girls d’Édimbourg. Comme son héroïne, Miss Kay accrochait aux murs de sa classe des reproductions de peintures de la Renaissance aux côtés d’affiches représentant Mussolini et ses chemises noires. Elle utilisait également l’expression « crème de la crème » et encouragea la jeune Muriel à devenir écrivaine.

Publié d’abord dans son intégralité par le magazine The New Yorker en 1960 – une première pour un auteur britannique – « Les belles années de Mademoiselle Brodie » paraît en volume chez Macmillan en 1961. Si le succès ne vient pas immédiatement au Royaume-Uni, le livre rencontre rapidement son public aux États-Unis. Il devient le plus célèbre de Spark, qui le surnomme affectueusement sa « vache à lait » en raison des revenus réguliers qu’il lui procure.

La construction narrative singulière du roman, avec ses constants allers-retours dans le temps, permet à Spark d’entretenir la tension dramatique. Dès les premières pages, le lecteur apprend qu’une des élèves trahira Miss Brodie, mais l’identité de la « Judas » n’est révélée qu’à mi-parcours. Le dénouement explique les motivations de cette trahison. James Wood note que « en réduisant Miss Brodie à une collection de maximes, Spark nous force à devenir ses élèves ». Le critique relève également que « Brodie parle beaucoup de son âge d’or, mais nous n’en sommes jamais témoins, et le soupçon désagréable s’installe que parler autant de son âge d’or signifie peut-être qu’on ne l’est plus ».

Le Time Magazine inclut « Les belles années de Mademoiselle Brodie » dans sa liste des cent meilleurs romans de langue anglaise publiés entre 1923 et 2005. En 1998, la Modern Library le classe 76ème dans son palmarès des cent meilleurs romans du XXe siècle. En 2015, 82 critiques littéraires et universitaires internationaux l’élisent parmi les romans britanniques les plus importants. Le 5 novembre 2019, la BBC l’inscrit sur sa liste des cent romans les plus influents.

La première adaptation, théâtrale, voit le jour en 1966 à Londres avec Vanessa Redgrave dans le rôle-titre. En 1969, Ronald Neame réalise l’adaptation cinématographique avec Maggie Smith, qui remporte l’Oscar de la meilleure actrice. Une série télévisée en sept épisodes est produite en 1978 avec Geraldine McEwan – l’interprétation préférée de Muriel Spark.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 224 pages.


2. Demoiselles aux moyens modestes (1963)

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Résumé

Londres, 1963. Jane Wright, journaliste dans un magazine féminin, apprend la mort de Nicholas Farringdon, missionnaire assassiné à Haïti. Cette nouvelle la replonge à l’été 1945, à l’époque où elle résidait au May of Teck Club, une pension pour jeunes femmes du quartier de Kensington.

L’établissement accueille alors une trentaine de pensionnaires aux moyens modestes, réparties sur quatre étages selon une hiérarchie tacite. Au sommet de cette microsociété règnent les plus séduisantes, dont la magnétique Selina Redwood et Jane elle-même, qui débute dans l’édition. Dans ce Londres d’après-guerre où tout manque, les habitantes du Club s’échangent tickets de rationnement et vêtements, notamment une prestigieuse robe Schiaparelli qui fait l’objet de toutes les convoitises.

L’arrivée de Nicholas Farringdon, poète anarchiste que Jane introduit dans ce cercle féminin, bouleverse l’équilibre de la maison. Tandis qu’il entame une liaison avec Selina et que Jane se consume d’un amour silencieux pour lui, la voix de Joanna Childe, fille de pasteur donnant des cours d’élocution, fait résonner dans les couloirs des poèmes aux accents prophétiques. Entre les festivités de la victoire en Europe et l’annonce de la capitulation japonaise, la vie s’écoule dans une insouciance de façade. Cependant, une rumeur enfle : une bombe non explosée sommeillerait dans le jardin du Club, vestige menaçant d’un conflit à peine achevé.

Autour du livre

Muriel Spark puise dans sa connaissance intime du Londres d’après-guerre pour composer ce roman publié en 1963. Le titre original, « The Girls of Slender Means », recèle une double signification : il fait référence tant aux moyens financiers limités des pensionnaires qu’à leur silhouette, élément qui prend une dimension importante dans le récit. Seules les plus minces parviennent à se faufiler par l’étroite fenêtre des toilettes du dernier étage pour accéder au toit, lieu de rendez-vous galants et de bains de soleil.

La structure narrative alterne entre 1945 et 1963, année où Jane Wright, devenue journaliste, apprend la mort de Nicholas Farringdon à Haïti. Cette nouvelle déclenche une série de réminiscences qui dévoilent progressivement les événements ayant conduit à sa conversion au catholicisme et à sa vocation de missionnaire. Cette construction en flash-back, ponctuée par les récitations poétiques de Joanna, crée une tension grandissante jusqu’au dénouement tragique.

Les critiques ont salué la maestria avec laquelle Spark fait basculer son récit de la comédie de mœurs au drame. Anthony Burgess l’a inclus dans sa liste des 99 meilleurs romans en langue anglaise depuis 1939, louant son caractère « brillant, incisif, fruit d’un esprit raffiné et d’un art supérieur ». Evelyn Waugh a particulièrement admiré la capacité de Spark à se renouveler, notant que contrairement à la plupart des romanciers qui reproduisent indéfiniment la même formule, elle semblait disposer d’une « source inépuisable » d’inspiration.

La BBC en a proposé une version télévisée en 1975, avec Patricia Hodge et Miriam Margolyes, suivie d’une adaptation radiophonique en 1998 sur BBC Radio 4. Plus récemment, en avril 2024, le Lyceum Theatre d’Édimbourg en a présenté une adaptation théâtrale mise en scène par Roxana Silbert.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 191 pages.


3. La place du conducteur (1970)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1970, quelque part en Europe du Nord, Lise s’apprête à quitter temporairement son emploi d’aide-comptable qu’elle occupe depuis seize ans. Cette femme de trente-quatre ans manifeste des signes évidents de déséquilibre : elle pique une crise dans un magasin quand une vendeuse lui propose une robe anti-taches, achète des vêtements aux couleurs criardes, puis éclate d’un rire hystérique au bureau avant de fondre en larmes. Son patron l’incite à prendre des vacances.

Elle s’envole alors vers une ville du sud de l’Europe, probablement Rome ou Naples. À l’aéroport, son comportement intrigue : elle semble chercher la compagnie de certains hommes tout en en repoussant d’autres avec véhémence. Dans l’avion, elle terrorise un passager qui change de siège, puis subit les avances de Bill, un illuminé adepte du régime macrobiotique. Une fois arrivée, elle sillonne la ville en proclamant qu’elle doit retrouver son petit ami. « Je le reconnaîtrai quand je le verrai », répète-t-elle aux inconnus qu’elle croise.

Lise ment constamment. Elle vole des voitures, se mêle à une manifestation étudiante, et semble délibérément provoquer des situations dangereuses. À chaque homme qu’elle rencontre, elle déclare : « Vous n’êtes pas mon type. » Que cherche réellement cette femme visiblement dérangée ? Pourquoi accumule-t-elle les comportements à risque ? Et surtout, quel genre d’homme correspond à « son type » ?

Autour du livre

L’écrivaine écossaise considérait ce court roman comme son préféré parmi les vingt-deux qu’elle a écrits. Publié en 1970, ce texte déconcertant se démarque par son traitement radical de la narration : dès le troisième chapitre, la narratrice omnisciente révèle que Lise sera retrouvée morte le lendemain matin, transformant ainsi le récit en ce que Spark qualifie elle-même de « whydunnit » plutôt qu’un « whodunnit » classique.

La tension naît de cette subversion des codes du roman policier. L’intérêt ne réside pas dans la découverte du meurtrier ou des circonstances du crime, mais dans la compréhension des motivations qui poussent l’héroïne vers son destin. Cette structure narrative permet à Spark d’interroger les notions de libre arbitre et de contrôle, comme le suggère le titre énigmatique du roman.

Le contexte social des années 1960 imprègne l’ensemble des pages. À travers le personnage de Lise, Spark dépeint une femme célibataire dans une société en pleine mutation. Les réflexions de Mrs Fiedke sur l’émancipation masculine – « Ils réclament l’égalité avec nous » – offrent une satire mordante des débats sur l’égalité des sexes. La romancière aborde également les nouvelles tendances de l’époque, comme le régime macrobiotique prôné par Bill, ou encore les manifestations étudiantes réprimées par la police.

La critique a salué l’audace formelle du roman. Pour John Lanchester, «  »La place du conducteur » ne nous dit rien de ce que nous voulons entendre », soulignant ainsi sa capacité à déstabiliser le lecteur. Andrew O’Hagan le qualifie de « brillante manipulation de nos attentes, un verre de whisky au milieu d’une fièvre, un voyage hallucinatoire dans le doute moral. »

Le roman a connu une adaptation cinématographique en 1974 sous le titre « Identikit », réalisée par Giuseppe Patroni Griffi avec Elizabeth Taylor dans le rôle de Lise. En 2015, il a été adapté pour la scène par Laurie Sansom dans une production du National Theatre of Scotland, présentée au Royal Lyceum Theatre d’Édimbourg. En 2010, « La place du conducteur » a été sélectionné pour le Lost Man Booker Prize, une compétition organisée rétrospectivement pour récompenser les œuvres de 1970 qui n’avaient pu concourir à l’époque en raison d’un changement de règlement.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 160 pages.

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