Malorie Blackman est une écrivaine britannique née le 8 février 1962 à Clapham, Londres. Après des études à Peckham, elle se lance d’abord dans une carrière de programmeuse informatique. Elle poursuit ensuite sa formation en obtenant un Higher National Certificate à l’université de Greenwich ainsi qu’un diplôme de la National Film and Television School. Sa vie privée est marquée par son mariage au début des années 1980 et la naissance de sa fille en 1995.
Sa carrière littéraire débute en novembre 1990 avec la publication de « Not So Stupid », un recueil de nouvelles d’horreur et de science-fiction destiné aux adolescents. Cette première œuvre marque le début d’une prolifique carrière d’écrivaine pour la jeunesse, avec plus de 50 ouvrages publiés et plusieurs scripts pour la télévision. Son talent est largement reconnu, comme en témoignent les quinze prix qui lui ont été décernés. Ses œuvres, traduites en français, espagnol, allemand et italien, touchent un public international.
Parmi ses œuvres majeures figure la série « Entre chiens et loups », dont le premier tome a notamment reçu le Prix Ado-Lisant en 2007 et le Prix Gr’Aisne de critique en 2010. Plus récemment, elle s’est vue attribuer le prestigieux Prix PEN Pinter en 2022.
Voici notre sélection de ses romans jeunesse.
1. Entre chiens et loups (dès 13 ans, 2001)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans un monde dystopique où les rapports de force sont inversés, les Noirs (les Primas) dominent la société tandis que les Blancs (les Nihils) subissent discrimination et oppression. Entre ces deux communautés que tout oppose, Callum et Sephy se connaissent depuis l’enfance. Elle est la fille privilégiée d’un ministre Prima, lui appartient à une famille modeste de Nihils.
Leur amitié d’enfance évolue peu à peu vers des sentiments plus profonds, dans une société qui interdit formellement ces relations mixtes. Les tensions s’exacerbent quand Callum intègre le lycée de Sephy, jusqu’alors réservé aux Primas. Entre attentats terroristes, conflits familiaux et trahisons, leur histoire d’amour impossible les pousse à des choix déchirants aux conséquences dramatiques.
Autour du livre
« Entre chiens et loups », publié en 2001 au Royaume-Uni, est le premier tome d’une série qui rencontre immédiatement un succès retentissant en librairie. Malorie Blackman y développe une intrigue qui prend racine dans l’affaire Stephen Lawrence, un fait divers qui a profondément marqué la société britannique. L’originalité de son approche réside dans le choix audacieux d’inverser les rôles traditionnels : dans l’univers qu’elle dépeint, les personnes noires (les Primas) détiennent tous les pouvoirs tandis que les blancs (les Nihils) subissent une ségrégation systémique.
Cette inversion des positions dominants/dominés permet d’aborder frontalement les mécanismes du racisme et de la discrimination avec une efficacité redoutable. Les situations quotidiennes prennent une dimension nouvelle et percutante : ainsi, le passage des pansements illustre parfaitement cette démarche, lorsque Sephy réalise que tous sont de la couleur de peau des Primas, jamais celle des Nihils. Ce renversement de perspective interroge directement les préjugés et les privilèges invisibles.
L’alternance des points de vue entre Callum et Sephy structure le récit et permet de suivre l’évolution psychologique des deux protagonistes sur plusieurs années. D’une amitié d’enfance naïve aux prises de conscience douloureuses de l’adolescence, leur relation se complexifie à mesure qu’ils se heurtent aux barrières sociales. La narration à deux voix traduit avec justesse leurs questionnements et leurs déchirements face à une société qui refuse leur rapprochement.
Les thématiques traitées dépassent largement le cadre d’une simple histoire d’amour impossible. À travers le parcours des personnages, Malorie Blackman aborde les questions du terrorisme, de la violence politique, de l’oppression systémique et de la résistance. La Milice de Libération incarne cette radicalisation née du désespoir et de l’injustice, tandis que les familles des protagonistes illustrent les ravages intimes de la ségrégation.
La critique britannique salue unanimement la puissance du propos et l’audace du dispositif narratif. La BBC en propose d’ailleurs une adaptation en série télévisée en 2020, intitulée « Noughts + Crosses ». La Royal Shakespeare Company monte également une version théâtrale, mise en scène par Dominic Cooke, avec Richard Madden et Ony Uhiara dans les rôles principaux. Ces adaptations témoignent de la résonnance particulière de cette œuvre avec les questionnements contemporains sur le racisme et les inégalités systémiques.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE JEUNESSE ; 416 pages ; Dès 13 ans.
2. Boys don’t cry (dès 12 ans, 2010)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dante, 17 ans, attend avec impatience ses résultats d’examens pour entrer à l’université. Mais c’est son ex-petite amie qui frappe à la porte, un bébé dans les bras. Emma a onze mois, c’est leur fille. Sous prétexte d’aller acheter des couches, Mélanie disparaît, abandonnant l’enfant à un père qui ignorait son existence.
Le jeune homme vit avec son père et son frère Adam dans une maison marquée par l’absence de leur mère, décédée quelques années plus tôt. L’arrivée d’Emma chamboule leur routine silencieuse. Dante doit faire un choix déchirant entre ses études et ses responsabilités de père, pendant qu’Adam affronte l’homophobie au lycée. Entre les premiers pas d’Emma et les non-dits familiaux, les trois hommes apprennent à s’ouvrir les uns aux autres.
Autour du livre
Le choix de traiter la parentalité adolescente du point de vue masculin constitue l’une des grandes forces de « Boys don’t cry ». Là où la littérature jeunesse aborde généralement ce thème sous l’angle de la mère célibataire abandonnée, Malorie Blackman inverse la perspective en mettant en scène un père de 17 ans confronté à une paternité inattendue. Cette inversion des rôles traditionnels permet d’explorer les préjugés tenaces sur la capacité des hommes, particulièrement jeunes, à élever seuls un enfant.
La narration alterne entre deux voix : celle de Dante, le jeune père, et celle de son frère Adam. Cette dualité des points de vue enrichit considérablement la portée du récit en tissant habilement deux fils narratifs qui s’entremêlent et se répondent. Si l’arrivée d’Emma bouleverse la vie de Dante, l’histoire d’Adam, jeune homme homosexuel victime d’homophobie, apporte une dimension supplémentaire en questionnant les normes de la masculinité dans la société contemporaine.
L’évolution psychologique de Dante se révèle particulièrement réussie. Son parcours, du rejet initial à l’acceptation progressive de sa paternité, évite les écueils du sentimentalisme facile pour offrir un regard lucide sur les défis de la parentalité précoce. La phrase « Boys don’t cry, but real men do » (« Les garçons ne pleurent pas, mais les vrais hommes si ») résume parfaitement cette maturation qui l’amène à redéfinir sa conception de la masculinité.
Le traitement des personnages secondaires mérite également d’être souligné. Le père de Dante et Adam, veuf élevant seul ses fils, incarne une figure paternelle complexe, tandis que la travailleuse sociale échappe aux clichés habituels pour proposer un portrait nuancé d’une profession souvent décriée.
La critique salue majoritairement ce roman. Mary Hoffman dans The Guardian le qualifie de « bon livre et grande histoire », soulignant particulièrement la justesse avec laquelle Dante apprivoise sa paternité. Nicholas Tucker, dans The Independent, note que malgré quelques facilités scénaristiques vers la fin, Malorie Blackman crée « des personnages et une histoire qui, une fois lus, ne s’oublient pas facilement ».
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE JEUNESSE ; 288 pages ; Dès 12 ans.
3. Les insurgés (dès 12 ans, 2013)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
En 2272, après des décennies de guerres dévastatrices, une nouvelle société s’est construite : l’Alliance. Elle proclame la vie humaine comme valeur suprême et interdit à ses soldats d’élite, les Gardiens, de tuer leurs adversaires. Kaspar, un jeune homme de 17 ans, rejoint avec fierté ces défenseurs de l’ordre qui affrontent les Insurgés, des rebelles accusés de terrorisme.
Mais sa rencontre avec Rhéa, une mystérieuse Insurgée dotée d’un pouvoir d’empathie, bouleverse ses certitudes. Elle lui sauve la vie alors qu’elle aurait dû l’éliminer. Intrigué, Kaspar enquête sur les attentats avec l’aide de Mac, une documentaliste experte en informatique. Il découvre peu à peu que l’Alliance, derrière ses beaux principes, dissimule peut-être un terrible secret d’État.
Autour du livre
Paru en 2013, « Les insurgés » s’inscrit dans la lignée des dystopies pour jeunes adultes tout en se démarquant par son traitement singulier des thèmes abordés. Contrairement aux schémas habituels du genre, l’intrigue ne repose pas sur une histoire d’amour centrale mais privilégie une réflexion sur le pouvoir, la manipulation et la nature de la vérité.
Le personnage principal, Kaspar, se distingue des héros traditionnels de young adult par sa complexité psychologique. Loin d’être un rebelle né, il commence comme un fervent défenseur du système avant que ses certitudes ne s’effritent progressivement. Sa transformation intellectuelle et morale s’opère de manière crédible, nourrie par une curiosité naturelle et un sens aigu de la justice.
Une des forces majeures du récit réside dans son traitement nuancé de la violence et du pacifisme. La société de l’Alliance, qui prône le respect absolu de la vie humaine et interdit à ses forces de l’ordre de tuer, soulève des questions éthiques pertinentes sur les limites d’un pacifisme institutionnalisé. Cette approche offre un contrepoint intéressant aux dystopies classiques où la violence est souvent présentée de manière plus manichéenne.
Le rôle central accordé à la documentation et à la recherche d’information constitue un autre aspect original. Le personnage de Mac, la documentaliste, n’est pas un simple adjuvant mais incarne l’importance cruciale de l’accès au savoir et de l’esprit critique dans la résistance aux systèmes totalitaires.
La critique souligne la capacité de Blackman à traiter des sujets complexes avec conviction. Linda Buckley-Archer, dans The Guardian, note que l’autrice « prend les grands thèmes et s’y attaque frontalement ». Nicholas Tucker, également dans The Guardian, salue l’efficacité du récit tout en relevant quelques faiblesses stylistiques occasionnelles.
Aux éditions MILAN JEUNESSE ; 342 pages ; Dès 12 ans.
4. Sombres étoiles (dès 12 ans, 2016)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans un futur lointain, le vaisseau spatial Aidan ne compte plus que deux occupants : Vee, 18 ans, et son frère jumeau. Trois années se sont écoulées depuis qu’un virus a exterminé leurs parents et le reste de l’équipage. Leur destination : la Terre. Un appel de détresse bouleverse leurs plans. Des humains en péril sur Barros 5 implorent de l’aide face aux Mazones, des extraterrestres belliqueux.
Une vingtaine de rescapés montent à bord, dont Nathan, un jeune homme qui séduit immédiatement Vee. Mais ces nouveaux passagers ne sont pas n’importe qui : ce sont des « drones », une classe d’humains opprimés qui ont fui l’esclavage sur Terre. La cohabitation sur le vaisseau s’avère périlleuse : les morts suspectes se succèdent, les tensions montent et les secrets refont surface.
Autour du livre
« Sombres étoiles » s’inscrit dans la lignée des réécritures de Shakespeare en transposant « Othello » dans un futur spatial. Cette relecture young adult, shortlistée pour le YA Book Prize, modernise la tragédie en inversant les genres : Vee incarne Othello tandis que Nathan prend le rôle de Desdémone.
La dimension science-fiction sert davantage de toile de fond à une histoire d’amour qu’elle ne constitue le cœur du récit. Les thématiques sociétales chères à Malorie Blackman – discrimination, esclavage, différences de classe – affleurent sans être pleinement développées. Le système des « drones », une caste opprimée, fait écho aux Noirs dans « Othello » mais aussi aux préoccupations contemporaines autour des réfugiés et de l’immigration.
Le livre ne cache pas sa filiation avec « Othello » tout en prenant des libertés avec l’œuvre source. La motivation d’Aidan, qui endosse le rôle d’Iago, reçoit notamment une nouvelle interprétation qui éclaire différemment ce personnage emblématique. Les mécanismes de la jalousie et de la manipulation restent au cœur de l’intrigue.
Les critiques se montrent très partagées. Si la majorité salue l’ambition de transposer Shakespeare dans l’espace, beaucoup déplorent une romance qui prend le pas sur les enjeux science-fictionnels et sociaux. The Guardian évoque « un mélange de ‘Star Trek’, ‘Dix bonnes raisons de te larguer’ et un roman policier ». La rapidité de la relation entre Vee et Nathan divise particulièrement les critiques.
Aux éditions MILAN JEUNESSE ; 416 pages ; Dès 12 ans.