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Kurt Vonnegut en 4 romans – Notre sélection

Kurt Vonnegut en 4 romans – Notre sélection

Kurt Vonnegut naît le 11 novembre 1922 à Indianapolis, dans une famille d’origine allemande qui a connu la prospérité avant d’être touchée par la Grande Dépression. Il fait ses études à la Shortridge High School où il écrit déjà pour le journal de l’école. Après un bref passage à Cornell, il s’engage dans l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. En mai 1944, le suicide de sa mère le marque durablement.

Fait prisonnier lors de la bataille des Ardennes en décembre 1944, il est envoyé à Dresde où il survit miraculeusement au bombardement de la ville en février 1945 en se réfugiant dans la cave d’un abattoir. Cette expérience traumatisante marquera profondément son œuvre, notamment dans son roman le plus célèbre, « Abattoir 5 ».

Après la guerre, il épouse Jane Marie Cox et travaille comme journaliste puis dans les relations publiques chez General Electric. Il publie son premier roman « Le Pianiste déchaîné » en 1952. Sa carrière d’écrivain décolle véritablement avec « Abattoir 5 » en 1969, qui devient un best-seller et fait de lui une figure majeure de la contre-culture américaine.

Romancier prolifique, il développe un style unique mêlant science-fiction, humour noir et satire sociale. Ses thèmes de prédilection sont la guerre, la technologie, la religion et le capitalisme, qu’il aborde avec un regard critique teinté d’humanisme. Pacifiste convaincu, athée et socialiste assumé, il utilise souvent l’absurde et l’humour pour dénoncer les travers de la société américaine.

En 1979, après son divorce d’avec Jane, il épouse la photographe Jill Krementz. Il continue d’écrire et de donner des conférences jusqu’à la fin de sa vie. Le 11 avril 2007, il meurt à New York des suites d’une chute, laissant derrière lui une œuvre riche de quatorze romans, plusieurs recueils de nouvelles et essais qui ont sensiblement marqué la littérature américaine du XXe siècle.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Abattoir 5 (1969)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1944, Billy Pilgrim, un jeune soldat américain mal entraîné et psychologiquement fragile, participe à la bataille des Ardennes. Capturé par les Allemands, il est transféré avec d’autres prisonniers dans la ville de Dresde, où ils sont détenus dans un ancien abattoir reconverti en camp de travail. Le 13 février 1945, Billy survit miraculeusement au bombardement allié qui rase la ville, protégé dans les sous-sols de l’abattoir numéro cinq.

Mais Billy n’est pas un homme ordinaire : il se « décroche » sans cesse du temps. Il voyage involontairement entre différentes périodes de sa vie. Un jour, il est jeune soldat traumatisé ; le lendemain, il se retrouve optométriste prospère marié à Valencia Merble ; puis il est subitement transporté sur la planète Tralfamadore où des extraterrestres l’exhibent dans un zoo avec une actrice de films pornographiques, Montana Wildhack. Ces sauts temporels incessants révèlent peu à peu l’histoire d’un homme profondément marqué par l’horreur de la guerre, qui cherche un sens à donner à la violence et à l’absurdité du monde.

Autour du livre

Kurt Vonnegut puise directement dans sa propre expérience pour écrire « Abattoir 5 ». Comme son protagoniste, il a été prisonnier de guerre à Dresde et a survécu au bombardement qui détruisit la ville en février 1945 en se réfugiant dans la cave d’un abattoir. Il lui faudra plus de vingt ans pour trouver la forme littéraire adéquate pour raconter cette expérience traumatisante. Le premier chapitre du livre relate d’ailleurs ses difficultés à écrire ce « livre sur Dresde ».

L’originalité du roman réside dans son mélange de réalisme brutal et d’éléments de science-fiction. La structure narrative non linéaire, qui suit les déplacements temporels chaotiques de Billy, traduit de manière saisissante l’impact psychologique durable des traumatismes de guerre. La formule « So it goes » (« Comme ça va »), répétée systématiquement à chaque mention de la mort, souligne avec une ironie glaçante l’omniprésence de la violence et de la mortalité.

Les critiques saluent unanimement la parution du livre en 1969. « Abattoir 5 » devient rapidement un best-seller, restant seize semaines sur la liste des meilleures ventes du New York Times. Il est considéré comme l’un des plus grands romans anti-guerre jamais écrits. La Modern Library le classe à la 18ème place des cent meilleurs romans de langue anglaise du XXe siècle. Paradoxalement, il fait aussi l’objet de nombreuses tentatives de censure aux États-Unis, notamment en raison de son langage cru et de ses positions anti-guerre.

George Roy Hill en tire un film en 1972 qui remporte le Prix du Jury au Festival de Cannes. Il est également adapté pour le théâtre, notamment au Everyman Theatre de Liverpool en 1989 et au Steppenwolf Theatre Company de Chicago en 1996. Une version opératique est créée à Munich en 1996. Plus récemment, en 2020, une adaptation en roman graphique est publiée par BOOM! Studios.

Aux éditions POINTS ; 240 pages.


2. Le petit déjeuner des champions (1973)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans l’Amérique des années 1970, deux destins s’apprêtent à converger dans la ville fictive de Midland City. Dwayne Hoover, riche concessionnaire automobile, sombre progressivement dans la folie depuis le suicide de sa femme. Sa vie, en apparence réussie, masque un profond déséquilibre mental qui s’aggrave de jour en jour.

Kilgore Trout, quant à lui, survit tant bien que mal comme obscur écrivain de science-fiction. Ses nouvelles, publiées dans des magazines pornographiques faute de mieux, n’ont qu’un seul lecteur : le millionnaire Eliot Rosewater. Sur l’invitation de ce dernier, Trout se rend au Festival des Arts de Midland City.

Le destin veut que ces deux hommes se rencontrent au bar du coin : l’Holiday Inn. Là, Hoover découvre le dernier roman de Trout, « Now It Can Be Told », dont la thèse centrale postule l’existence d’un seul être doté de libre arbitre dans un monde peuplé de robots. Pour l’esprit instable de Hoover, cette lecture pourrait bien être l’élément déclencheur d’une catastrophe imminente…

Autour du livre

Kurt Vonnegut rédige « Le petit déjeuner des champions » au début des années 1970, juste après le succès retentissant de « Abattoir 5 ». En janvier 1971, il confie au New York Times Magazine avoir abandonné l’écriture de ce roman qu’il qualifie alors de « piece of shit ». Pourtant, contre toute attente, il reprend et achève ce projet qu’il présente comme un cadeau pour son cinquantième anniversaire, un moyen de « débarrasser sa tête de tout ce bazar qui s’y trouve ».

Le texte se distingue par sa construction atypique qui pulvérise les codes narratifs traditionnels. Vonnegut y multiplie les digressions, parsème ses pages de dessins réalisés au feutre (représentant aussi bien une pomme qu’un drapeau nazi ou un anus) et livre systématiquement les mensurations intimes de ses personnages. Cette approche iconoclaste sert un propos férocement satirique sur la société américaine. À travers les pérégrinations de ses protagonistes, il dénonce le racisme institutionnel, la destruction de l’environnement, les ravages du capitalisme, l’aliénation mentale collective.

Le roman interroge la notion même de libre arbitre, thème récurrent chez Vonnegut. Les personnages oscillent entre déterminisme chimique – Hoover est victime de « mauvaises substances chimiques » dans son cerveau – et manipulation divine, puisque l’auteur lui-même fait une apparition en tant que Créateur de l’Univers pour dialoguer avec ses créatures. Cette mise en abyme vertigineuse brouille la frontière entre fiction et réalité.

Si le New York Times éreinte le livre, Time Magazine et Publishers Weekly saluent sa parution. Le succès commercial est indéniable : « Le petit déjeuner des champions » reste 56 semaines sur la liste des best-sellers du New York Times. Vonnegut lui-même se montre sévère avec son roman, lui attribuant la note C dans son auto-évaluation publiée en 1981. Malgré ces réserves, il est considéré comme l’un de ses textes les plus influents.

En 1999, Alan Rudolph l’adapte au cinéma avec Bruce Willis, Albert Finney, Nick Nolte et Omar Epps. Le film reçoit un accueil critique désastreux et ne bénéficie même pas d’une sortie nationale aux États-Unis, confirmant la difficulté de transposer à l’écran l’univers si particulier de Vonnegut.

Aux éditions GALLMEISTER ; 304 pages.


3. Nuit mère (1961)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans une prison israélienne, Howard W. Campbell Jr. écrit ses mémoires en attendant d’être jugé pour crimes de guerre. Ce dramaturge américain s’est installé en Allemagne à l’âge de onze ans. Marié à une actrice allemande, Helga, il mène une existence consacrée à l’art et à l’amour jusqu’à ce que l’Histoire le rattrape. En 1939, un agent américain, Frank Wirtanen, lui propose une mission d’espionnage particulièrement délicate : devenir l’une des voix de la propagande nazie à la radio. Campbell accepte. Ses émissions en anglais visent à convertir les Américains à la cause du Reich, mais dissimulent des messages codés destinés aux services secrets alliés. Ses discours antisémites rencontrent un tel succès qu’il devient l’une des figures majeures de la propagande nazie.

Pendant la guerre, Helga disparaît sur le front de l’Est, présumée morte. À la chute du Reich, Campbell s’exile à New York où il tente de se faire oublier. Quinze ans plus tard, son identité est révélée au grand public par son voisin George Kraft, un agent soviétique qui a gagné sa confiance. Les événements s’enchaînent alors : une organisation néonazie s’approprie son image, une femme prétendant être Helga reprend contact avec lui tandis que les services secrets de plusieurs pays se lancent à ses trousses.

Autour du livre

L’idée de « Nuit mère » naît lors d’une soirée au Cap Cod où Vonnegut rencontre un ancien maître-espion de la Seconde Guerre mondiale. Ce dernier, critiquant les films d’espionnage irréalistes, lui confie qu’un agent infiltré en territoire ennemi est nécessairement « une personne très malade ». Le personnage de Campbell s’inspire librement de William Joyce, surnommé Lord Haw-Haw, un propagandiste britannique qui diffusait pour les nazis et fut pendu pour trahison après la guerre. Vonnegut transpose cette histoire en imaginant un Américain dans une situation similaire.

Le titre provient du « Faust » de Goethe, plus précisément d’un passage où Méphistophélès évoque la « Mère Nuit », les ténèbres primordiales antérieures à la création, prophétisant que la lumière et la création devront bientôt s’éteindre pour que l’obscurité retrouve sa suprématie originelle. Cette référence littéraire souligne la dualité morale au cœur du récit.

« Nuit mère » se démarque des autres œuvres de Vonnegut par l’absence d’éléments science-fictionnels ou de personnages récurrents comme Kilgore Trout. L’auteur livre ici une réflexion sur l’ambiguïté morale et les compromissions qu’exige la guerre. Il reconnaît d’ailleurs que c’est le seul de ses livres dont il connaît la morale : « Nous sommes ce que nous prétendons être, alors nous devons faire attention à ce que nous prétendons être. »

La critique salue unanimement la puissance de ce roman moins connu que « Abattoir 5 » ou « Le Berceau du chat ». La romancière Doris Lessing s’étonne même de sa relative confidentialité, l’attribuant au fait que l’ouvrage fut initialement publié en format poche. Rich Schickel le décrit comme une progression « du diagnostic à l’exorcisme, trouvant dans l’art comique intensifié l’analgésique magique pour le soulagement temporaire de la douleur existentielle. »

Le roman connaît plusieurs adaptations : un film en 1996 avec Nick Nolte dans le rôle de Campbell, une version audio en 2009 narrée par Victor Bevine, et deux adaptations théâtrales en 2017 et 2018 mises en scène par Brian Katz.

Aux éditions GALLMEISTER ; 224 pages.


4. Dieu vous bénisse, monsieur Rosewater (1965)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

États-Unis, années 1960. La Fondation Rosewater gère une fortune de 87 millions de dollars. Cette institution, créée pour éviter l’impôt sur l’héritage, se trouve entre les mains d’Eliot Rosewater, fils du puissant sénateur Lister Ames Rosewater. Mais Eliot, traumatisé par son expérience de la Seconde Guerre mondiale et enclin à la boisson, nourrit une vision radicalement différente de celle de son père sur l’usage de cet argent. Il abandonne sa vie luxueuse à New York et s’installe dans le modeste comté de Rosewater, en Indiana, où sa famille a bâti sa fortune. Là, il met ses millions au service des plus démunis : il installe un standard téléphonique où chacun peut l’appeler à toute heure pour obtenir de l’aide financière ou du réconfort.

Cette générosité sans bornes scandalise son père, qui voit dans ce comportement les signes d’une grave instabilité mentale. Norman Mushari, jeune avocat opportuniste, flaire l’occasion : si Eliot est déclaré inapte à gérer la Fondation, l’argent reviendra à son plus proche parent, Fred Rosewater, un obscur vendeur d’assurances du Rhode Island. Mushari pourrait alors empocher une confortable commission sur ce transfert de fortune. Il entreprend donc de rassembler les preuves de la prétendue folie d’Eliot, menaçant ainsi de mettre fin à son expérience philanthropique.

Autour du livre

Publié en 1965, « Dieu vous bénisse, monsieur Rosewater » marque un virage dans la bibliographie de Kurt Vonnegut. Cinquième roman de l’auteur, il délaisse les thèmes de science-fiction qui caractérisaient ses précédents ouvrages pour livrer une satire sociale mordante. La genèse du livre s’inscrit dans le contexte de l’élection présidentielle américaine de 1964, comme en témoigne le nom même du protagoniste : « Rosewater » combine les noms de Roosevelt et Goldwater, incarnation de la tension entre libéralisme et conservatisme qui secoue alors la société américaine.

Le roman aborde frontalement la question des inégalités économiques et du système de classes américain, que Vonnegut qualifie de « sauvage, stupide, totalement inapproprié et inutile ». À travers le personnage d’Eliot Rosewater, il pose une question fondamentale : comment aimer ceux qui n’ont plus d’utilité dans une société industrialisée ? Cette interrogation résonne particulièrement avec l’automatisation croissante du travail, problématique qui occupe une place centrale dans l’œuvre de Vonnegut depuis son premier roman, « Le Pianiste déchaîné ».

Ce livre introduit également plusieurs éléments qui deviendront récurrents dans l’œuvre de Vonnegut. Le personnage de Kilgore Trout, écrivain de science-fiction méconnu et alter ego de l’auteur, fait ici sa première apparition. Le bombardement de Dresde, événement traumatique vécu par Vonnegut pendant la guerre et qui sera au cœur de « Abattoir 5 », est évoqué à travers les hallucinations d’Eliot. Ces interconnexions témoignent de la construction progressive d’un univers littéraire cohérent.

Le New York Times souligne que le roman « nécessite davantage les services d’un historien social que d’un critique littéraire », tant sa critique de la société américaine s’avère pertinente. Les commentateurs mettent en avant la manière dont Vonnegut réussit à marier humour noir et questionnement profond sur la nature humaine, tout en maintenant un optimisme sous-jacent quant à la possibilité de changer le monde.

En 1979, le roman a été adapté en comédie musicale par Howard Ashman et Alan Menken, créateurs des futures comédies musicales Disney. Après une première série de 49 représentations à l’Entermedia Theatre de New York, l’œuvre a connu un revival remarqué en 2016 au New York City Center, donnant lieu à un album enregistré par Ghostlight Records en 2017.

Aux éditions GALLMEISTER ; 224 pages.

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