Jean Hatzfeld naît le 14 septembre 1949 à Madagascar, dans une famille de huit enfants. Petit-fils de l’helléniste Jean Hatzfeld et fils de l’historien Olivier Hatzfeld, il passe son enfance au Chambon-sur-Lignon, en Auvergne, ville qui s’est illustrée pendant la Seconde Guerre mondiale en accueillant des milliers de Juifs.
Au lendemain de Mai 68, le jeune Hatzfeld part sur les routes vers Kaboul et Peshawar. De retour en France, il exerce divers métiers avant de se lancer dans le journalisme. En 1975, il publie son premier reportage dans Libération, où il crée le service des sports. Sa véritable vocation se révèle lors de son premier séjour à Beyrouth : pendant vingt-deux ans, il devient correspondant de guerre, couvrant les conflits au Moyen-Orient, en Afrique et dans les Balkans.
Marqué par le génocide des Tutsis au Rwanda, il suspend son activité de journaliste pour s’installer près de Nyamata. Il y recueille les témoignages des rescapés, puis des génocidaires, donnant naissance à une série d’ouvrages majeurs dont « Dans le nu de la vie » (2000), « Une saison de machettes » (2003) et « La stratégie des antilopes » (2007).
Reconnu par ses pairs, Jean Hatzfeld reçoit de nombreuses distinctions, dont le prix Médicis, le prix Femina essai et le prix Joseph-Kessel. Son œuvre, traduite en plusieurs langues, propose une réflexion sur la guerre, la mémoire et la reconstruction. Il est l’un des écrivains majeurs sur le génocide rwandais.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Dans le nu de la vie (2000)
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En avril 1994, la commune rwandaise de Nyamata est le théâtre d’un massacre systématique. Durant un mois, chaque matin à 9h30, des colonnes de Hutus armés de machettes partent « au travail » : traquer et tuer leurs voisins tutsis. Ces expéditions meurtrières, menées jusqu’à 16 heures, suivent une routine macabre qui coûtera la vie à 50 000 personnes sur une population de 59 000 Tutsis.
Pour échapper à leurs bourreaux, les survivants se réfugient dans les marécages environnants. Ils s’y terrent pendant des semaines, le corps enduit de boue, en proie aux moustiques et aux serpents. La nuit tombée, quand les tueurs désertent les collines, ils sortent furtivement pour trouver de la nourriture. La dysenterie, la malaria et la malnutrition déciment peu à peu ces rescapés déjà traumatisés par les scènes de violence dont ils ont été témoins.
En 1999, cinq ans après les faits, quatorze survivants acceptent de témoigner auprès de Jean Hatzfeld. Parmi eux, Cassius, 12 ans, qui a vu sa famille décimée; Innocent, instituteur de 38 ans; ou encore Sylvie, assistante sociale dont la famille est passée de 200 à 20 membres. Leurs récits dévoilent l’incompréhensible basculement de leurs voisins hutus dans la barbarie et leur difficile reconstruction dans un pays où ils côtoient désormais leurs anciens bourreaux.
L’histoire de ce livre commence par un remords. En 1994, Hatzfeld couvre le conflit à Sarajevo quand éclate le génocide rwandais. Arrivé sur place en juillet, il suit comme la majorité des journalistes l’exode des réfugiés hutus vers le Congo, passant à côté de l’essentiel : les rescapés tutsis. Cette prise de conscience le pousse à suspendre son activité en 1998 pour s’installer près de Nyamata. Ce premier volet d’une trilogie sur le génocide rwandais, couronné par le prix France Culture en 2001, sera suivi par « Une saison de machettes », où l’auteur donnera cette fois la parole aux génocidaires.
Aux éditions POINTS ; 233 pages.
2. Une saison de machettes (2003)
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En 1994, au Rwanda, près de 800 000 Tutsis sont massacrés en à peine trois mois par leurs voisins hutus, principalement à coups de machette. Après avoir recueilli les témoignages des survivants dans « Dans le nu de la vie », le journaliste Jean Hatzfeld décide d’aller à la rencontre des bourreaux. Il se rend au pénitencier de Rilima où il interroge pendant deux ans une dizaine d’hommes qui ont participé aux tueries dans la région de Nyamata. Ces tueurs sont des gens ordinaires – cultivateurs, instituteurs, fonctionnaires – qui, du jour au lendemain, se sont mis à massacrer méthodiquement leurs voisins, parfois même des amis avec qui ils partageaient repas et prières.
Les entretiens révèlent une mécanique glaçante : chaque matin, ces hommes se retrouvaient sur le terrain de football avant de partir « en chasse » dans les marais, traquant les Tutsis cachés dans les broussailles. De 9h30 à 16h, ils « coupaient » – selon leur expression – hommes, femmes et enfants, pillant ensuite leurs biens. Le soir venu, ils rentraient boire et festoyer, comme après une banale journée de labeur. « La règle numéro un, c’était de tuer. La règle numéro deux, il n’y en avait pas », résume l’un d’eux. Plus troublant encore : aucun ne manifeste de réels remords.
Dans « Une saison de machettes », Hatzfeld alterne les témoignages bruts des assassins avec ses propres réflexions, éclairant les mécanismes qui ont rendu possible cette entreprise d’extermination. Il y établit des parallèles saisissants avec d’autres génocides, notamment celui des Juifs, tout en soulignant les spécificités du cas rwandais : un génocide de proximité, perpétré avec des outils agricoles par des voisins contre leurs voisins.
Couronné du prix Femina essai et du prix Joseph-Kessel en 2004, le livre a été adapté au théâtre en 2006 par la compagnie Passeurs de Mémoire. Il constitue le deuxième volet d’une trilogie consacrée au génocide rwandais, entre « Dans le nu de la vie » (paroles des rescapés tutsis) et « La stratégie des antilopes » (sur la cohabitation d’après-génocide).
Aux éditions POINTS ; 312 pages.
3. La stratégie des antilopes (2007)
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Un matin de mai 2003 au Rwanda, les portes du pénitencier de Rilima s’ouvrent sur une scène surréaliste : des milliers de prisonniers hutus, condamnés pour leur participation au génocide de 1994, sont libérés. Ces hommes, qui avaient systématiquement traqué et tué leurs voisins tutsis, regagnent leurs collines natales. Une situation inimaginable prend forme : les survivants du génocide se retrouvent face à leurs bourreaux dans les rues, les marchés, les églises.
Cette cohabitation forcée s’inscrit dans un vaste programme de réconciliation nationale, imposé par le gouvernement rwandais et soutenu financièrement par les pays occidentaux. Les consignes sont claires : les Tutsis doivent faire preuve de patience et de retenue, tandis que les Hutus sont sommés d’afficher contrition et humilité. Pourtant, sous ces apparences de normalisation, grondent des tensions sourdes. Les survivants, qui ont vécu pendant des semaines comme des bêtes traquées dans les marais, qui ont vu leurs proches « coupés » à la machette, doivent désormais côtoyer ceux-là mêmes qui ont décimé leurs familles.
Jean Hatzfeld, qui avait déjà consacré deux ouvrages au génocide rwandais (« Dans le nu de la vie » et « Une saison de machettes »), recueille ici les témoignages des deux communautés. Les récits s’entremêlent pour dresser le portrait d’une société profondément meurtrie, où la réconciliation imposée par le haut se heurte aux réalités du terrain. « La réconciliation, ce serait le partage de la confiance. La politique de réconciliation, c’est le partage équitable de la méfiance », résume l’un des témoignages.
Couronné par le prix Médicis en 2007, ce livre constitue le dernier volet d’une trilogie exceptionnelle sur le génocide rwandais. Sa force réside dans sa capacité à saisir toute la complexité d’une situation sans précédent, où les impératifs de reconstruction nationale se heurtent à l’impossibilité du pardon. Les témoignages, recueillis avec tact, donnent à entendre des voix authentiques qui interrogent la possibilité même d’une société réconciliée après un tel traumatisme.
Aux éditions POINTS ; 320 pages.
4. Là où tout se tait (2021)
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Dans « Là où tout se tait », Jean Hatzfeld retrace le parcours des Hutus qui ont refusé de participer au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Sur les collines de Nyamata, région où 51 000 Tutsis sur 59 000 ont été massacrés en à peine plus d’un mois, quelques hommes et femmes ont choisi de s’opposer à la folie meurtrière, souvent au péril de leur vie. On les appelle les « abarinzi w’igihango », les « gardiens du pacte de sang ».
À travers neuf portraits, Hatzfeld révèle ces actes de bravoure méconnus. Isidore Mahandago, assassiné dès le 14 avril pour avoir exhorté les tueurs à cesser leurs massacres. Eustache Niyongira qui protège son épouse tutsi et sa belle-famille pendant toute la durée du génocide. Marcienne Nyiragashoki et Marcel Sengati, tués pour avoir caché des Tutsis alors même que leurs propres enfants participaient aux tueries. Valérie Nyirarudodo, infirmière dont le mari tutsi et trois enfants sont assassinés, mais qui continue à sauver des vies à la maternité.
Ces actes de résistance individuelle, fruits de la « gentillesse invincible », n’ont pourtant pas trouvé leur place dans la mémoire nationale. Si quelques-uns, comme Silas Ntamfurayishyari, sont reconnus comme « gardiens du pacte de sang » et participent aux cérémonies officielles, la plupart restent dans l’ombre. Leurs gestes de courage dérangent : ils prouvent qu’il était possible de dire non.
Cette enquête minutieuse, fruit de vingt années de travail sur le terrain, apporte un nouvel éclairage sur les dynamiques sociales du génocide et ses séquelles. En montrant comment la bonté a pu surgir au cœur de l’horreur, Hatzfeld interroge aussi les limites de la politique de réconciliation mise en œuvre au Rwanda. Les témoignages recueillis révèlent la persistance des tensions ethniques et la difficulté à construire une mémoire commune. La dernière phrase du livre résonne comme un verdict implacable : « De toute façon, aucun pardon n’est possible ».
Aux éditions FOLIO ; 256 pages.