James Albert Michener naît le 3 février 1907 à Doylestown, en Pennsylvanie. Ses origines sont mystérieuses : il ne connaît ni ses parents biologiques, ni les circonstances exactes de sa naissance. Sa mère adoptive, Mabel Michener, l’élève dans la tradition quaker.
Brillant étudiant, il obtient une bourse pour étudier au collège Swarthmore où il excelle en basket-ball. Après l’obtention de son diplôme avec les honneurs en 1929, il voyage en Écosse pour étudier à l’université de St Andrews. De retour aux États-Unis, il devient professeur d’anglais et poursuit ses études jusqu’à obtenir une maîtrise en éducation.
Sa carrière d’écrivain débute pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il sert comme lieutenant dans la marine américaine dans le Pacifique Sud. De cette expérience naît son premier livre, « Pacifique Sud », qui lui vaut le Prix Pulitzer de la fiction en 1948. Ce succès marque le début d’une carrière littéraire prolifique.
Michener développe une méthode d’écriture particulière : il conjugue histoire et fiction en suivant des familles sur plusieurs générations dans des lieux précis. Fruits de recherches méticuleuses, ses romans couvrent souvent des siècles d’histoire. Parmi ses œuvres majeures figurent « Hawaï », « La Source », « Chesapeake », « L’Alliance », « Texas », « Pologne » et « Alaska ».
Parallèlement à sa carrière d’écrivain, Michener s’engage en politique aux côtés des Démocrates et devient un philanthrope important à l’origine de dons conséquents à diverses institutions éducatives et culturelles.
Marié trois fois, sa dernière épouse, Mari Yoriko Sabusawa, partage sa vie de 1955 jusqu’à sa mort en 1994. Trois ans plus tard, le 16 octobre 1997, Michener décide d’arrêter sa dialyse et s’éteint à l’âge de 90 ans, laissant derrière lui une œuvre monumentale de plus de 40 livres traduits dans le monde entier.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. La Source (1965)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
En 1964, un groupe d’archéologues entreprend des fouilles sur le tell de Makor, une colline artificielle formée par l’accumulation de plusieurs millénaires d’habitations successives dans le nord d’Israël. John Cullinane, un archéologue américain d’origine irlandaise, dirige une équipe composée notamment de Vered Bar-El, une spécialiste juive de la céramique, et de Dschemail Tabari, un organisateur musulman.
En creusant des tranchées dans le monticule, ils mettent au jour quinze couches distinctes correspondant à autant d’époques différentes. Chaque objet découvert – des outils en silex aux douilles de cartouche – sert de porte d’entrée vers une histoire plus vaste. Au fil des fouilles se dévoile ainsi la saga de ce lieu depuis la préhistoire (9831 av. J.-C.) jusqu’à la création de l’État d’Israël en 1948.
Nous assistons aux origines de l’agriculture et des premiers cultes religieux, puis à l’émergence du monothéisme hébreu. Nous traversons ensuite les époques charnières : le règne du roi David, l’invasion babylonienne, la domination grecque puis romaine, l’arrivée du christianisme, l’expansion musulmane, les Croisades, et finalement la création de l’État d’Israël. À travers ce voyage à travers les siècles, nous comprenons pourquoi cette petite bande de terre a toujours suscité tant de passions et de conflits.
Autour du livre
Publié initialement en 1965 par Random House avec un premier tirage de 40 000 exemplaires, ce monument littéraire de près de mille pages témoigne d’un travail colossal de documentation historique. James A. Michener élabore « La Source » après avoir observé les fouilles archéologiques menées à Hazor en Israël. Il choisit de situer son récit dans un tell fictif mais représentatif des sites archéologiques de la région, de manière à pouvoir condenser l’histoire complète d’Israël en un seul lieu symbolique. Sa démarche mêle l’enquête archéologique contemporaine à la reconstitution historique, un pont entre passé et présent caractéristique de l’œuvre de Michener.
« La Source » retrace l’évolution des croyances religieuses depuis les premiers cultes païens jusqu’aux trois grandes religions monothéistes. À travers la famille d’Ur, dont les descendants se retrouvent à chaque époque, Michener illustre comment l’adoration primitive d’un monolithe nommé El se transforme progressivement. Le lecteur assiste à l’émergence du judaïsme avec ses différentes manifestations (El-Shaddai, Yahvé, puis YHWH), puis à l’apparition du christianisme et de l’islam. Ce tableau saisissant de l’évolution spirituelle s’accompagne d’une analyse minutieuse des textes sacrés, notamment la Torah et le Talmud, dont Michener montre comment ils ont structuré la vie juive à travers les siècles, tant dans leurs aspects libérateurs que contraignants.
Michener y met en lumière la résilience du peuple juif face aux persécutions constantes. Son récit n’élude rien des massacres perpétrés par les Assyriens, les Babyloniens, les Romains, puis plus tard par les Croisés et durant l’Inquisition. Un aspect particulièrement novateur du livre consiste à démontrer la présence ininterrompue de communautés juives en Palestine, qui contredit l’idée reçue d’un exil total. Comme le souligne un personnage du roman : « Quelque chose s’est passé ici dont les livres d’histoire ne nous ont rien dit ». Cette continuité historique alimente les réflexions sur la légitimité de l’État d’Israël, question brûlante au moment de la publication du livre.
La structure narrative ingénieuse du livre, qui alterne entre les découvertes du présent et leurs échos dans le passé, permet à Michener d’aborder les questions politiques contemporaines avec une profondeur historique rare. Les tensions entre traditions religieuses et modernité, entre Juifs et Arabes, entre Ashkénazes et Séfarades, apparaissent ainsi comme l’aboutissement de processus millénaires. Le dernier chapitre, qui se conclut sur les mots d’Éliav « Il serait grand temps que Juifs et Arabes accomplissent un geste de réconciliation réelle […] Car j’ai bien l’impression que nous allons partager ce bout de l’univers pendant pas mal de siècles », résonne aujourd’hui encore avec une actualité saisissante.
À sa parution, « La Source » connaît un succès phénoménal, caracolant en tête des listes de best-sellers américains pendant près de dix mois. Le New York Times salue un récit « passionnant… étonnant… [une] merveilleuse chevauchée à travers l’histoire », tandis que le Philadelphia Inquirer évoque « un roman épique rempli d’excitation – rituels païens, affrontements d’armées antiques et modernes : le drame évolutif de la foi de l’homme ». Le San Francisco Call Bulletin va jusqu’à le qualifier de « l’un des grands livres de cette génération ». Morris Bekritsky note dans The Jewish Observer : « Ce best-seller est littéralement devenu une ‘source’ pour beaucoup de Juifs, de tradition juive, d’enseignements et d’histoire ». Certains rabbins émettent néanmoins des critiques sur la compréhension de la loi juive par Michener, notamment concernant les règles relatives au mamzer (enfant illégitime).
Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 864 pages.
2. L’Alliance (1980)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
« L’Alliance » retrace l’histoire tumultueuse de l’Afrique du Sud, des temps préhistoriques jusqu’à l’apartheid des années 1970. Le récit suit trois lignées familiales dont les destins s’entrelacent au fil des siècles : les Van Doorn, colons néerlandais arrivés au XVIIe siècle qui s’établissent comme vignerons puis deviennent les premiers Trekboers et Afrikaners ; les Nxumalo, famille zouloue qui participe à la construction d’une puissante nation guerrière sous l’égide du redoutable Shaka ; et les Saltwood, missionnaires anglais qui arrivent au début du XIXe siècle pour étendre l’Empire britannique.
La chronique débute avec l’installation des Hollandais au Cap, se poursuit avec l’arrivée des Huguenots qui perfectionnent la viticulture, puis avec la conquête britannique qui abolit l’esclavage et provoque le Grand Trek des Boers vers l’intérieur des terres. S’ensuivent les guerres sanglantes contre les Zoulous, puis le conflit anglo-boer qui se solde par la défaite des Afrikaners. Malgré la défaite militaire, ces derniers parviennent à prendre le pouvoir politique en 1948 et instaurent l’apartheid, système de ségrégation raciale qui divise le pays.
Au cœur de cette fresque historique se pose une question brûlante : comment réconcilier des peuples que tout oppose – religion, culture, vision du monde – et qui revendiquent chacun cette terre comme leur héritage légitime ?
Autour du livre
James A. Michener termine la rédaction de « L’Alliance » en 1980, alors que l’Afrique du Sud se trouve encore sous le régime de l’apartheid. Cette fresque monumentale de plus de 1200 pages est l’aboutissement d’un travail colossal de documentation sur l’histoire complexe du pays. Dans une époque où les tensions raciales atteignent leur paroxysme, Michener entreprend de retracer l’origine et l’évolution des conflits qui déchirent cette nation, espérant ainsi offrir une perspective historique éclairante sur les événements contemporains.
La narration débute il y a environ 13 000 ans avec les San, premiers habitants de la région, pour se poursuivre à travers les siècles avec l’arrivée des différentes vagues de colonisation. Le récit couvre des moments charnières comme l’installation des Hollandais au Cap au XVIIe siècle, l’immigration des Huguenots français, la conquête britannique, la montée du nationalisme afrikaner, les guerres anglo-boers, et l’instauration de l’apartheid. Chaque chapitre s’articule autour d’un animal emblématique de l’Afrique du Sud, trait d’union symbolique entre l’histoire des hommes et le territoire sauvage qui les accueille.
Le titre fait référence à l’alliance que les colons afrikaners estiment avoir conclue avec Dieu ; ils se considèrent comme les « Nouveaux Israélites » sur leur terre promise. Michener montre comment leur interprétation stricte et fondamentaliste de l’Ancien Testament justifie à leurs yeux la conquête territoriale et la domination des populations noires. Cette conviction religieuse sert de socle idéologique aux politiques de ségrégation raciale, illustration de la manière dont les textes sacrés peuvent être instrumentalisés pour légitimer des systèmes d’oppression.
Michener s’attache à présenter les perspectives de chaque groupe ethnique, sans porter de jugement explicite. À travers la famille Van Doorn, il illustre l’héritage néerlandais et huguenot ; avec les Saltwood, l’influence britannique coloniale ; et par les Nxumalo, la culture et les traditions zouloues. Des figures historiques comme Shaka, Cecil Rhodes, Paul Kruger ou Gandhi apparaissent aux côtés des personnages fictifs. Cette mosaïque culturelle révèle les incompréhensions mutuelles et les luttes de pouvoir qui façonnent l’identité trouble de l’Afrique du Sud.
Aux éditions POINTS ; 832 pages.
3. Pologne (1983)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
À Bukowo, petit village polonais fictif situé sur les rives de la Vistule, se déroule en 1981 une rencontre déterminante entre Janko Buk, leader d’un mouvement agricole indépendant, et Szymon Bukowski, ministre de l’Agriculture du gouvernement communiste polonais. Ces deux hommes, aux idéologies contraires mais aux racines communes, découvrent leur lointaine parenté tandis qu’ils négocient la possibilité d’un syndicat agricole libre.
Cette confrontation contemporaine sert de cadre à une fresque monumentale qui remonte jusqu’au XIIIe siècle. On y suit trois familles emblématiques de la société polonaise : les magnats Lubonski, propriétaires de vastes domaines et influents dans les sphères du pouvoir ; les Bukowski, petite noblesse souvent désargentée mais fière de son patronyme ; et les Buk, paysans attachés à leur terre, piliers silencieux de la nation.
À travers ces familles, le lecteur parcourt huit siècles d’histoire polonaise, des invasions tatares de 1241 aux chevaliers teutoniques, des raids suédois à l’assaut ottoman, jusqu’aux tragédies du XXe siècle. L’issue de la confrontation entre Buk et Bukowski en 1981 déterminera si cette nation, une fois encore, parviendra à s’extraire de l’emprise qui l’étouffe. « Un Polonais naît avec une épée dans la main droite et une brique dans la gauche. Quand la bataille s’achève, il commence à reconstruire. »
Autour du livre
Engagé par une société de télévision pour tourner un documentaire dans le pays de son choix, James A. Michener opte pour la Pologne. Cette première visite suscite chez lui une fascination qui le conduit à multiplier les voyages – huit au total – et à entreprendre une étude de l’histoire et de la culture polonaises. L’écriture débute en 1979 pour s’achever quatre ans plus tard, en 1983. Dans sa préface, Michener prend une précaution inhabituelle : contrairement à ses autres romans où il remercie nommément ses collaborateurs, il choisit de taire les identités de ses accompagnateurs polonais. « Normalement, comme je l’ai fait dans mes autres romans, j’indiquerais leurs noms, leurs professions, mais je ne peux déterminer si, dans le climat actuel, cela leur nuirait ou les aiderait, » écrit-il, témoignant ainsi des tensions politiques qui secouent alors la Pologne sous régime communiste.
« Pologne » retrace l’histoire polonaise à travers neuf chapitres, chacun ancré dans une période charnière. Les quatre premiers chapitres, intitulés « De l’Est », « De l’Ouest », « Du Nord » et « Du Sud », illustrent comment la Pologne, dépourvue de défenses naturelles, subit des invasions de toutes les directions cardinales. Cette vulnérabilité géographique, couplée à un système politique fragilisant – le « liberum veto » permettant à un seul noble de bloquer toute décision du parlement – contribue aux malheurs historiques du pays. L’originalité de Michener réside dans sa manière de personnifier cette histoire à travers trois familles fictives qui traversent les siècles, leurs destins s’entrelaçant au fil des générations malgré leurs différences sociales. Cette approche permet au lecteur de saisir comment les grands bouleversements historiques affectent chaque strate de la société polonaise.
Le motif central qui traverse les pages s’incarne dans cette maxime emblématique : « Un Polonais naît avec une épée dans la main droite et une brique dans la gauche. Quand la bataille s’achève, il commence à reconstruire. » Michener élève ainsi la Pologne au rang de symbole de résilience. Le pays disparaît plusieurs fois de la carte européenne – notamment lors du partage entre la Prusse, la Russie et l’Autriche à la fin du XVIIIe siècle qui l’efface pour plus de cent quarante ans – mais ressuscite constamment. Cette nation qui, selon les mots du romancier, entreprend des « efforts souvent couronnés de succès, le plus souvent voués à l’échec » face aux puissances environnantes, se présente comme un microcosme des luttes universelles contre l’adversité. La période nazie reçoit un traitement particulièrement poignant : Michener décrit les atrocités perpétrées dans les camps de Lublin, Auschwitz et Majdanek en montrant comment l’occupation allemande puis soviétique n’a jamais brisé l’aspiration polonaise à la liberté.
Bien que dominé par les conflits militaires, le livre accorde une place significative à la culture polonaise, notamment à sa musique. Le chapitre « Mazurka » met en lumière l’âme polonaise à travers ses expressions artistiques. Michener établit un contraste entre la musique polonaise et celle d’autres nations européennes en la présentant comme moins structurée mais dotée d’un esprit distinctif. Le personnage de Chopin, bien que secondaire dans la narration, symbolise cette singularité culturelle. Cette attention aux manifestations artistiques enrichit la fresque historique et souligne comment l’identité polonaise s’est préservée même durant les périodes où le pays n’existait plus politiquement. La langue, les arts visuels et la musique servent ainsi de remparts contre l’effacement culturel imposé par les puissances occupantes.
Dès sa parution, « Pologne » connaît un succès commercial immédiat et se hisse à la première place sur la liste des meilleures ventes du New York Times. William E. Schaufele Jr., ancien ambassadeur américain en Pologne, salue dans le Christian Science Monitor la capacité de Michener à rendre l’histoire polonaise accessible : « il a réussi à écrire une histoire lisible et précise sous forme de roman ». Certains spécialistes émettent néanmoins des réserves quant à certaines simplifications historiques. Haskell Nordon, dans le New York Times, reproche notamment à Michener de minimiser l’antisémitisme polonais et d’occulter la contribution des Juifs polonais à l’histoire du pays. D’autres critiques pointent des personnages parfois trop schématiques. Malgré ces quelques controverses, le roman est considéré comme une solide introduction à l’histoire polonaise pour le grand public.
Aux éditions POINTS ; 800 pages.