Italo Calvino (1923-1985) est l’un des plus éminents écrivains italiens du XXe siècle. Né à Santiago de Las Vegas (Cuba), il rentre en Italie avec sa famille en 1925. Élevé dans un milieu intellectuel antifasciste à San Remo, il rejoint la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, une expérience qui marquera profondément son œuvre, à commencer par son premier roman « Le sentier des nids d’araignées » (1947).
D’abord influencé par le néoréalisme, il s’oriente ensuite vers la littérature fantastique et populaire, en s’appuyant notamment sur les contes traditionnels italiens. Sa célèbre trilogie « Nos ancêtres » (1952-1959) confirme son talent de fabuliste, tandis que ses œuvres ultérieures comme « Les villes invisibles » (1972) et « Si par une nuit d’hiver un voyageur » (1979) témoignent de son génie novateur. Membre de l’OuLiPo, il conjugue dans son œuvre réalisme, fantaisie et expérimentation formelle. Il meurt prématurément d’une hémorragie cérébrale à Sienne en 1985.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Nos ancêtres – Le vicomte pourfendu (1952)
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Le jeune vicomte Médard de Terralba s’élance sur les champs de bataille de Bohême pour affronter les Turcs. Nous sommes au XVIIIe siècle, et ce noble génois inexpérimenté ne se doute pas du sort qui l’attend : un boulet de canon le sectionne en deux moitiés parfaitement symétriques. Les médecins parviennent à sauver sa partie droite qui, une fois rétablie, retourne dans son fief.
Cette moitié de vicomte sème rapidement la terreur. Elle torture, assassine et pourfend systématiquement tout ce qui croise sa route. Les habitants tremblent devant cette créature démoniaque. L’espoir renaît quand la partie gauche réapparaît – celle que l’on pensait détruite. Mais cette seconde moitié, d’une bonté excessive, s’avère tout aussi insupportable que la première.
Dans ce conte narré par le neveu du vicomte, les deux moitiés s’affrontent pour conquérir le cœur de Pamela, une bergère. Calvino manie l’absurde et l’ironie pour questionner la nature humaine. Son récit, empreint d’humour noir, montre que ni la cruauté ni la vertu absolues ne sont souhaitables : l’homme n’existe pleinement que dans la fusion de ses contradictions.
Aux éditions FOLIO ; 144 pages.
2. Nos ancêtres – Le baron perché (1957)
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En 1767, dans la région de Gênes, le jeune Côme Laverse du Rondeau, douze ans, grimpe dans un arbre du domaine familial après avoir refusé de manger un plat d’escargots. Ce qui commence comme un acte de rébellion contre l’autorité parentale se transforme en choix de vie radical : il ne redescendra plus jamais sur terre.
De branche en branche, d’arbre en arbre, Côme s’adapte à son existence sylvestre. Il apprend à chasser, se confectionne des abris, lit pendant des heures, correspond avec les philosophes des Lumières, noue des amitiés improbables avec des bandits et des nobles en exil. Du haut de son royaume, il observe la société qui l’entoure avec un regard neuf et participe à sa manière aux bouleversements de son époque : la Révolution française, les guerres napoléoniennes. Il tombe éperdument amoureux de Violette, une jeune marquise aussi libre que fantasque.
À partir d’une situation insolite – un jeune noble qui choisit de vivre dans les arbres – Calvino bâtit une méditation sur la liberté et la marginalité. Ce choix radical de Côme n’est pas une fuite mais une autre façon d’habiter le monde. Sa position élevée lui permet de voir les choses autrement, de construire un rapport différent aux autres et à la nature. Son refus obstiné de redescendre n’est pas celui d’un misanthrope : il continue à interagir avec la société, mais selon ses propres règles. Le texte s’inscrit dans la tradition des contes philosophiques du XVIIIe siècle. Comme Voltaire dans « Candide », Calvino utilise la fantaisie et l’humour pour questionner les conventions sociales de son époque.
Aux éditions FOLIO ; 384 pages.
3. Nos ancêtres – Le chevalier inexistant (1959)
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Dans l’armée de Charlemagne sert un chevalier à l’armure immaculée, Agilulfe Edme Bertrandinet des Guildivernes. Sa particularité ? Son armure est vide. Ce paladin sans corps ni visage existe pourtant bel et bien : il parle, combat et fait respecter avec zèle les règles de la chevalerie. Ses compagnons d’armes le trouvent insupportable à cause de son perfectionnisme et de sa rigueur excessive.
Un jour, lors d’un banquet, un jeune homme remet en cause la légitimité de son titre de chevalier. Pour sauver son honneur, Agilulfe part à la recherche de la princesse Sofronie, qu’il avait jadis sauvée des griffes de brigands. Dans sa quête, il est accompagné de Gourdoulou, son écuyer fantasque qui, à l’inverse de son maître, existe mais ne le sait pas.
Cette histoire loufoque nous est contée par sœur Théodora, une nonne dont l’identité mystérieuse ne sera révélée qu’à la fin du récit. Avec ce conte philosophique paru en 1959, Italo Calvino livre une réflexion pleine d’humour sur l’existence, l’identité et les conventions sociales, tout en parodiant les romans de chevalerie médiévaux.
Aux éditions FOLIO ; 224 pages.
4. Si par une nuit d’hiver un voyageur (1979)
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Publié en 1979, « Si par une nuit d’hiver un voyageur » d’Italo Calvino met en scène un Lecteur qui vient d’acheter le dernier roman de l’auteur. Dès les premières pages, une erreur d’impression l’empêche de poursuivre sa lecture. De retour à la librairie pour échanger son exemplaire, il rencontre une Lectrice, Ludmilla, confrontée au même problème.
Ensemble, ils se lancent dans une quête improbable pour retrouver la suite de l’histoire. Mais chaque nouveau livre qu’ils découvrent s’interrompt brutalement après quelques chapitres, les entraînant dans une succession d’intrigues inachevées. Leur périple les mène des bureaux d’éditeurs aux séminaires universitaires, sur les traces d’un mystérieux traducteur puis au cœur d’un complot littéraire international.
Entre ces péripéties s’intercalent dix débuts de romans, tous différents dans leur style et leur atmosphère : polar, récit érotique, roman d’espionnage… Calvino joue avec les codes narratifs et tisse une réflexion ludique sur l’acte de lire. Son texte interpelle directement le lecteur, brouille les frontières entre fiction et réalité, et transforme la lecture en une expérience singulière où chacun devient personnage de sa propre aventure.
Aux éditions FOLIO ; 400 pages.
5. Les villes invisibles (1972)
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Dans la Chine du XIIIe siècle, Marco Polo se présente à la cour de Kublai Khan, empereur des Tartares. Le souverain, qui ne peut visiter lui-même son immense territoire, demande au marchand vénitien de lui décrire les villes de son empire. S’ensuit alors une série d’échanges entre les deux hommes, au cours desquels Marco Polo dépeint cinquante-cinq cités imaginaires, toutes baptisées d’un prénom féminin.
Ces descriptions s’organisent en onze catégories thématiques : les villes et la mémoire, les villes et le désir, les villes et les signes, les villes effilées… Chaque cité révèle un aspect différent de l’existence urbaine : certaines s’élèvent sur des échasses au-dessus des nuages, d’autres s’étendent sous terre, quelques-unes flottent dans les airs suspendues par des cordes.
Entre chaque description, les dialogues philosophiques entre Marco Polo et Kublai Khan questionnent la nature même des villes, leur rapport au temps, à l’espace et aux hommes qui les habitent.
Le roman se présente comme une série de variations autour du thème de la ville. En inventant des cités aux architectures impossibles et aux règles de fonctionnement délirantes, Calvino questionne notre rapport à l’espace urbain. Il montre comment les villes incarnent nos désirs, nos peurs et nos souvenirs. La structure mathématique du texte, organisée en catégories qui s’entrecroisent selon un schéma précis, renforce la dimension réflexive de l’œuvre.
Au-delà de sa dimension poétique, le livre propose une méditation sur la mémoire et le langage. Les descriptions de Marco Polo, qui ne parvient d’abord pas à communiquer avec le Khan, montrent que toute ville est avant tout une construction mentale, façonnée par les mots qui tentent de la dire. Réflexion qui culmine dans la révélation finale.
Aux éditions FOLIO ; 224 pages.
6. Le sentier des nids d’araignée (1947)
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Dans l’Italie de 1945, en pleine guerre, Pin erre dans les ruelles d’une ville de la côte ligurienne. Ce gamin d’une dizaine d’années, dont la sœur se prostitue aux soldats allemands, passe ses journées au bar du quartier. Trop mature pour les enfants de son âge mais pas assez adulte pour être pris au sérieux, il lance ses sarcasmes aux habitués du café. Un soir, pour se faire valoir, il vole le pistolet d’un soldat allemand et le cache dans son refuge secret : un sentier où les araignées font leurs nids.
Cette bravade le précipite dans une suite d’événements qui le mènent jusqu’au maquis des partisans communistes. Pin y découvre une galerie de personnages hauts en couleur : le commandant Marle, un homme instable et suicidaire, Loup Rouge le doctrinaire, Kim le commissaire politique philosophe, et surtout le Cousin, un tueur taciturne au cœur tendre.
Premier roman d’Italo Calvino, « Le sentier des nids d’araignée » dépeint la Résistance italienne à travers le regard décalé d’un enfant des rues. L’auteur s’appuie sur sa propre expérience de partisan dans les collines de Ligurie pour composer un récit où la dureté de la guerre se mêle à la poésie de l’enfance.
Aux éditions FOLIO ; 240 pages.
7. Le château des destins croisés (1973)
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Dans un château perdu au milieu d’une forêt, des voyageurs épuisés trouvent refuge pour la nuit. À leur grande stupeur, ils découvrent qu’ils ont tous perdu l’usage de la parole. Pour raconter leurs histoires, ils n’ont qu’un jeu de tarot à leur disposition. L’un après l’autre, ils disposent les cartes sur la table, créant peu à peu une mosaïque complexe où leurs destins s’entrecroisent. Le narrateur déchiffre alors ces récits muets, qui mêlent grandes figures littéraires et personnages mythologiques.
Italo Calvino publie ce roman en 1969, puis le complète en 1973 avec « La taverne des destins croisés ». La première partie utilise les tarots Visconti-Sforza du XVe siècle, avec leurs élégantes illustrations de la Renaissance. La seconde met en scène des personnages plus modestes autour d’un jeu de tarot de Marseille aux figures plus rustiques.
Membre de l’OuLiPo, Calvino s’impose ici une contrainte d’écriture audacieuse : construire des récits uniquement à partir des images des cartes. Il transforme ainsi le tarot en une machine narrative qui génère des combinaisons infinies d’histoires, où se croisent Hamlet, les héros de l’Arioste et bien d’autres figures.
Aux éditions FOLIO ; 192 pages.
8. Marcovaldo (1963)
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Au cœur d’une métropole italienne anonyme des années 1960, Marcovaldo travaille comme manœuvre pour subvenir aux besoins de sa femme et de ses nombreux enfants. Ce rêveur maladroit garde en lui la nostalgie de sa vie rurale d’autrefois. Son regard s’arrête sur les manifestations les plus discrètes de la nature en ville : une touffe d’herbe entre deux pavés, un rayon de lune entre les enseignes lumineuses, un chat errant dans une ruelle.
Le recueil se compose de vingt nouvelles dans lesquelles Marcovaldo tente d’échapper à sa condition. Ses plans improbables tournent systématiquement au fiasco : il manque d’empoisonner sa famille avec des champignons cueillis près d’une usine, s’égare dans le brouillard en cherchant la mer, ou tente de dormir sur un banc public pour profiter de la fraîcheur nocturne.
Avec humour, Italo Calvino trace le portrait touchant d’un anti-héros confronté à la société industrielle. Entre le burlesque et la mélancolie, ces chroniques dessinent une réflexion sur la place de l’homme dans le monde moderne, sans jamais perdre leur dimension poétique.
Aux éditions FOLIO ; 240 pages.