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Iris Murdoch en 7 romans – Notre sélection

Iris Murdoch en 7 romans – Notre sélection

Iris Murdoch naît le 15 juillet 1919 à Dublin, dans le quartier résidentiel de Phibsborough. Fille unique d’Irene Alice Richardson, chanteuse de formation, et de Wills John Hughes Murdoch, fonctionnaire issu d’une famille protestante d’éleveurs de moutons, elle déménage à Londres avec ses parents quelques semaines après sa naissance.

Brillante étudiante, elle entre au Somerville College d’Oxford où elle étudie les classiques, l’histoire ancienne et la philosophie. Après l’obtention de son diplôme en 1942, elle poursuit ses études à Cambridge où elle côtoie le philosophe Ludwig Wittgenstein. Sa carrière académique débute en 1948 lorsqu’elle devient enseignante au St Anne’s College d’Oxford, poste qu’elle occupe jusqu’en 1963.

En 1954, elle publie son premier roman, « Sous le filet », qui marque le début d’une carrière littéraire prolifique. Deux ans plus tard, elle épouse John Bayley, critique littéraire et professeur de littérature anglaise à Oxford. Leur relation, peu conventionnelle, dure plus de quarante ans. Murdoch mène parallèlement une vie sentimentale tumultueuse, entretenant des relations avec des hommes et des femmes.

Son œuvre, qui comprend vingt-cinq romans, des essais philosophiques et des pièces de théâtre, lui vaut de nombreuses distinctions. En 1978, elle reçoit le prestigieux Booker Prize pour « La mer, la mer ». En 1987, elle est faite Dame de l’Empire britannique pour services rendus à la littérature.

En 1995, elle commence à ressentir les effets de la maladie d’Alzheimer, qui est officiellement diagnostiquée en 1997. Elle s’éteint le 8 février 1999 à Oxford, laissant derrière elle une bibliographie qui conjugue philosophie et fiction, autour des thèmes du bien et du mal, des rapports amoureux et du pouvoir de l’inconscient.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Sous le filet (1954)

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Résumé

Londres, années 1950. Jake Donaghue, écrivain sans le sou d’une trentaine d’années, vit au jour le jour de ses traductions et de l’hospitalité de ses amis. De retour d’un séjour en France, il est expulsé du logement qu’il occupait depuis plus d’un an chez son amie Madge. Il recontacte alors Anna Quentin, une chanteuse qu’il a jadis aimée. Par son intermédiaire, il rencontre Sadie, sa sœur devenue star de cinéma, qui lui propose de garder son appartement pendant son absence. Cette proposition en apparence providentielle dissimule un mystère : Sadie semble vouloir à échapper à Hugo Belfounder, un riche industriel reconverti dans le cinéma.

Or, Hugo n’est pas un inconnu pour Jake. Quelques années plus tôt, lors d’une expérience médicale, les deux hommes s’étaient liés d’amitié. Leurs longues conversations philosophiques avaient tellement marqué Jake qu’il en avait tiré un livre, « The Silencer », publié sans en informer Hugo. Rongé par la culpabilité, Jake avait alors rompu tout contact avec son ami. Désormais, le destin le force à affronter son passé. Sa quête de rédemption l’entraîne dans une série d’aventures extravagantes : le kidnapping d’un chien vedette de cinéma, une course-poursuite dans un studio de tournage, une émeute qui tourne au chaos… Parviendra-t-il à réparer ses erreurs et à retrouver sa place dans ce monde qu’il a si longtemps fui ?

Autour du livre

Premier roman publié par Iris Murdoch, « Sous le filet » naît d’une longue maturation. Les lettres découvertes en 2010, adressées à l’écrivain français Raymond Queneau sur une période de vingt-neuf ans, révèlent les doutes qui assaillaient Murdoch durant l’écriture. Cinq tentatives de romans avaient précédé celui-ci, tous abandonnés. L’un d’eux mettait en scène un « faux érudit », peut-être le reflet des propres incertitudes de Murdoch quant à sa stature intellectuelle. En 1952, elle évoque enfin dans sa correspondance l’histoire de Jake Donaghue, qui deviendra « Sous le filet ».

Le titre provient d’une métaphore employée par Ludwig Wittgenstein dans son « Tractatus ». La « net » (le filet) représente le filet de l’abstraction, de la généralisation et de la théorie. Les tentatives de théorisation du langage, selon Wittgenstein, sont comme un filet jeté sur la réalité : quelle que soit la finesse des mailles, certains aspects du réel passent toujours au travers. Cette réflexion sur les limites du langage traverse tout le roman. Jake incarne cette quête impossible de la vérité à travers les mots, tandis que Hugo représente le silence et l’authenticité.

La structure du roman mélange habilement philosophie et picaresque. Les péripéties parfois loufoques de Jake – comme sa baignade nocturne dans la Tamise ou le kidnapping de Mister Mars – contrastent avec des discussions vertigineuses sur la nature du langage et de la vérité. Cette dualité fait écho à la double formation de Murdoch : philosophe à Oxford et romancière.

En 2005, Time Magazine inclut « Sous le filet »  parmi les cent meilleurs romans anglophones depuis 1923. La Modern Library le considère comme l’un des plus grands romans en langue anglaise du XXe siècle. Pour Michael Wood, dans la London Review of Books, le roman interroge brillamment l’image de la mécanique newtonienne présente dans le « Tractatus » de Wittgenstein.

Iris Murdoch fait l’objet d’une adaptation biographique au cinéma en 2001 avec « Iris », réalisé par Richard Eyre. Judi Dench y incarne l’écrivaine dans ses dernières années, tandis que Kate Winslet interprète la jeune Murdoch de l’époque de « Sous le filet ». Le film s’appuie sur les mémoires de John Bayley, époux de Murdoch, interprété par Jim Broadbent.

Aux éditions FOLIO ; 352 pages.


2. Le château de sable (1957)

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Résumé

Angleterre, années 1950. Bill Mor enseigne l’histoire et le latin à St Bride’s, une école privée de second rang, où il vit avec sa famille. Son mariage avec Nan, une femme autoritaire qui règne sur leur foyer, s’est enlisé dans la routine et les non-dits. Père de deux adolescents, Donald et Felicity, il nourrit secrètement l’ambition de se lancer en politique sous l’étiquette travailliste – un projet que son épouse désapprouve catégoriquement.

L’arrivée de Rain Carter, une jeune artiste venue peindre le portrait de l’ancien directeur de l’école, bouleverse leur équilibre précaire. Entre Mor et Rain naît une attirance immédiate qui s’épanouit pendant l’absence de Nan, partie en vacances avec leur fille. Le retour inattendu de son épouse précipite une série d’événements dramatiques : la découverte de la liaison, la fugue de Donald après une escalade périlleuse de la tour de l’école, et une confrontation publique lors du dîner de présentation du portrait.

Mor se retrouve écartelé entre son devoir familial, ses aspirations politiques et cette passion naissante qui lui fait entrevoir une autre vie. Pour la première fois, il doit choisir : rester fidèle à ses obligations ou tout sacrifier pour un nouveau départ avec Rain.

Autour du livre

Publié en 1957, « Le château de sable » est le troisième roman d’Iris Murdoch, après « Sous le filet » (1954) et « Le Séducteur quitté » (1956). Contrairement à ses deux premiers romans aux intrigues plus débridées, Murdoch opte ici pour une trame narrative d’apparence conventionnelle qui masque une réflexion sur l’art, la morale et les rapports humains.

Le titre du roman ne prend tout son sens qu’à travers une unique référence au chapitre cinq, quand un personnage évoque son enfance : « Quand j’essayais de faire un château de sable, le sable glissait simplement entre mes doigts. Il était trop sec pour tenir. » Cette métaphore cristallise l’impossibilité de retenir ce qui est voué à s’échapper, qu’il s’agisse du temps, de l’amour ou des illusions.

La construction des personnages témoigne d’une fine psychologie. Mor, loin d’être simplement un homme faible prisonnier de sa médiocrité comme l’ont suggéré certains critiques, se révèle profondément conscient de ses insuffisances. Son incapacité à communiquer avec ses enfants, sa lucidité sur ses échecs en tant qu’enseignant et ses questionnements existentiels (« Suis-je réel ? ») en font un personnage d’une authentique humanité. De même, Nan, qui pourrait n’être qu’une épouse castratrice, acquiert une dimension tragique à travers sa propre vulnérabilité.

L’accueil critique initial fut mitigé, certains commentateurs y voyant une œuvre mineure dans la bibliographie de Murdoch. Néanmoins, une réévaluation contemporaine tend à souligner sa finesse. Elizabeth Whittome, dans une analyse publiée en 2023, souligne la maîtrise avec laquelle Murdoch entremêle les dimensions réalistes et symboliques en créant une tension permanente entre le quotidien et l’extraordinaire.

« Le château de sable » a fait l’objet d’une adaptation télévisée en 1963 par William Ingram.

Aux éditions GALLIMARD ; 324 pages.


3. Une tête coupée (1961)

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Résumé

Londres, années 1960. Martin Lynch-Gibbon, négociant en vins de 41 ans, considère sa vie comme parfaitement équilibrée : marié depuis onze ans à la séduisante Antonia, il entretient parallèlement une liaison avec Georgie, une universitaire de vingt-six ans. Cette double vie lui convient parfaitement jusqu’au jour où Antonia lui annonce qu’elle le quitte pour Palmer Anderson, leur ami commun qui est aussi son psychanalyste. Le couple adultère insiste pour rester en bons termes avec Martin tout en le traitant avec une bienveillance condescendante qui le déstabilise.

L’arrivée d’Honor Klein, la demi-sœur de Palmer, une anthropologue au tempérament singulier, chamboule encore la situation : Martin, d’abord rebuté par sa personnalité austère, développe pour elle une obsession grandissante. Alors que son frère Alexander entre dans la danse et que les révélations s’enchaînent, Martin découvre que ses certitudes sur l’amour, le désir et la morale volent en éclats. Dans ce maelström sentimental où chacun cache ses propres secrets, jusqu’où les passions pourront-elles mener ces personnages en apparence si civilisés ?

Autour du livre

Pour son cinquième roman publié en 1961, Iris Murdoch s’éloigne des questionnements philosophiques qui caractérisaient ses précédents écrits pour composer une satire mordante des mœurs de la bourgeoisie britannique à l’aube de la révolution sexuelle. Le choix d’un narrateur masculin lui permet de porter un regard acéré sur les bouleversements sociaux qui agitent cette époque charnière.

Murdoch y tisse un réseau complexe de relations où l’inceste et l’adultère se côtoient dans une atmosphère feutrée typiquement britannique. Les personnages, tous issus d’un milieu privilégié, évoluent dans un microcosme où les conventions sociales le disputent aux pulsions les plus primitives. Le symbolisme y occupe une place de choix à travers notamment le motif du sabre japonais manié par Honor Klein, ou encore les références aux rites tribaux et à l’alchimie qui parsèment les pages.

La construction dramatique emprunte aux codes du théâtre, avec ses entrées fracassantes et ses révélations spectaculaires. Cette dimension théâtrale n’est pas fortuite : Murdoch adaptera d’ailleurs son roman pour la scène deux ans après sa publication. L’humour, tantôt subtil tantôt franchement farcesque, imprègne l’ensemble du récit, contraste saisissant avec la gravité des thèmes abordés.

Le romancier William Sutcliffe qualifie « Une tête coupée » de « meilleure et plus étrange des histoires de gens qui couchent avec d’autres gens ». La critique apprécie particulièrement la manière dont Murdoch parvient à rendre attachant son protagoniste pourtant peu recommandable, ainsi que sa capacité à maintenir un équilibre entre le comique et le tragique.

Le succès du roman aboutit à plusieurs adaptations. La pièce de théâtre, co-écrite avec J. B. Priestley et mise en scène par Val May, est créée au Theatre Royal de Bristol en 1963 avant de connaître un triomphe au Criterion Theatre de Londres avec 1044 représentations. Une version cinématographique voit le jour en 1970, avec Claire Bloom, Lee Remick, Richard Attenborough et Ian Holm dans les rôles principaux. Plus récemment, en 2015, BBC Radio 4 propose une adaptation radiophonique en cinq parties, avec Julian Rhind-Tutt et Helen Schlesinger.

Aux éditions GALLIMARD ; 322 pages.


4. La gouvernante italienne (1964)

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Résumé

Angleterre, années 1960. Edmund Narraway, un graveur solitaire d’une quarantaine d’années, regagne la maison familiale située dans le nord du pays pour assister aux funérailles de sa mère Lydia. Cette femme autoritaire manipulatrice a marqué l’enfance d’Edmund et de son frère Otto, tous deux élevés par une succession de gouvernantes italiennes. Edmund découvre une demeure victorienne figée dans le temps, où vivent toujours Otto, devenu un sculpteur alcoolique, son épouse névrosée Isabel, leur fille adolescente Flora, et Maria Magistretti, surnommée Maggie, la dernière des gouvernantes italiennes restée au service de la famille. La présence de David Levkin, l’apprenti d’Otto, et de sa sœur énigmatique Elsa, complète ce tableau familial dysfonctionnel.

Ce qui ne devait être qu’une brève visite se transforme en séjour prolongé lorsque Flora confie à Edmund qu’elle est enceinte et sollicite son aide. Peu à peu, d’autres secrets émergent : Otto entretient une liaison passionnée avec Elsa, tandis qu’Isabel et Flora sont toutes deux tombées dans les filets du séduisant David. Edmund, malgré sa réticence initiale, se retrouve malgré lui dans le rôle de confident et de juge moral de cette famille en pleine déliquescence. La mort de Lydia semble avoir délié les langues et libéré des pulsions longtemps réprimées…

Autour du livre

« La gouvernante italienne » paraît en 1964, huitième incursion d’Iris Murdoch dans le roman. Il s’inscrit dans la lignée de ses précédents textes « Le château de la licorne » et « Une tête coupée », où les thèmes de l’enchantement et du gothique transparaissent déjà. La romancière et philosophe britannique poursuit son questionnement sur l’hédonisme et la vie éthique en déployant une intrigue où les pulsions et la morale s’affrontent dans un huis clos familial.

La maison victorienne, ancien presbytère aux allures de château enchanté, y occupe une place centrale. Les descriptions évoquent un univers quasi féerique où se côtoient jardin sauvage et forêt mystérieuse. Cette dimension onirique se mêle aux tensions psychologiques des personnages dans une atmosphère où le réalisme social britannique dialogue avec le conte moral. Les personnages, archétypaux – le géant simple d’esprit, la princesse emprisonnée, le bouffon maléfique – subissent une métamorphose au fil du récit, passant de stéréotypes à êtres complexes aux motivations ambiguës.

La thématique de la rédemption imprègne les derniers chapitres, conférant au texte les accents d’une pièce de moralité médiévale. Le feu purificateur qui ravage la maison agit comme un catalyseur, permettant aux personnages de se libérer de l’emprise du passé. La figure de Maggie, la gouvernante italienne du titre, bien que secondaire jusqu’aux dernières pages, se révèle centrale dans cette quête de libération collective.

Les critiques de l’époque ont souligné la dimension mélodramatique de l’intrigue, certains y voyant une faiblesse, d’autres une force. Le caractère resserré du texte – l’un des plus courts de Murdoch – divise également : si quelques-uns regrettent un manque de développement, d’autres saluent cette concision qui sert l’intensité dramatique. La construction psychologique des personnages et l’atmosphère gothique ont particulièrement retenu l’attention, même si plusieurs commentateurs ont noté le caractère parfois outré des situations.

« La gouvernante italienne » connaît une adaptation théâtrale dès 1967, fruit d’une collaboration entre Iris Murdoch et James Saunders. La pièce est créée au Bristol Old Vic le 29 novembre 1967 sous la direction de Val May, avant d’être transférée au Wyndham’s Theatre dans le West End londonien le 1er février 1968, où elle totalise 315 représentations. Plus récemment, en mars 2019, la société de production londonienne Rebel Republic Films a acquis les droits d’adaptation cinématographique du roman.

Aux éditions FOLIO ; 219 pages.


5. Les demi-justes (1968)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Londres, années 1960. Un coup de feu retentit dans les bureaux de Whitehall : Joseph Radeechy, un fonctionnaire, est retrouvé mort. John Ducane, conseiller juridique du ministère, se voit confier l’enquête par son supérieur Octavian Gray. L’affaire s’annonce délicate : Radeechy s’adonnait à des rituels de magie noire et faisait l’objet d’un chantage. Ducane découvre bientôt qu’un autre haut fonctionnaire, Richard Biranne, pourrait être impliqué dans cette mort suspecte.

L’investigation mène Ducane à faire de fréquents séjours à Trescombe House, la résidence secondaire d’Octavian dans le Dorset. Cette grande demeure au bord de la mer abrite une communauté singulière. Autour d’Octavian et de son épouse Kate gravitent Mary Clothier, une veuve, et son fils adolescent Pierce ; Paula Biranne, l’ex-femme de Richard, et ses jumeaux ; ainsi que divers autres résidents, dont Willy Kost, un rescapé de Dachau qui vit dans une dépendance. Dans cette atmosphère estivale se trament des intrigues passionnelles : Ducane entretient une relation platonique avec Kate, tout en cherchant à rompre avec sa maîtresse Jessica ; Pierce souffre d’un amour non partagé pour Barbara, la fille d’Octavian ; Mary nourrit des sentiments pour Willy qui se refuse à tout engagement.

Alors que l’enquête de Ducane révèle peu à peu une vérité troublante sur la mort de Radeechy, les tensions s’exacerbent à Trescombe House. Le désespoir amoureux de Pierce le pousse à un geste qui pourrait lui coûter la vie, entraînant Ducane dans une situation périlleuse qui l’obligera à réexaminer ses propres choix moraux.

Autour du livre

« Les demi-justes », publié en 1968, constitue le onzième roman d’Iris Murdoch. Il s’inscrit dans une période où la professeure de philosophie à Oxford s’interroge sur la possibilité d’une morale sans Dieu. Ces réflexions aboutiront deux ans plus tard à la publication de « La Souveraineté du Bien », un recueil d’essais philosophiques. Le roman traduit ces questionnements à travers le prisme de personnages confrontés à leurs désirs et leurs devoirs moraux.

La dualité entre Londres et le Dorset structure le récit. La capitale incarne un monde corrompu, marqué par la mort et l’occulte, tandis que Trescombe House représente un havre pastoral où se jouent les intrigues amoureuses. Cette opposition spatiale se double d’une tension entre le naturel et le surnaturel : aux rituels de magie noire de Radeechy répondent l’apparition d’une soucoupe volante et la présence de Fivey, le mystérieux domestique de Ducane qui prétend être le fils d’une sirène.

La critique a salué la capacité de Murdoch à conjuguer comédie romantique et thriller. Elizabeth Janeway, dans le New York Times, qualifie « Les demi-justes » de son « meilleur livre », « le plus palpitant et le plus abouti ». A. S. Byatt souligne particulièrement son talent pour analyser tant la pensée consciente que les pulsions inconscientes de ses personnages. Le roman est sélectionné pour le Booker Prize en 1969.

Aux éditions GALLIMARD ; 384 pages.


6. Le Prince noir (1973)

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Résumé

Londres, années 1970. Bradley Pearson, un écrivain de cinquante-huit ans autrefois inspecteur des impôts, projette de se retirer à la campagne pour composer son chef-d’œuvre. Ses plans se trouvent contrariés lorsque son ami Arnold Baffin, romancier à succès, l’appelle en urgence : dans un accès de violence, il croit avoir tué sa femme Rachel. Cette crise inaugure une période chaotique au cours de laquelle Bradley se retrouve assailli de toutes parts. Sa sœur Priscilla, en pleine dépression, quitte son mari et réclame asile. Son ex-femme Christian réapparaît soudainement après des années d’absence. Rachel Baffin, remise de ses blessures, lui déclare son amour. Au milieu de cette agitation, Bradley tombe éperdument amoureux de Julian, la fille de vingt ans des Baffin, qui sollicite son mentorat littéraire.

Fuyant les complications londoniennes, Bradley emmène Julian dans une maison en bord de mer. Cette idylle précipite une série d’événements tragiques : sa sœur Priscilla, laissée à l’abandon, se suicide. À son retour à Londres, Bradley apprend qu’Arnold projette de quitter Rachel pour Christian. La situation dégénère jusqu’à ce qu’Arnold soit retrouvé mort, apparemment frappé par Rachel. Bradley tente d’aider cette dernière, mais elle retourne la situation contre lui : il est arrêté et condamné pour le meurtre. Depuis sa cellule, il rédige le récit de ces événements tumultueux, clamant son innocence et la pureté de son amour pour Julian.

Autour du livre

Quinzième roman d’Iris Murdoch, « Le Prince noir » paraît en 1973 dans une période d’expérimentation narrative pour l’autrice. La structure atypique du livre, avec ses deux préfaces et ses six postfaces rédigées par différents personnages de l’histoire, témoigne de cette recherche formelle. Le texte principal se présente comme le manuscrit de Bradley, édité par un mystérieux P. A. Loxias, figure apollinienne qui encadre le récit.

L’intertextualité shakespearienne irrigue l’œuvre, particulièrement à travers « Hamlet » dont les échos résonnent jusque dans le titre. Les initiales du protagoniste, B. P., font d’ailleurs écho au « Black Prince » du titre, un jeu de miroirs caractéristique de l’écriture murdochienne. Cette résonance s’intensifie lors d’une scène cruciale où Julian se travestit en Hamlet, moment charnière qui précipite l’action vers son dénouement tragique.

L’ambiguïté constitue l’un des traits saillants du roman. Les multiples versions des événements proposées dans les postfaces remettent en question la véracité du récit de Bradley, si bien que la lecture se transforme en enquête sur la nature même de la vérité. Cette structure en poupées russes permet à Murdoch d’interroger les rapports entre art et réalité, thème central de son œuvre.

Charlotte Mendelson, dans The Guardian, souligne sa compréhension exceptionnelle des « courants sous la surface ». Sophie Hannah, pour The New York Times, va jusqu’à attribuer des « pouvoirs magiques » au livre, saluant sa capacité à être simultanément « une grande histoire policière et une grande histoire d’amour ».

« Le Prince noir » a reçu le James Tait Black Memorial Prize en 1973 et s’est retrouvé dans la sélection finale du Booker Prize la même année, confirmant sa place parmi les récits majeurs de Murdoch.

Aux éditions GALLIMARD ; 532 pages.


7. La mer, la mer (1978)

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Résumé

Londres, années 1970. Charles Arrowby, célèbre metteur en scène de théâtre à la personnalité tyrannique, quitte la scène artistique pour s’installer dans une maison délabrée au bord de la mer. Il entend rédiger ses mémoires dans la solitude. Sa retraite prend un tour inattendu quand il découvre que Mary Hartley Smith, son amour de jeunesse perdu de vue depuis quarante ans, habite le même village. Malgré les années qui ont transformé la jeune fille rayonnante de ses souvenirs en une femme âgée ordinaire, Charles est pris d’une obsession délirante. Il se persuade que Hartley, mariée à un ancien combattant nommé Ben Fitch, vit un mariage malheureux dont il doit la libérer.

Le passé resurgit bientôt sous d’autres formes : d’anciennes conquêtes et des amis du milieu théâtral débarquent les uns après les autres dans sa retraite. Parmi eux, son cousin James, un mystérieux général à la retraite aux penchants bouddhistes, tente de le ramener à la raison. Mais Charles refuse d’écouter. Sa fixation sur Hartley le pousse à des actes de plus en plus extrêmes, particulièrement après l’arrivée de Titus, le fils adoptif des Fitch, qu’il imagine être son enfant biologique. Son obsession va-t-elle le mener jusqu’à la catastrophe ?

Autour du livre

« La mer, la mer » marque l’apogée de la carrière d’Iris Murdoch. Publié en 1978, ce dix-neuvième roman lui vaut enfin le Booker Prize après trois nominations infructueuses. Il naît de sa fascination pour « La Tempête » de Shakespeare, dont l’influence imprègne sensiblement les pages : comme Prospero, Charles Arrowby est un homme de théâtre qui s’exile près de la mer et tente d’exercer son pouvoir sur les autres.

Charles Arrowby incarne l’archétype du narrateur peu fiable : égocentrique, manipulateur, autocentré, il déforme la réalité pour la faire correspondre à ses fantasmes. Sa voix, à la fois irritante et fascinante, constitue un véritable tour de force narratif. À travers lui, Murdoch dissèque les mécanismes de l’autopersuasion et de l’aveuglement volontaire avec une acuité psychologique remarquable.

La mer, omniprésente, transcende son statut de simple décor pour devenir un personnage à part entière. Murdoch en fait le miroir des états d’âme tumultueux de Charles, tantôt calme, tantôt menaçante. Les descriptions maritimes révèlent une connaissance intime de la natation en eau libre, passion que partageait la romancière. Cette présence aquatique constante confère au roman une dimension mythologique, renforcée par l’apparition d’un mystérieux monstre marin qui hante Charles.

Murdoch y conjugue comme souvent plusieurs genres : autobiographie fictive, roman psychologique, comédie de mœurs et même thriller. Les scènes impliquant la communauté théâtrale londonienne apportent une touche de comédie sociale mordante, tandis que l’obsession grandissante de Charles pour Hartley fait basculer le récit dans des territoires plus sombres.

La critique britannique a salué unanimement la parution de « La mer, la mer ». The Guardian y voit une « subtile exploration teintée d’humour noir de la vanité et de l’auto-illusion ». Pour The New York Times, malgré quelques réserves sur la crédibilité de la voix narrative, le roman témoigne de « l’intelligence remarquable de Murdoch ». En 2022, il est sélectionné pour figurer dans la liste « Big Jubilee Read » des 70 livres célébrant le jubilé de platine d’Elizabeth II.

« La mer, la mer » a fait l’objet de deux adaptations radiophoniques par la BBC. La première, en 1993, comprend quatre épisodes et met en scène John Wood dans le rôle de Charles Arrowby, aux côtés de Joyce Redman. La seconde version, diffusée en 2015, propose une adaptation en deux parties avec Jeremy Irons dans le rôle principal.

Aux éditions FOLIO ; 704 pages.

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