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Hubert Selby Jr. en 4 romans – Notre sélection

Né en 1928 à Brooklyn, Hubert Selby Jr. grandit dans un milieu modeste. À 15 ans, il quitte l’école pour suivre les traces de son père dans la marine marchande. Sa vie bascule quand, à 18 ans, il contracte la tuberculose. Les médecins lui donnent deux mois à vivre, mais il survit après une opération qui lui coûte une partie de son poumon. S’ensuivent quatre années d’hospitalisation qui changent le cours de son existence.

C’est à l’hôpital que Selby découvre la littérature et commence à écrire. Sans formation particulière, il développe un style singulier caractérisé par une syntaxe abrupte et une ponctuation minimaliste. En 1964, son premier roman « Last Exit to Brooklyn » fait scandale. Il est poursuivi pour obscénité en Angleterre et interdit en Italie, mais connaît un succès retentissant avec 750 000 exemplaires vendus la première année.

La vie de Selby est marquée par ses luttes contre l’addiction. Il combat successivement la dépendance à l’héroïne et à l’alcool, tout en continuant à écrire. Il publie plusieurs romans majeurs dont « Requiem for a Dream » (« Retour à Brooklyn ») en 1978, plus tard adapté au cinéma par Darren Aronofsky. Dans les années 1980, il s’installe définitivement à Los Angeles où il enseigne l’écriture créative à l’université.

Affaibli par ses problèmes pulmonaires chroniques, il continue d’écrire jusqu’à la fin de sa vie. Il s’éteint en 2004 à Los Angeles, laissant derrière lui une œuvre puissante qui influence encore aujourd’hui de nombreux écrivains.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Last Exit to Brooklyn (1964)

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Résumé

Dans le Brooklyn des années 1950, une galerie de personnages marginaux gravitent autour du bar du Grec, leur repaire habituel. Ces laissés-pour-compte – voyous, prostituées, travestis, ouvriers, syndicalistes – tentent désespérément de survivre dans ce quartier populaire gangrené par la violence.

Parmi eux, Georgette, un jeune travesti épris d’un ancien détenu qui se moque cruellement de ses sentiments ; Tralala, une prostituée qui séduit les marins pour les dépouiller ; et Harry Black, un syndicaliste tourmenté qui organise une grève dans son usine.

Ce dernier découvre peu à peu son homosexualité refoulée et commence à fréquenter les bars gays, tout en détournant l’argent du syndicat. Alors que la grève s’éternise, Harry s’enfonce dans une spirale autodestructrice, multipliant les rencontres avec des travestis et laissant libre cours à ses pulsions de plus en plus incontrôlables.

Autour du livre

La genèse de ce premier roman est intimement liée au parcours chaotique de son auteur. Né en 1928 à Brooklyn, Hubert Selby Jr. abandonne l’école à 15 ans pour s’engager dans la marine marchande. Atteint de tuberculose, il passe quatre années en hôpital où il manque de mourir. C’est durant cette période qu’il découvre la littérature et commence à écrire. Sept années lui seront nécessaires pour achever « Last Exit to Brooklyn », rédigé le soir après ses journées de travail. Le livre naît de son désir viscéral de témoigner de la réalité brutale qu’il a côtoyée dans les rues de son quartier natal. Sans formation littéraire classique, il y développe un style singulier fait de longues phrases sans ponctuation, mêlant narration et dialogues dans un flux continu.

L’univers du roman est celui d’une Amérique aux antipodes du rêve californien. Le Brooklyn de Selby est un monde sans espoir où la violence, le sexe et la drogue constituent les seuls échappatoires à la misère quotidienne. Les personnages, prisonniers de leurs pulsions destructrices, évoluent dans un environnement urbain sordide qui préfigure les romans de Bret Easton Ellis ou d’Irvine Welsh. Cette chronique des bas-fonds new-yorkais s’inscrit dans la tradition du roman social américain, tout en s’en démarquant par sa radicalité formelle et thématique.

La structure du roman en six parties, chacune préfacée d’une citation biblique, crée un contraste saisissant entre spiritualité et dépravation humaine. Cette juxtaposition souligne l’absence totale de transcendance dans ce monde désacralisé où même l’amour s’avère impossible. Selby résume lui-même son livre comme « les horreurs d’une vie sans amour », formule qui capture l’essence de cette œuvre incandescente.

Publié en 1964 chez Grove Press, l’éditeur de Samuel Beckett et William S. Burroughs, « Last Exit to Brooklyn » connaît un succès immédiat avec 750 000 exemplaires vendus la première année. La critique est bouleversée par la puissance du texte. Allen Ginsberg prédit que le livre « explosera au-dessus de l’Amérique comme une bombe infernale rouillée et sera lu avec la même fièvre dans cent ans ». Le New York Times, tout en soulignant sa brutalité, reconnaît sa force « choquante, exténuante, déprimante ». Anthony Burgess et Frank Kermode défendent le roman lors de son procès pour obscénité en Grande-Bretagne en 1967, procès qui aboutit à son interdiction temporaire.

« Last Exit to Brooklyn » est adapté au cinéma en 1989 par le réalisateur allemand Uli Edel, avec Jennifer Jason Leigh dans le rôle de Tralala. Selby lui-même y fait une apparition comme figurant. Le titre de l’album « The Queen Is Dead » des Smiths s’inspire directement d’un chapitre du livre.

Aux éditions 10/18 ; 384 pages.


2. La Geôle (1971)

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Résumé

Un petit truand se retrouve incarcéré dans une cellule exiguë de 2,7 mètres sur 1,8, en attente de son procès. Les jours passent, identiques et interminables, sous une lumière artificielle qui ne s’éteint jamais. Pour supporter l’isolement, il commence à se réfugier dans son imagination. Dans ses rêveries, il se dédouble : tantôt, il se voit en héros défendant les opprimés devant le Sénat américain, dénonçant la corruption du système judiciaire et la brutalité policière ; tantôt, il élabore des scénarios sadiques dans lesquels il torture les deux policiers qui l’ont arrêté.

Ses fantasmes de vengeance, d’abord modérés, prennent une tournure de plus en plus monstrueuse, jusqu’à empiéter sur sa perception de la réalité. L’homme se perd dans les méandres de son esprit malade ; les souvenirs de son passé se mêlent à ses obsessions morbides. Sa cellule, initialement vécue comme un enfer, devient paradoxalement son seul refuge face à un monde extérieur qui l’effraie de plus en plus.

Autour du livre

Second roman d’Hubert Selby Jr., « La Geôle » paraît en 1971, sept ans après « Last Exit to Brooklyn ». Durant cette période, l’auteur, installé à Los Angeles pour fuir les dealers new-yorkais, sombre dans l’héroïnomanie. Cette descente aux enfers transparaît dans l’écriture de ce livre que Selby considère lui-même comme le plus dérangeant jamais écrit, au point qu’il ne pourra pas le relire pendant vingt ans.

Le romancier new-yorkais y dissèque avec une précision clinique les mécanismes psychologiques de l’isolement carcéral. La cellule se mue en métaphore de l’esprit emprisonné où les murs ne sont plus seulement physiques mais mentaux. Les fantasmes du détenu, oscillant entre grandeur et abjection, illustrent la fragmentation progressive de sa personnalité sous l’effet de la claustration.

L’originalité du roman réside dans sa structure narrative qui reproduit le fonctionnement d’un esprit en roue libre. Selby alterne entre présent et passé sans transition, reflet de la confusion temporelle du protagoniste dans sa cellule perpétuellement éclairée. Cette désorientation temporelle contribue à créer un sentiment d’enfermement chez le lecteur lui-même.

À travers les divagations du protagoniste, Selby dresse un réquisitoire contre les abus du système judiciaire et policier américain. Cependant, la violence extrême de ses fantasmes interroge aussi la légitimité de sa posture de victime.

La réception critique du livre s’avère contrastée. Si Selby évoque des critiques dithyrambiques, la réalité est plus nuancée. Certains recenseurs soulignent la puissance dévastatrice du texte, le qualifiant de « voyage terrifiant dans les recoins les plus sombres de la psyché ». D’autres témoignent d’un profond malaise, allant jusqu’à la nausée physique. « La Geôle » est régulièrement citée comme l’une des œuvres les plus dérangeantes de la littérature américaine.

Le roman a inspiré une scène du film « Waking Life » (2001) de Richard Linklater, où un personnage enfermé dans une cellule décrit avec force détails les sévices qu’il compte infliger une fois libéré. Le groupe de death metal Benediction s’en est également inspiré pour son morceau « Beg, You Dogs » (2008).

Aux éditions 10/18 ; 320 pages.


3. Le Démon (1976)

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Résumé

Dans le New York des années 1970, Harry White mène une existence enviable. À 25 ans, ce jeune cadre prometteur de Manhattan vit chez ses parents qu’il adore et gravit rapidement les échelons de son entreprise. Derrière cette façade impeccable se dissimule pourtant une addiction ravageuse : Harry collectionne les conquêtes féminines, particulièrement les femmes mariées. Ces aventures sans lendemain lui procurent l’excitation dont il a besoin pour se sentir vivant.

Sa rencontre avec Linda bouleverse son existence. Pour la première fois, Harry tombe amoureux. Il l’épouse, devient père et obtient une promotion comme vice-président de sa boîte. Mais cette vie idyllique ne suffit pas à étouffer le mal qui le ronge. Ses pulsions sexuelles reviennent, plus violentes. Il se met à fréquenter les quartiers malfamés, accumule les liaisons sordides avec des prostituées alcooliques. Quand même cela ne suffit plus, Harry se tourne vers le vol pour ressentir le frisson de l’interdit. Sa spirale autodestructrice le pousse inexorablement vers des actes toujours plus extrêmes pour apaiser le « démon » qui le dévore…

Autour du livre

« Le démon » est le troisième roman d’Hubert Selby Jr., publié en 1976. Contrairement à ses précédents ouvrages qui dépeignaient les bas-fonds de Brooklyn, il choisit cette fois de mettre en scène un personnage issu de la classe moyenne supérieure. Cette nouvelle orientation lui permet de disséquer les apparences trompeuses d’une société américaine obsédée par la réussite matérielle et sociale.

« Le démon » s’inscrit dans une période charnière de la littérature américaine des années 1970, où plusieurs auteurs commencent à questionner frontalement les fondements du rêve américain. La particularité de Selby réside dans son refus d’expliquer rationnellement la déchéance de son protagoniste : Harry n’est pas le produit d’une enfance malheureuse ou d’un traumatisme identifiable. Son mal existentiel surgit au cœur même d’une vie en apparence idéale.

L’ambivalence constitue l’une des grandes forces du roman. Les scènes de bonheur familial et de sensualité pure alternent avec des descriptions cliniques des crises d’angoisse du héros. Cette dualité se retrouve jusque dans la structure du livre : la première partie baigne dans une atmosphère presque idyllique, tandis que la seconde bascule dans la psyché tourmentée d’Harry.

En multipliant les tabous – l’adultère compulsif, la fréquentation de prostituées, la violence gratuite – tout en les associant à une vie sociale exemplaire, Selby bouscule le manichéisme d’une société habituée à séparer nettement le bien du mal. Le personnage d’Harry préfigure d’ailleurs celui de Patrick Bateman dans « American Psycho » de Bret Easton Ellis, publié quinze ans plus tard.

À sa sortie, le roman reçoit un accueil mitigé de la critique américaine. Certains, comme le poète Amiri Baraka, saluent la radicalité de Selby qui met en scène « des Américains qu’aucun personnage de John Updike ne voudrait rencontrer ». D’autres jugent le personnage principal trop caricatural et l’ensemble manquant de subtilité morale. En France en revanche, « Le démon » rencontre un vif succès et reste considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de l’auteur.

« Le démon » a notamment inspiré plusieurs auteurs du courant transgressif comme Chuck Palahniuk, dont le roman « Choke » (2001) reprend le thème de l’addiction sexuelle. Une adaptation cinématographique a été envisagée dans les années 1990 mais n’a jamais abouti.

Aux éditions 10/18 ; 350 pages.


4. Retour à Brooklyn (1978)

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Résumé

Dans le quartier de Coney Island à Brooklyn, Sara Goldfarb vit seule et passe ses journées devant la télévision. Son fils Harry vient régulièrement lui voler son poste pour le mettre au clou et s’acheter sa dose d’héroïne. Un jour, Sara reçoit un appel qui chamboule son existence : elle est sélectionnée pour participer à son émission préférée. Pour rentrer dans la robe rouge qu’elle portait à la bar-mitsvah de Harry, elle se lance dans un régime draconien. Sur les conseils d’une amie, elle consulte un médecin qui lui prescrit des pilules amaigrissantes – en réalité des amphétamines.

Pendant ce temps, Harry, sa petite amie Marion et son meilleur ami Tyrone élaborent un plan pour s’enrichir rapidement : acheter et revendre de l’héroïne pure. Avec l’argent, Harry et Marion rêvent d’ouvrir une galerie-café où elle exposera ses œuvres. Au début de l’été, les affaires marchent à merveille. Mais leur consommation personnelle augmente dangereusement tandis que Sara sombre dans une dépendance aux médicaments qui altère sa santé mentale.

Quand l’hiver arrive et que la drogue se fait rare, les rapports se détériorent. Les personnages basculent alors dans une spirale infernale, prêts à tout pour assouvir leur besoin.

Autour du livre

Hubert Selby Jr puise dans sa propre expérience pour écrire ce roman publié en 1978. Atteint de tuberculose à 15 ans, il passe plusieurs années à l’hôpital où un traitement expérimental à la streptomycine lui cause de graves complications pulmonaires. Les antidouleurs prescrits, notamment la morphine, le plongent dans une dépendance aux opiacés qui marquera sa vie. C’est durant cette période qu’il se tourne vers l’écriture, poussé par son ami l’écrivain Gilbert Sorrentino.

Le roman dissèque avec une acuité glaçante les mécanismes de l’addiction, qu’elle soit aux drogues dures ou aux substances légales comme les pilules amaigrissantes. Les personnages justifient leurs comportements destructeurs par la poursuite de leurs rêves, refusant de voir qu’ils créent leur propre cauchemar. La structure narrative en miroir, qui suit parallèlement la déchéance de Sara et celle du trio de jeunes gens, souligne l’universalité du processus addictif.

Selby y déploie une critique acerbe de la société américaine et de ses institutions. Le système médical prescrit des amphétamines à une femme fragile sans se soucier des conséquences. La police et la justice traitent les toxicomanes avec une brutalité déshumanisante. La télévision aliène les esprits en vendant des illusions. Derrière la quête du « rêve américain » se cache un vide existentiel que les personnages tentent désespérément de combler.

L’écriture singulière de Selby, qui ignore délibérément la ponctuation conventionnelle et les règles grammaticales, traduit la confusion mentale et le chaos intérieur des personnages. Les dialogues se fondent dans la narration sans guillemets ni retours à la ligne dans un flux de conscience haletant qui entraîne le lecteur dans la spirale des protagonistes.

La critique salue unanimement la puissance de « Retour à Brooklyn ». The New York Times Book Review compare Selby à Dostoïevski pour « son intimité avec la souffrance et la moralité, son honnêteté et son urgence morale ». Le roman connaît une adaptation cinématographique magistrale en 2000 par Darren Aronofsky sous le titre « Requiem for a Dream ». Selby participe à l’écriture du scénario et fait même une apparition dans le film. Ellen Burstyn, qui incarne Sara Goldfarb, reçoit une nomination aux Oscars pour sa performance. La bande originale est composée par Clint Mansell.

Aux éditions 10/18 ; 304 pages.

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