Hilary Mantel naît le 6 juillet 1952 à Glossop dans le Derbyshire dans une famille catholique. Son enfance est marquée par la séparation de ses parents et l’arrivée de Jack Mantel, le nouveau compagnon de sa mère, dont elle prend légalement le nom. Elle ne reverra jamais son père.
Brillante élève, elle étudie d’abord à la London School of Economics puis obtient son diplôme de droit à l’université de Sheffield en 1973. La même année, elle épouse Gerald McEwen, un géologue. Le couple divorce en 1981 mais se remarie l’année suivante.
Dès l’adolescence, Mantel souffre d’endométriose, une maladie qui la contraint à subir plusieurs opérations, dont une ablation de l’utérus et des ovaires à l’âge de 27 ans, la privant de la possibilité d’avoir des enfants.
Sa carrière littéraire débute en 1985 avec la publication de son premier roman, « C’est tous les jours la fête des mères ». Mais c’est avec sa trilogie historique sur Thomas Cromwell qu’elle connaît la consécration. « Dans l’ombre des Tudors » (2009) et « Le Pouvoir » (2012) lui valent chacun le prestigieux Booker Prize ; elle est alors la première femme à remporter deux fois cette distinction. Le dernier volet, « Le Miroir et la Lumière », paraît en 2020.
Autrice de douze romans, de nouvelles et d’essais, Hilary Mantel est faite Dame Commandeur de l’Empire britannique pour services rendus à la littérature en 2014. Elle s’éteint le 22 septembre 2022 à l’âge de 70 ans dans un hôpital d’Exeter, des suites d’un accident vasculaire cérébral.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Révolution (Révolution #1, 1992)
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Résumé
À la veille de la Révolution française, trois jeunes avocats ambitieux convergent vers Paris dans l’espoir d’y faire carrière. Georges Jacques Danton, imposant et charismatique malgré son visage défiguré, devient rapidement un orateur redoutable. Camille Desmoulins, spirituel et impétueux malgré son bégaiement, se révèle un pamphlétaire de génie. Maximilien Robespierre, austère et méthodique, s’impose comme un stratège politique inflexible.
Alors que l’agitation sociale monte, ces trois hommes se retrouvent propulsés au cœur du soulèvement. La prise de la Bastille, la fuite royale vers Varennes, la proclamation de la République – à chaque événement, ils gagnent en influence. Mais à mesure que s’installe la Terreur et que les idéaux de liberté se heurtent aux réalités du pouvoir, leur amitié s’effrite. Le monde qu’ils contribuent à créer commence à les dévorer, tandis que l’ombre de la guillotine plane sur ceux qui ont osé rêver d’un idéal républicain…
Autour du livre
Rédigé en 1975, « Révolution » est demeuré inédit pendant près de deux décennies avant sa publication en 1992. Les éditeurs, méprenant le projet de Mantel, rejetaient systématiquement son manuscrit en lui répondant : « nous ne publions pas de romances historiques ». L’autrice britannique revient sur cette période : « J’ai écrit une lettre à un agent lui demandant s’il voulait lire mon livre sur la Révolution française, en précisant qu’il ne s’agissait pas d’une romance historique, et la lettre est revenue avec la mention ‘nous ne publions pas de romances historiques’. » Cette incompréhension témoigne des préjugés entourant la fiction historique, genre souvent réduit à des clichés de « dames aux coiffures hautes ».
Le traitement de la Révolution française par Mantel s’éloigne radicalement des représentations traditionnelles anglo-saxonnes. Là où Charles Dickens dans « Un conte de deux villes » ou Thomas Carlyle se concentrent sur la vengeance populaire et les bains de sang, Mantel s’intéresse principalement aux luttes intestines entre révolutionnaires. Elle ne décrit pas les foules assoiffées de sang mais plutôt les mécanismes bureaucratiques de la Terreur – l’établissement méthodique de listes de personnes à éliminer ou à épargner. Cette approche reflète une conception plus contemporaine du meurtre de masse qui met en lumière la planification plutôt que l’exécution, et souligne la nature arbitraire des décisions qui déterminent qui vivra et qui mourra.
La force du roman réside dans sa capacité à humaniser des figures historiques généralement perçues comme des monstres. « Mantel réussit l’exploit considérable de présenter Robespierre et Danton comme des êtres humains à part entière », note un critique. Les trois protagonistes apparaissent avec leurs contradictions et leurs failles – Danton opportuniste mais magnétique, Desmoulins idéaliste mais instable, Robespierre intègre mais de plus en plus isolé dans son idéalisme. La vie privée de ces hommes s’entremêle constamment avec les événements politiques ; les décisions politiques les plus lourdes sont prises dans un cadre privé, sous l’influence d’émotions intimes. Cette tension entre sphère publique et privée constitue l’un des thèmes centraux du livre.
Techniquement, Mantel emploie une narration expérimentale qui alterne entre divers points de vue et recourt à différentes techniques narratives. Elle jongle entre récit à la troisième personne, passages à la première personne, extraits de journaux et de correspondances (authentiques ou inventés), dialogues au format théâtral, et parfois même adresses directes au lecteur. L’écriture de Mantel, avec ses changements de temps verbal et ses perspectives narratives mouvantes, capture parfaitement le chaos révolutionnaire et, selon certains lecteurs, « l’intensité de l’adolescence » – ce qui explique peut-être l’attachement particulier que suscite ce livre chez de jeunes lecteurs.
La critique a largement salué cette œuvre monumentale. « Révolution » a reçu le Sunday Express Book of the Year en 1992. Dans The Guardian, l’historienne Kate Williams l’a désigné comme son favori parmi les romans de Mantel, tandis que The Independent l’a décrit comme « le livre d’une vie ».
En 2018, le roman a été adapté en feuilleton radiophonique par la radio allemande WDR. Cette production ambitieuse de 26 épisodes totalise environ 13 heures d’écoute et mobilise quelque 150 comédiens. Robert Dölle y incarne Danton, Matthias Bundschuh prête sa voix à Desmoulins, tandis que Jens Harzer interprète Robespierre. La mise en onde, signée Walter Adler d’après la traduction allemande de Sabine Roth et Kathrin Razum, a été diffusée entre septembre et octobre 2018 avant d’être commercialisée en coffret CD par Audio Verlag.
Aux éditions POCKET ; 608 pages.
2. Dans l’ombre des Tudors (Le Conseiller #1, 2009)
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Résumé
« Dans l’ombre des Tudors » nous transporte dans l’Angleterre du XVIe siècle et suit l’ascension fulgurante de Thomas Cromwell à la cour du roi Henri VIII. En 1500, Cromwell n’est qu’un adolescent battu par son père forgeron, contraint de fuir sa maison pour chercher fortune en Europe. Vingt-sept ans plus tard, après avoir été soldat, marchand puis banquier, il devient le fidèle conseiller du Cardinal Wolsey, figure dominante du royaume.
Un problème majeur agite alors la cour : Henri VIII, marié depuis vingt ans à Catherine d’Aragon, n’a pas d’héritier mâle et s’est épris d’Anne Boleyn. Cette dernière refuse de devenir sa maîtresse et exige un mariage légitime. Lorsque Wolsey échoue à obtenir du Pape l’annulation du premier mariage royal, il tombe en disgrâce et meurt peu après.
Contre toute attente, Cromwell ne sombre pas avec son mentor. Grâce à son intelligence politique et sa connaissance des rouages financiers, il gagne la confiance du roi et d’Anne Boleyn. Il devient le principal architecte de la rupture avec Rome, permettant à Henri VIII de se proclamer chef de l’Église d’Angleterre et d’épouser Anne.
Face à lui se dresse Thomas More, ancien chancelier et défenseur inflexible de l’autorité papale. Entre ces deux hommes s’engage un duel implacable où s’entremêlent convictions religieuses, stratégies politiques et ambitions personnelles. Dans ce microcosme où l’on passe aisément de la gloire à l’échafaud, Cromwell navigue avec une habileté redoutable, mais pour combien de temps ?
Autour du livre
Hilary Mantel a consacré cinq années de recherches et d’écriture à la réalisation de ce premier volume d’une trilogie consacrée à Thomas Cromwell. Pour garantir la fidélité historique de son récit, elle a élaboré un système minutieux de fiches classées par ordre alphabétique des personnages, chacune contenant des notes indiquant où se trouvait précisément chaque figure historique aux dates importantes. Dans un entretien accordé au Guardian, elle précise sa démarche : « L’essence de la chose n’est pas de juger avec du recul, de ne pas porter de jugement depuis le haut perchoir du XXIe siècle quand on sait ce qui s’est passé. C’est d’être là avec eux dans cette partie de chasse à Wolf Hall, d’avancer avec des informations imparfaites. »
L’originalité de « Dans l’ombre des Tudors » réside dans son portrait novateur de Thomas Cromwell. Traditionnellement dépeint comme un manipulateur calculateur et sans principes, notamment dans la pièce « Un homme pour l’éternité » de Robert Bolt qui l’oppose à l’intégrité supposée de Thomas More, Cromwell apparaît ici sous un jour radicalement différent. Sans trahir les faits historiques, Mantel renverse habilement les perspectives établies depuis cinq siècles. Elle présente un homme tolérant, pragmatique et talentueux qui tente de servir simultanément son roi, son pays et sa famille au milieu des machinations politiques et des soubresauts religieux de la Réforme. À l’inverse, Thomas More, généralement vénéré comme un saint martyr, se révèle être un fanatique religieux impitoyable envers les hérétiques.
Le titre anglais original « Wolf Hall » – qui fait référence au siège de la famille Seymour mais évoque également l’adage latin « Homo homini lupus » (l’homme est un loup pour l’homme) – illustre bien la nature opportuniste et dangereuse du monde dans lequel évolue Cromwell. À travers son protagoniste, Mantel montre comment le pouvoir se déplace inexorablement des châteaux vers les comptoirs, de l’aristocratie vers la bourgeoisie marchande. Cette transformation fondamentale des structures de pouvoir préfigure l’émergence d’une société moderne où la « méritocratie » commence à l’emporter sur les privilèges de naissance.
Si « Dans l’ombre des Tudors » séduit tant par sa reconstitution minutieuse de l’Angleterre des Tudor, il résonne également avec nos problématiques actuelles. Les conflits entre pouvoir religieux et pouvoir civil, les débats sur la séparation de l’Église et de l’État, la surveillance gouvernementale, l’oppression des minorités religieuses, l’abus d’autorité, ou encore les guerres nationales menées pour des intérêts privés trouvent des échos troublants dans notre société. Comme le suggère Mark Rylance, l’acteur qui incarne Cromwell dans l’adaptation télévisée : « Bien que nous ne soyons pas gouvernés par un roi sociopathe de quatorze ans, nous semblons être dirigés par un groupe de personnes entièrement au service des entreprises, tout comme les rois étaient au service du pape avant que Cromwell et Henri VIII ne changent la donne. »
« Dans l’ombre des Tudors » a reçu un accueil critique exceptionnel, remportant le prestigieux Booker Prize en 2009. James Naughtie, président du jury, a justifié ce choix par « l’ampleur du livre, l’audace de son récit, sa mise en scène… Un roman moderne qui se déroule au 16ème siècle ». Il a également été couronné par le National Book Critics Circle Award, le Walter Scott Prize pour la fiction historique et le Morning News Tournament of Books. En 2012, The Observer l’a classé parmi les 10 meilleurs romans historiques jamais publiés. Dans The Guardian, Christopher Tayler a salué un roman « lyrique mais proprement écrit, solidement imaginé mais rempli de résonances fantasmagoriques, et parfois très drôle ». Un sondage organisé par l’Independent Bath Literature Festival l’a élu meilleur roman de 1995 à 2015, tandis que The Guardian l’a classé à la première position de sa liste des 100 meilleurs livres du 21ème siècle.
En 2013, la Royal Shakespeare Company a monté des adaptations théâtrales de « Dans l’ombre des Tudors » et de sa suite « Le Pouvoir », qui ont ensuite été transférées au Winter Garden Theatre de Broadway en 2015 sous le titre « Wolf Hall, Parts 1 & 2 », récoltant huit nominations aux Tony Awards. La BBC a produit en 2015 une mini-série télévisée de six épisodes avec Mark Rylance dans le rôle de Thomas Cromwell et Damian Lewis dans celui d’Henri VIII. Saluée unanimement par la critique, cette adaptation a également été diffusée sur PBS aux États-Unis et sur Arte en France. L’adaptation de la troisième partie de la trilogie, « Le Miroir et la Lumière », a été filmée entre novembre 2023 et avril 2024, malgré des retards dus à la pandémie de COVID-19, et diffusée au Royaume-Uni en novembre 2024.
Aux éditions POCKET ; 960 pages.