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Edgar Morin en 7 livres – Notre sélection

Edgar Morin en 7 livres – Notre sélection

Edgar Nahoum, qui prendra le nom de Morin, naît le 8 juillet 1921 à Paris dans une famille juive d’origine grecque. Il perd sa mère à l’âge de dix ans. Dès 1936, il s’engage dans la lutte antifasciste en soutenant l’Espagne républicaine. En 1941, il rejoint le Parti communiste et entre dans la Résistance en 1942. C’est durant cette période qu’il adopte le pseudonyme de Morin.

Après la guerre, il devient chercheur au CNRS en 1950. Il rompt avec le Parti communiste en 1951 suite aux révélations sur le stalinisme. Il développe alors une pensée transdisciplinaire, étudiant notamment le cinéma et la culture de masse. En 1960, il coréalise avec Jean Rouch le film novateur « Chronique d’un été ».

À partir des années 1970, il élabore sa théorie de la complexité qu’il développe dans son œuvre majeure « La méthode » (six volumes publiés entre 1977 et 2004). Cette approche prône une vision qui relie les savoirs plutôt que de les compartimenter. En parallèle, il s’engage sur de nombreux fronts : l’écologie, l’éducation, la politique de civilisation.

Intellectuel mondialement reconnu, Edgar Morin poursuit aujourd’hui son travail de réflexion sur les grands enjeux contemporains. Commandeur de la Légion d’honneur, docteur honoris causa de nombreuses universités, il est l’auteur de plus d’une soixantaine d’ouvrages traduits dans le monde entier. Sa pensée exerce une influence particulière dans le monde méditerranéen et en Amérique latine. À plus de cent ans, il continue d’écrire et de publier régulièrement, portant un regard lucide sur notre époque et ses défis.

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. Leçons d’un siècle de vie (2021)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Dans « Leçons d’un siècle de vie », rédigé à l’aube de ses cent ans, Edgar Morin déploie un bilan à la fois personnel et philosophique, organisé en sept chapitres thématiques. D’entrée, le sociologue français refuse la posture du sage donnant des leçons : il souhaite plutôt partager les enseignements tirés de son expérience séculaire pour aider chacun à trouver sa propre voie. « Qu’il soit entendu que je ne donne de leçons à personne. J’essaie de tirer les leçons d’une expérience séculaire et séculière de vie, et je souhaite qu’elles soient utiles à chacun. »

Le premier chapitre aborde la question de l’identité. Morin y développe sa conception d’une identité à la fois une et multiple, illustrée par son propre parcours. Né dans une famille juive sépharade à Paris, il porte en lui des racines italiennes, espagnoles, françaises et méditerranéennes qui, loin de s’opposer, s’enrichissent mutuellement. Cette réflexion sur l’identité s’élargit aux enjeux contemporains du multiculturalisme et de l’appartenance nationale.

Dans le deuxième chapitre, Morin médite sur l’incertitude comme condition fondamentale de l’existence. Il évoque les tournants majeurs de sa vie, notamment la perte précoce de sa mère alors qu’il n’avait que dix ans, son engagement dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, et sa brève adhésion au Parti communiste. Ces expériences nourrissent sa conviction que « vivre est naviguer dans un océan d’incertitudes en se ravitaillant dans des îles de certitudes. »

Le troisième chapitre, consacré à l’art de vivre, puise dans ses souvenirs personnels pour élaborer une philosophie du bonheur. Morin évoque notamment ses expériences au sein de diverses communautés, dont celle formée autour de Marguerite Duras rue Saint-Benoît, et souligne l’importance de maintenir un équilibre entre aspirations individuelles et vie collective.

Les chapitres suivants approfondissent sa réflexion sur la complexité humaine, les erreurs et apprentissages de la vie, et les défis politiques contemporains. Morin reconnaît ouvertement ses erreurs de jeunesse, comme son pacifisme d’avant-guerre, et en tire des leçons sur la nécessité d’une pensée critique et autocritique constante. « La connaissance ne se construit pas sans un risque d’erreur. Mais l’erreur joue un rôle positif quand elle est reconnue, analysée et dépassée. »

L’ouvrage se termine par une série de mémentos qui synthétisent sa pensée, avec des maximes telles que « L’élimination totale du risque conduit à l’élimination totale de la vie », « Attends-toi à l’inattendu », « L’histoire humaine est relativement intelligible a posteriori mais toujours imprévisible a priori », « L’humain n’est ni bon ni mauvais, il est complexe et versatile » ou « Le chemin vers l’avenir passe par le retour aux sources ». Ces réflexions culminent dans un appel à embrasser la complexité du monde plutôt que de chercher des réponses simplistes aux défis de notre temps.

La réception critique souligne majoritairement la lucidité et l’humanisme de ce testament intellectuel, même si certains lecteurs regrettent un caractère parfois trop synthétique ou une tendance à l’auto-référencement. Néanmoins, l’ouvrage constitue une remarquable synthèse de la pensée d’un intellectuel majeur qui, jusqu’à son centenaire, n’a cessé de réfléchir aux tourments de notre époque.

Aux éditions FAYARD/PLURIEL ; 160 pages.


2. Introduction à la pensée complexe (1990)

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Dans « Introduction à la pensée complexe », Edgar Morin confronte les limites d’une pensée scientifique qui, depuis Descartes, découpe et compartimente la réalité pour mieux la comprendre. Cette approche réductionniste ne permet plus, selon lui, d’appréhender un monde caractérisé par l’incertitude et l’interdépendance des phénomènes.

Le livre s’articule autour de six textes qui développent progressivement les fondements d’une pensée nouvelle. Morin commence par définir la complexité non comme une solution mais comme un défi : celui d’accepter que certains phénomènes ne puissent se réduire à une loi simple ou à une idée claire. Il mobilise ensuite trois théories majeures pour construire sa réflexion : la théorie de l’information qui permet de penser la coexistence de l’ordre et du désordre, la cybernétique qui introduit les notions de rétroaction et de régulation, et la théorie des systèmes qui met en lumière l’émergence de propriétés nouvelles au niveau des ensembles organisés.

Sur ces bases, Morin élabore trois principes fondamentaux. Le principe dialogique unit des notions apparemment contradictoires mais nécessaires l’une à l’autre, comme la vie et la mort dans les organismes biologiques. Le principe de récursion organisationnelle décrit des phénomènes où les effets produisent les causes qui les produisent, à l’image de la société qui façonne les individus qui la façonnent. Le principe hologrammatique, enfin, stipule que la partie contient l’information du tout qui la contient, comme chaque cellule porte l’information génétique de l’organisme entier.

Ces principes théoriques débouchent sur des applications concrètes, notamment dans le domaine de l’action et de l’entreprise. Morin montre comment toute décision doit être considérée comme un pari qui modifie son environnement et exige des ajustements constants. L’organisation elle-même apparaît comme un système complexe qui doit maintenir un équilibre entre ordre et désordre, entre rigidité et souplesse.

Le dernier chapitre, transcription d’une table ronde à l’université de Lisbonne, permet à Morin de répondre aux objections et de préciser sa pensée. Il insiste notamment sur la nécessité de dépasser l’opposition entre holisme et réductionnisme pour développer une pensée capable d’articuler les différents niveaux de réalité sans les confondre.

Ce véritable manifeste pour une réforme de la pensée ne vise pas à éliminer la simplicité mais à l’intégrer dans une compréhension plus riche des phénomènes. La transdisciplinarité qu’il prône ne se contente pas de juxtaposer les savoirs mais cherche à les relier dans une vision cohérente du monde.

Publié en 1990, cet ouvrage majeur d’Edgar Morin synthétise plusieurs décennies de réflexion sur la complexité. Les textes qui le composent proviennent majoritairement d’articles et de conférences des années 1980, période durant laquelle Morin développe sa pensée la plus féconde. Le point de départ de sa réflexion réside dans une critique radicale du « paradigme de simplification » qui domine la pensée occidentale depuis Descartes. Cette approche, fondée sur la disjonction et la réduction, conduit selon lui à une « barbarie de la science » qui mutile la réalité qu’elle prétend étudier. Pour Morin, il ne s’agit pas de rejeter la simplicité mais de l’intégrer dans une pensée plus riche.

L’originalité de sa pensée réside dans son caractère transdisciplinaire. Morin refuse le découpage artificiel des sciences en disciplines closes. Pour lui, les grands problèmes ne peuvent être compris que dans leur contexte global. Cette approche lui vaut d’être parfois considéré comme un « ovni » dans le monde universitaire français, mais son influence n’a cessé de croître notamment en Amérique latine.

« Introduction à la pensée complexe » se distingue par sa volonté pédagogique de rendre accessible des concepts complexes sans les dénaturer. Les exemples concrets, tirés aussi bien de la biologie que de la sociologie ou de l’entreprise, illustrent la fécondité de cette approche. Les critiques soulignent toutefois le caractère parfois flou de certains concepts et la difficulté d’opérationnaliser cette pensée dans des recherches empiriques. Mais ces limites apparaissent comme le prix à payer pour une pensée qui refuse justement la simplification abusive.

Aux éditions POINTS ; 192 pages.


3. La Voie – Pour l’avenir de l’humanité (2011)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Dans « La Voie », Edgar Morin dresse un diagnostic sans concession de notre époque. Le « vaisseau spatial Terre » poursuit sa course effrénée, propulsé par quatre moteurs devenus incontrôlables : la science, la technique, l’économie et le profit. Cette trajectoire s’inscrit dans un triple processus de mondialisation, d’occidentalisation et de développement qui engendre une situation paradoxale : tout devient interdépendant mais reste simultanément séparé.

L’unification techno-économique du globe s’accompagne d’une multiplication des conflits ethniques, religieux et politiques. La mort de la pieuvre totalitaire n’a fait que réveiller deux autres tentacules : celle des fanatismes religieux et celle du capitalisme financier. Si la pauvreté recule dans certaines régions, elle s’accompagne d’un accroissement considérable de la misère ailleurs. La biosphère se dégrade tandis que les civilisations, tant traditionnelles que modernes, traversent une crise profonde.

Face à ce tableau, Morin refuse la résignation. Il trace les contours d’une « Voie » alternative qui s’appuie sur une multitude d’initiatives déjà existantes mais encore dispersées et peu visibles. Cette métamorphose qu’il appelle de ses vœux toucherait tous les aspects de notre civilisation : politique, éducation, médecine, urbanisme, agriculture, justice, écologie, philosophie.

Sa réflexion couvre un champ très vaste. Il préconise une réforme de notre mode de pensée pour appréhender dans sa complexité la relation entre l’humanité et la nature. Cette prise de conscience écologique doit gouverner nos modes de vie et nos investissements. Il plaide pour une économie repensée, une relocalisation et une démondialisation de certaines activités de travail et de production, une débureaucratisation généralisée, une démocratie cognitive.

Morin n’hésite pas à aborder des questions concrètes comme l’alimentation carnée, la consommation, le travail, la vie individuelle et sociale, la famille, ou encore les destins individuels. Son ambition n’est pas de dessiner le meilleur des mondes mais plus modestement un monde meilleur. Cette « Voie » pourrait nous conduire à une métamorphose plus remarquable encore que celle qui a fait émerger les sociétés historiques des sociétés archaïques de chasseurs-cueilleurs.

L’ouvrage se structure en quatre parties d’inégale importance : les politiques de l’humanité (12 chapitres), les réformes de la pensée et de l’éducation (3 chapitres), les réformes de société (6 chapitres) et les réformes de vie (7 chapitres). Cette architecture traduit la volonté de Morin d’embrasser tous les aspects de la crise contemporaine. Le penseur de la complexité développe une approche transdisciplinaire, refusant la compartimentation des savoirs qui empêche d’avoir une vision globale des problèmes interdépendants.

Les critiques saluent la lucidité du diagnostic et l’ambition des solutions proposées. Néanmoins, certains relèvent des développements inégaux entre les sous-chapitres et regrettent que des aspects comme la religion ou la démocratie ne soient pas plus approfondis. L’auteur lui-même reconnaît des lacunes, comme l’absence de réflexion sur l’enfance, et appelle à un second volume rédigé collectivement.

Aux éditions FAYARD/PLURIEL ; 544 pages.


4. Dialogue sur la nature humaine (avec Boris Cyrulnik, 2000)

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Dans ce dialogue philosophique, Boris Cyrulnik et Edgar Morin entrelacent leurs réflexions sur la nature humaine, en s’appuyant sur leurs domaines d’expertise respectifs. L’un, neurologue, psychiatre et éthologue, l’autre, sociologue et philosophe, dressent ensemble un portrait nuancé de la condition humaine, où le biologique et le culturel s’entremêlent indissociablement.

Leur conversation s’ouvre sur l’examen des liens fondamentaux entre le cerveau et l’esprit, démontrant comment l’intelligence et l’affectivité se développent en symbiose. Les deux penseurs soulignent l’importance de la diversité dans l’évolution humaine : à l’instar de la variété génétique nécessaire à la survie des espèces, la multiplicité culturelle nourrit et renforce l’humanité plutôt que de la fragiliser.

Le dialogue progresse vers une réflexion sur les sociétés contemporaines. Face à leur tendance croissante vers l’abstraction et la virtualité, Cyrulnik et Morin s’interrogent sur les conséquences de cet éloignement de la nature. Ils examinent comment ces transformations peuvent conduire à des dérives graves, notamment lorsque les idées abstraites deviennent des motifs de violence.

Les deux intellectuels abordent ensuite la question des identités multiples et de leur construction. Ils défendent avec conviction l’idée que le métissage culturel engendre de nouvelles formes d’identité, plus riches et plus adaptatives. Pour eux, l’empathie et la compréhension mutuelle constituent les piliers d’une société harmonieuse.

La conversation culmine sur une méditation autour de l’incertitude comme moteur de transformation. Contrairement à la certitude qui paralyse, le doute et le questionnement permettent l’évolution de la pensée et l’ouverture à de nouvelles perspectives. À travers ce dialogue, les auteurs proposent une vision où la fraternité et la solidarité transcendent les clivages, rappelant notre appartenance commune à la « Terre-patrie » et notre responsabilité collective face à l’avenir. « Au moment où les sociétés éparses sur le globe sont devenues interdépendantes, la prise de conscience de la communauté de destin terrestre doit s’imposer. Nous sommes solidaires dans et de cette planète. »

Certains passages nécessitent un bagage intellectuel conséquent – comme les discussions sur les animaux poïkilothermes – mais la majorité du texte reste accessible.

Aux éditions MARABOUT ; 96 pages.


5. Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur (2000)

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Dans « Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur », Edgar Morin développe une vision novatrice et ambitieuse de l’éducation pour le XXIe siècle. L’ouvrage, commandé par l’UNESCO, ne se présente pas comme un manuel pédagogique traditionnel mais comme une réflexion sur les piliers essentiels de l’enseignement de demain.

Morin articule sa pensée autour de sept savoirs fondamentaux systématiquement négligés par les systèmes éducatifs actuels. Le premier concerne les « cécités de la connaissance » : l’éducation doit préparer les esprits à affronter les risques permanents d’erreur et d’illusion qui menacent toute forme de savoir. Le deuxième principe prône une « connaissance pertinente » capable de saisir les problèmes dans leur contexte et leur complexité, à l’opposé du morcellement disciplinaire actuel.

Le troisième savoir invite à « enseigner la condition humaine » en montrant comment l’être humain est à la fois physique, biologique, psychique, culturel, social et historique. Le quatrième axe concerne « l’identité terrienne » : l’enseignement doit permettre de comprendre le destin désormais planétaire du genre humain, marqué par une interdépendance croissante.

Dans le cinquième chapitre, Morin souligne la nécessité « d’affronter les incertitudes » apparues dans les sciences physiques, biologiques et historiques. Il ne s’agit plus de transmettre des certitudes absolues mais d’apprendre à « naviguer dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitude ». Le sixième savoir, « enseigner la compréhension », met l’accent sur l’empathie et l’ouverture nécessaires dans un monde où l’incompréhension règne malgré les progrès techniques de la communication.

Enfin, le septième principe porte sur « l’éthique du genre humain ». Morin y développe sa conception d’une anthropo-éthique fondée sur la triple réalité de l’individu à la fois membre d’une société et partie de l’espèce humaine. Cette éthique doit nourrir une conscience de la citoyenneté terrienne, indispensable pour affronter les défis majeurs de notre temps.

À travers ces sept axes, Morin dessine les contours d’une éducation radicalement repensée. Il préconise le dépassement des savoirs fragmentés pour embrasser la complexité du réel, le développement d’une pensée reliant plutôt que séparant, et la formation d’une conscience planétaire. Sa réflexion s’inscrit dans une vision humaniste où l’éducation joue un rôle central dans la survie et l’épanouissement de l’espèce humaine.

« Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur » constitue l’ultime volet d’une trilogie comprenant « La tête bien faite » et « Relier les connaissances ». La démarche de Morin se distingue par son ambition universaliste. Il ne propose pas une énième réforme technique des programmes mais une refondation complète de la mission éducative. Sa critique principale cible la compartimentation des savoirs qui empêche la compréhension des grands défis contemporains. Face à cette « politique en miettes », il propose une conception englobante de l’éducation articulée autour de la triade individu-société-espèce. Certains critiques regrettent néanmoins l’absence de propositions concrètes pour mettre en œuvre ces principes dans les écoles.

Aux éditions POINTS ; 160 pages.


6. Le chemin de l’espérance (avec Stéphane Hessel, 2011)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Dans « Le chemin de l’espérance », publié en 2011, Stéphane Hessel et Edgar Morin conjuguent leurs pensées pour présenter une vision alternative de la société. Face aux crises multiples qui secouent le monde, les deux anciens résistants refusent la résignation et esquissent une voie politique novatrice.

Leur réflexion s’ouvre sur un diagnostic sans concession : une politique « aveugle » mène nos sociétés vers le désastre. Les auteurs identifient quatre moteurs qui propulsent la planète à sa perte : la science, la technique, l’économie et le profit. Cette course effrénée engendre des catastrophes humaines, sociales et environnementales.

Pour contrer cette dérive, Hessel et Morin développent le concept d’une « politique du bien-vivre ». Leur proposition s’articule autour de plusieurs axes majeurs : la régénération de la démocratie, le développement d’une économie sociale et solidaire, la promotion du commerce équitable et la réduction des inégalités. Ils préconisent notamment l’instauration d’une plus grande souplesse dans les horaires de travail et l’âge de la retraite.

Les deux penseurs accordent une place centrale à la culture dans leur projet de société. Ils estiment nécessaire de favoriser une « culture esthétique artistique et morale » qui humanise à travers la poésie, la littérature et les arts. Cette dimension culturelle nourrit leur vision d’une mondialisation raisonnée, écologique et sociale.

Leurs propositions concrètes incluent la création de « Maisons de la fraternité », structures destinées à regrouper les services d’assistance et de bénévolat pour les plus démunis. Ils imaginent également un office public de la consommation chargé d’éduquer les consommateurs et d’introduire cet enseignement dans le secondaire.

Pour Hessel et Morin, le changement doit toutefois s’opérer à l’échelle mondiale tout en préservant les spécificités locales. Leur manifeste plaide pour une approche qui concilie ce qui peut continuer à croître pour le bien de la planète et de l’humanité avec ce qui doit décroître car nocif et destructeur. Cette vision s’accompagne d’un appel à la formation d’un « puissant mouvement citoyen » capable de porter ces transformations.

Le texte se conclut sur une note d’espoir : « Le vouloir-vivre nourrit le bien-vivre, le bien vivre nourrit le vouloir vivre ; l’un et l’autre, ensemble, ouvrent le chemin de l’espérance ». Cette formule résume l’essence de leur message : la nécessité d’allier volonté de changement et aspiration à une vie meilleure pour transformer la société.

Le manifeste s’inscrit dans une période de bouleversements mondiaux, marquée par les mouvements des Indignés, les révolutions arabes et une crise économique majeure. Les auteurs y voient l’opportunité d’une métamorphose sociale profonde. Ils développent notamment le concept de « Terre-patrie », qui préserve la diversité tout en créant une unité transnationale face aux défis communs. Certains critiques saluent sa dimension visionnaire et son humanisme, tandis que d’autres pointent un certain idéalisme.

Aux éditions FAYARD/1001 NUITS ; 72 pages.


7. La méthode (1977-2004)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

En 1977, Edgar Morin inaugure avec « La nature de la nature » le premier tome de « La méthode », une œuvre magistrale qui s’étendra sur près de trente années. Ce volume initial pose les fondements d’une pensée de la complexité en examinant le monde physique. Morin démontre que l’ordre et le désordre, loin d’être antagonistes, participent ensemble à l’organisation de l’univers. Il développe le concept d’organisation active, capable de s’auto-produire et de s’auto-régénérer, établissant ainsi un pont entre la physique, la biologie et les sciences humaines.

« La vie de la vie » (1980) prolonge cette réflexion dans le domaine du vivant. Morin s’attaque aux cloisonnements disciplinaires qui empêchent de comprendre les relations entre l’individu, l’espèce et la société. Il s’appuie sur les découvertes de la biologie moléculaire pour montrer comment l’ADN constitue un véritable langage de la vie, tout en soulignant les dangers potentiels des manipulations génétiques.

Dans « La connaissance de la connaissance » (1986), Morin interroge les fondements mêmes du savoir. Il met en évidence l’impossibilité de séparer le sujet connaissant de l’objet de sa connaissance, remettant en question le dogme de l’objectivité pure. Cette épistémologie nouvelle intègre la dimension anthropologique de toute connaissance.

« Les idées » (1991) examine comment les systèmes de pensée naissent, vivent et meurent au sein des sociétés. Morin développe une écologie des idées qui montre leur autonomie relative par rapport aux esprits qui les produisent. Il analyse notamment le langage comme un système à la fois autonome et dépendant des individus qui l’utilisent.

« L’humanité de l’humanité » (2001) s’attache à définir l’identité humaine dans sa triple dimension d’individu, de membre d’une société et d’élément de l’espèce. Morin dévoile la complexité de la condition humaine, tiraillée entre raison et folie, entre création et destruction.

L’œuvre s’achève en 2004 avec « Éthique », qui tire les conséquences morales des cinq tomes précédents. Morin y définit l’éthique comme résistance nécessaire à la cruauté du monde et à la barbarie humaine. Il plaide pour une « anthropo-éthique » capable de dépasser les clivages nationaux et religieux pour construire une « Terre-patrie ».

Ces six volumes constituent une tentative sans précédent de relier les savoirs fragmentés par la spécialisation scientifique. Morin y développe une méthode qui ne prétend pas réduire la complexité du réel mais permet de la penser dans toutes ses dimensions. Son ambition ultime : réformer la pensée pour affronter les défis majeurs de notre temps, de la crise écologique aux conflits identitaires.

En 2024 paraît « La méthode de La Méthode », manuscrit longtemps perdu qui devait initialement constituer le troisième et dernier tome d’une trilogie. Ce texte éclaire le projet initial de Morin et révèle ainsi la genèse d’une des plus ambitieuses entreprises intellectuelles du XXe siècle.

Aux éditions POINTS ; 416 pages.

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