Bernard Moitessier (1925-1994) est l’un des plus célèbres navigateurs et écrivains français du XXe siècle, dont la vie est marquée par une quête perpétuelle de liberté et d’harmonie avec l’océan.
Né à Hanoï en Indochine française, il passe son enfance à Saïgon où il développe très tôt une passion pour la mer au contact des pêcheurs locaux. Après des années mouvementées pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’Indochine, il commence sa vie de marin dans les années 1950.
Ses premières traversées sont marquées par l’aventure et la précarité. Il navigue d’abord sur une jonque, Marie-Thérèse, avec laquelle il fait naufrage aux îles Chagos en 1952. Après trois ans de reconstruction à l’île Maurice, il repart avec Marie-Thérèse II vers l’Afrique du Sud et les Antilles.
En 1963, à bord de Joshua (baptisé ainsi en hommage au navigateur Joshua Slocum), il réalise avec son épouse Françoise un voyage extraordinaire qui les mène jusqu’en Polynésie, puis retour par le cap Horn, établissant un record de la plus longue traversée sans escale.
Mais c’est en 1968 que Moitessier marque définitivement l’histoire de la navigation en participant au Golden Globe Challenge, première course autour du monde en solitaire. Alors qu’il est en position de gagner après avoir déjà accompli un tour du monde, il décide de continuer sa route vers la Polynésie, renonçant à la victoire et aux récompenses, expliquant qu’il est « heureux en mer ». Cette décision, symbolique de sa philosophie de vie, inspirera des générations de navigateurs.
Dans les années 1970, il s’installe en Polynésie sur l’atoll d’Ahe avec sa nouvelle compagne Ileana et leur fils Stephan, tentant d’y développer une agriculture durable. Plus tard, il s’engage pour diverses causes environnementales, notamment la plantation d’arbres fruitiers dans les communes françaises.
En 1982, Joshua fait naufrage au Mexique. Moitessier acquiert alors un nouveau bateau, Tamata, avec lequel il continue à naviguer malgré la maladie qui finit par l’emporter en 1994.
Auteur de plusieurs livres devenus des classiques de la littérature maritime, notamment « Vagabond des mers du sud » (1960) et « La longue route » (1971), Moitessier a profondément marqué le monde de la voile par sa philosophie singulière, mêlant quête spirituelle et communion avec l’océan.
Voici notre sélection de ses récits de voyage majeurs.
1. Vagabond des mers du sud (1960)
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Dans les années 1950, Bernard Moitessier quitte Singapour à bord de Marie-Thérèse, une jonque traditionnelle du golfe de Siam. Son équipement se résume à un sextant, une cantine métallique et un mince matelas cambodgien. Après 85 jours de lutte contre la mousson, son embarcation s’échoue sur les récifs coralliens de l’atoll Diego-Garcia.
Pendant trois ans, il travaille sans relâche pour donner vie à son nouveau projet : la construction de Marie-Thérèse II. Sans formation ni expérience en charpenterie navale, il assemble son voilier pièce par pièce, en récupérant des matériaux de fortune. Une fois le bateau achevé, il met le cap vers l’Afrique du Sud, puis les Antilles, accompagné par moments de son ami Henry Wakelam.
Ce récit, publié en 1960, marque le début de la carrière littéraire de Moitessier et préfigure ses futurs exploits nautiques. Le texte alterne entre considérations techniques sur la navigation – réglage des voiles, fabrication d’un gouvernail automatique – observations de la faune – pingouins, cormorans – et réflexions sur une vie simple, en harmonie avec la nature. Les pages regorgent de rencontres colorées : consuls, capitaines, marins du monde entier. Les années 1950 voient l’essor de la société de consommation, mais Moitessier trace sa propre voie, guidé par le soleil, la mer et sa soif de liberté.
Aux éditions J’AI LU ; 416 pages.
2. Cap Horn à la voile (1967)
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En 1966, Bernard Moitessier et sa jeune épouse Françoise entreprennent une traversée sans escale de 14 216 milles à bord de Joshua, un petit voilier de 13 tonnes sans moteur. Leur périple les mène de la France à la Polynésie, avant de revenir par le redoutable Cap Horn – un itinéraire qui représente alors la plus longue traversée jamais réalisée par un yacht.
L’aventure débute dans les eaux chaudes du Pacifique, où le couple fait escale aux Galápagos et dans les atolls des Tuamotu. Ils y découvrent les récifs coralliens multicolores et y croisent tortues et iguanes, avant de jeter l’ancre à Tahiti. C’est ensuite le grand départ vers le sud, dans les quarantièmes rugissants, où Joshua affronte pendant six jours des vents déchaînés qui le poussent sur 600 milles vers le « Cap Dur ».
Cette traversée prend une dimension particulière car elle s’inscrit dans le contexte des années 60, époque où la navigation hauturière reste l’apanage d’une poignée d’aventuriers. Le récit témoigne aussi des mentalités de son temps, notamment à travers le rôle dévolu aux femmes à bord. Publié en 1967, ce livre préfigure la participation de Moitessier à la première course autour du monde en solitaire l’année suivante, qui le fera définitivement entrer dans la légende.
Aux éditions J’AI LU ; 384 pages.
3. La longue route (1971)
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En 1968, neuf marins s’engagent dans un pari fou : accomplir le premier tour du monde en solitaire sans escale, une course baptisée le Golden Globe. Parmi eux, Bernard Moitessier quitte Plymouth le 22 août sur Joshua, un ketch de douze mètres aux mâts faits de poteaux télégraphiques. Sans radio émetteur, équipé d’un simple magnétophone et d’une caméra, il s’enfonce dans les mers australes.
La traversée s’étire sur sept mois d’une lutte constante contre les éléments. Moitessier affronte des tempêtes titanesques, des pannes qui menacent sa survie, la fatigue qui ronge son corps et son esprit. Mais au moment où la victoire lui tend les bras, après avoir doublé le redoutable cap Horn, il pose un acte qui sidère le monde de la voile : plutôt que de remonter vers l’Angleterre, il décide de poursuivre sa route vers le Pacifique. Trois mois plus tard, après 37 455 milles en mer, il jette l’ancre à Tahiti.
Ce récit dépasse largement le cadre d’un simple journal de bord. À travers ses observations des oiseaux, des poissons ou des étoiles, Moitessier livre une réflexion sur la civilisation moderne qu’il nomme « le Monstre ». La dimension spirituelle de son périple culmine dans un geste radical : il lègue l’intégralité des droits d’auteur au pape Paul VI pour « aider à la reconstruction du monde ». Vendu à plus de 100 000 exemplaires en trois ans, le livre devient une référence de la littérature maritime. Robin Knox-Johnston, seul concurrent à terminer la course, reverse d’ailleurs son prix à la famille de Donald Crowhurst, autre participant dont le destin tragique hante encore les mémoires.
Aux éditions J’AI LU ; 448 pages.
4. Tamata et l’alliance (1993)
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Né en 1925 dans l’Indochine française, Bernard Moitessier grandit entre deux cultures, française et vietnamienne. Son enfance heureuse, bercée par la nature luxuriante du delta du Mékong, forge son caractère aventurier. La guerre bouleverse cette existence idyllique : d’abord l’occupation japonaise puis le conflit franco-vietnamien, prélude à la guerre du Vietnam.
À 25 ans, Moitessier quitte son pays natal pour répondre à l’appel de la mer. Sa vie de marin nomade le mène sur tous les océans du globe, de l’océan Indien aux Caraïbes. Il survit à deux naufrages avant de se lancer dans ses plus grandes aventures maritimes : la traversée Tahiti-Alicante puis, en 1969, un tour du monde en solitaire de dix mois lors duquel il abandonne la Golden Globe Race pour poursuivre vers Tahiti.
L’histoire se poursuit dans l’archipel des Tuamotu où Moitessier s’installe trois ans sur un atoll isolé. Surnommé « Tamata » (« essaie ! ») par ses amis polynésiens, il y construit une maison traditionnelle et transforme le corail aride en oasis de verdure.
Cette autobiographie résonne comme un manifeste pour une autre façon d’habiter le monde. Page après page se dessine le parcours d’un homme qui a su conjuguer l’aventure avec un engagement écologique précurseur. Son influence perdure aujourd’hui : des dizaines de marins ont repris le large sur ses traces, guidés par sa vision d’une liberté forgée au contact des éléments.
Aux éditions ARTHAUD ; 414 pages.