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Auguste de Villiers de l'Isle-Adam en 3 livres – Notre sélection

Auguste de Villiers de l’Isle-Adam en 3 livres – Notre sélection

Auguste de Villiers de l’Isle-Adam naît à Saint-Brieuc en 1838 dans une famille aristocratique aux finances précaires. Après des études chaotiques en Bretagne, il s’installe à Paris avec sa famille en 1855. Dans la capitale, le jeune homme fréquente les cercles littéraires et artistiques où il rencontre notamment Baudelaire, Mallarmé et Leconte de Lisle.

Ses premiers écrits passent inaperçus, mais il persévère dans sa vocation littéraire tout en menant une vie bohème. Grand admirateur de Wagner, il voyage en Allemagne pour le rencontrer en 1869. La guerre de 1870 le ramène à Paris où il vit dans le dénuement pendant le siège de la ville.

Malgré ses tentatives pour redresser sa situation financière, notamment par des projets de mariage avec de riches héritières, Villiers continue de vivre dans la précarité. Il survit grâce au journalisme tout en poursuivant son œuvre littéraire. Le succès arrive tardivement avec la publication des « Contes cruels » en 1883, suivie de « L’Ève future » en 1886, roman visionnaire mettant en scène l’inventeur Thomas Edison créant une femme artificielle.

Atteint d’un cancer en 1888, il épouse in extremis Marie Dantine pour légitimer leur fils Victor. Il meurt le 18 août 1889 à Paris, laissant inachevée son œuvre maîtresse, le drame symboliste « Axël », qui sera publié à titre posthume. Précurseur du symbolisme et de la science-fiction, admiré par les surréalistes, Villiers de l’Isle-Adam aura marqué la littérature française par son style flamboyant et son imagination visionnaire.

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. L’Ève future (roman, 1886)

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Résumé

En 1886 paraît « L’Ève future », roman où se croisent les destins de Thomas Edison et du jeune Lord Ewald. Ce dernier traverse une crise existentielle : la femme qu’il aime, l’actrice Alicia Clary, incarne la perfection physique mais se révèle d’une consternante médiocrité intellectuelle. Au bord du désespoir, il confie son tourment à Edison, auquel il a jadis sauvé la vie.

L’inventeur lui propose une solution inouïe : façonner une créature mécanique à l’image d’Alicia, mais dotée d’une âme et d’une intelligence exceptionnelles. Cette « andréide » baptisée Hadaly prend forme dans le laboratoire d’Edison à Menlo Park, où Alicia elle-même est invitée sous prétexte d’un rôle au théâtre. Pendant plusieurs semaines, l’inventeur travaille à reproduire l’exacte apparence d’Alicia, enregistrant sa voix et dupliquant ses traits. Séduit par cette créature artificielle parfaite, Lord Ewald décide de partir avec elle. Mais le destin va en décider autrement.

Autour du livre

Commencé en 1878 et publié initialement en feuilleton dans La Vie moderne du 18 juillet 1885 au 27 mars 1886, « L’Ève future » est considérée comme l’une des œuvres fondatrices de la science-fiction. Sa particularité première réside dans l’emploi novateur du terme « androïde » (ou « andréide »), dont il constitue la première occurrence littéraire dans son sens actuel.

La dimension satirique de l’œuvre se manifeste notamment à travers les descriptions techniques de l’androïde. Villiers de l’Isle-Adam revendique lui-même l’inexactitude délibérée de ces passages, qui visent à tourner en dérision le langage hermétique des scientifiques de son époque. Cette critique du positivisme triomphant des années 1880 s’accompagne d’une forte influence des milieux occultistes que l’auteur fréquente. La théorie de la décorporation, ou voyage astral, sous-tend ainsi le transfert de l’âme de Sowana dans le corps mécanique de Hadaly.

L’héritage culturel de « L’Ève future » se perpétue particulièrement dans la culture populaire japonaise contemporaine. Mamoru Oshii ouvre son film « Ghost in the Shell 2: Innocence » avec une citation du livre : « Si nos dieux et nos espoirs ne sont que des phénomènes scientifiques, alors il faut dire que notre amour est scientifique aussi. » Le personnage de Hadaly inspire également la désignation des gynoïdes dans plusieurs œuvres ultérieures, dont ce même film.

Les critiques modernes soulignent la dualité de l’œuvre, louée tant pour son caractère expérimental que critiquée pour sa misogynie virulente. Elle s’inscrit comme un texte majeur du mouvement décadent et apporte un commentaire significatif sur les conceptions sociales et culturelles de l’hystérie, en lien avec les travaux de Jean-Martin Charcot. La scène centrale où Edison dissèque l’androïde Hadaly établit un pont entre le regard spectatoriel du théâtre anatomique de la Renaissance et celui du cinéma.

Aux éditions FOLIO ; 441 pages.


2. Contes cruels (recueil de nouvelles, 1883)

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Résumé

Les « Contes cruels », publiés en 1883, réunissent vingt-huit nouvelles initialement parues dans divers journaux. Le recueil s’ouvre sur une galerie de personnages antinomiques : d’un côté, des bourgeois étriqués superficiels, obsédés par le matérialisme et le progrès technique ; de l’autre, des êtres solitaires et graves, en quête d’absolu. À travers ces figures contrastées se dessine une satire musclée de la société positiviste du XIXe siècle.

Chaque conte dévoile une facette différente de cette critique sociale teintée de surnaturel. « La Machine à gloire » ridiculise les mécanismes du succès mondain, tandis que « Véra » relate l’histoire d’un amour qui survit à la mort. Le lecteur suit tour à tour un mystérieux docteur aux méthodes inquiétantes, un jeune aristocrate qui s’évapore sans laisser de trace, ou encore une nuit terrifiante dans une auberge espagnole peuplée de brigands.

Autour du livre

La genèse des « Contes cruels » s’inscrit dans une longue maturation. En 1865, Eugène Lefebure mentionne dans une lettre à Mallarmé le projet de Villiers d’écrire dans l’esprit d’Edgar Allan Poe. Cette même année, Villiers achève « Klara Lenoir », qu’il qualifie de « terrible histoire dans l’esthétique de Poe ». La période 1865-1866 marque l’émergence de son style caractéristique de « cruelle ironie ». Une parenthèse théâtrale interrompt temporairement l’écriture des nouvelles à la fin des années 1860, mais les échecs successifs de ses pièces le ramènent à la forme brève en 1873.

Le parcours éditorial des « Contes cruels » témoigne d’une obstination remarquable. En 1877, Calmann Lévy refuse le manuscrit, jugeant sa rentabilité commerciale insuffisante. Entre 1877 et 1882, le recueil connaît plusieurs métamorphoses : rebaptisé successivement « Histoires philosophiques » puis « Histoires énigmatiques », il essuie plusieurs refus avant de retrouver son titre originel pour sa publication en 1883.

Dans sa correspondance avec Mallarmé, Villiers définit clairement son projet littéraire : faire du bourgeois ce que Voltaire a fait des « cléricaux », Rousseau des gentilshommes et Molière des médecins. Cette ambition déborde la simple satire sociale pour s’ériger en combat contre le matérialisme philosophique. La critique du positivisme bourgeois s’articule autour d’une opposition fondamentale entre deux catégories de personnages : les bourgeois, qui incarnent l’étroitesse d’esprit et le matérialisme de l’époque, et les « élus », figures solitaires porteuses d’un idéalisme spirituel.

Les nouvelles déploient un arsenal narratif novateur pour ébranler les certitudes bourgeoises : l’ironie se fait mordante grâce à la concision du format, tandis que les éléments fantastiques déstabilisent le rationalisme ambiant. Selon Pierre Castex, la dette envers Poe demeure superficielle : les similitudes entre leurs œuvres se limitent à des liens ténus, Villiers ayant forgé sa propre voie. Cette singularité n’échappe pas à Mallarmé qui, dans une lettre à son ami, célèbre « une somme de Beauté extraordinaire » et une « langue vraiment d’un Dieu ».

Aux éditions FOLIO ; 410 pages.


3. Histoires insolites (recueil de nouvelles, 1888)

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Résumé

Publié en 1888, « Histoires insolites » d’Auguste de Villiers de L’Isle-Adam rassemble vingt nouvelles initialement parues dans divers journaux, notamment le Gil Blas. D’abord intitulé « Propos d’au-delà », il fut remanié avant sa publication définitive. L’auteur lui-même le présentait modestement à Mallarmé comme « un volume d’anecdotes plus ou moins distrayantes ».

Les récits nous transportent dans une France fin-de-siècle où se croisent des personnages hors du commun. « L’Héroïsme du docteur Hallidonhill » narre les actes d’un médecin qui pousse la logique professionnelle jusqu’à l’absurde meurtrier. Dans « Les Phantasmes de M. Redoux », un notable provincial lutte contre ses pulsions macabres. « Le Navigateur sauvage » suit l’odyssée improbable de Tomolo Ké Ké jusqu’aux côtes marseillaises.

Le recueil aborde des thèmes inattendus, comme dans « Aux chrétiens les lions ! », pamphlet contre la maltraitance des fauves, ou « L’Etna chez soi », où la chimie moderne devient source d’humour noir. Les amateurs de whist d’ « Un singulier chelem » incarnent les « rares survivants d’une société disparue », tandis que « Les Amants de Tolède » revisite le mythe des amants maudits.

Autour du livre

La genèse des « Histoires insolites » témoigne d’une évolution significative : d’abord intitulé « Propos d’au-delà » lors de sa proposition à Gustave de Malherbe en 1886, le manuscrit subit des remaniements pendant deux ans avant sa publication définitive. La correspondance avec Mallarmé révèle la modestie, peut-être feinte, de Villiers de l’Isle-Adam qui qualifie son œuvre de simple « volume d’anecdotes plus ou moins distrayantes ».

Les nouvelles se distinguent par leur inégale intensité. Si cinq ou six d’entre elles atteignent l’excellence des « Contes cruels », d’autres textes comme « L’Etna chez soi » perdent leur force dans des digressions chimiques qui ne suscitent guère que l’amusement de leur créateur. La satire, parfois appuyée, trouve néanmoins son équilibre dans « Aux chrétiens les lions ! », où la nuance l’emporte sur la charge. Cette chronique illustre la maîtrise stylistique de Villiers, notamment dans sa construction phrastique : « Dans la seule hypothèse d’une torture quelconque […] je viens, tout bonnement, moi, passant obscur, placer les susdits lions sous l’égide, plus efficace encore, de la Loi ».

Le recueil transcende son ancrage temporel grâce à des thèmes universels : la danse macabre dans « Le Jeu des Grâces », le paradis perdu dans « L’Agrément inattendu », ou encore la fausse charité dans « Les Délices d’une bonne œuvre ». L’ami de Mallarmé y développe ses obsessions récurrentes : les plaidoyers idéalistes, la conviction d’une réalité dissimulée, et la mise en scène de personnages prisonniers de leurs manies.

La réédition contemporaine s’enrichit d’un appareil critique substantiel signé Jacques Noiray, professeur émérite à la Sorbonne. Ses notes éclairent notamment l’évolution linguistique : le verbe « exploser », absent des dictionnaires du XIXe siècle, n’intègre le dictionnaire de l’Académie française qu’en 1932. Cette annotation minutieuse permet de saisir les subtilités d’un vocabulaire aujourd’hui désuet, où les « porphyrogénètes maubénins » côtoient ceux qui font « trémuler et trémoler » le bourgeois.

Aux éditions FOLIO ; 288 pages.

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