Amy Tan naît le 19 février 1952 à Oakland, en Californie, de parents immigrés chinois. Son enfance est marquée par un drame : à quinze ans, elle perd son père et son frère aîné, tous deux emportés par des tumeurs cérébrales en l’espace de six mois. Sa mère Daisy déménage alors avec elle et son jeune frère en Suisse, où la future écrivaine termine ses études secondaires. C’est durant cette période qu’Amy découvre le passé secret de sa mère : un premier mariage en Chine et trois filles laissées là-bas. Cette révélation influencera durablement son œuvre par la suite.
Après des études d’anglais et de linguistique à l’université de San José, Amy Tan exerce divers métiers avant de se lancer dans l’écriture. En 1985, elle commence à écrire son premier roman, « Le Joy Luck Club » (The Joy Luck Club), qui paraît en 1989 et connaît un succès retentissant. Il est adapté au cinéma en 1993.
Elle poursuit sa carrière avec plusieurs romans à succès, dont « La Femme du Dieu du feu » (The Kitchen God’s Wife) en 1991 et « L’Attrape-fantômes » (The Hundred Secret Senses) en 1995. Ses récits, largement inspirés de son histoire familiale, traitent essentiellement des relations mère-fille et de l’expérience des immigrants chinois aux États-Unis.
Aujourd’hui, Amy Tan vit près de San Francisco avec son mari Lou DeMattei, qu’elle a épousé en 1974. Passionnée par l’observation des oiseaux, elle continue d’écrire et vient de publier en 2024 « The Backyard Bird Chronicles », un ouvrage illustré sur ses expériences d’ornithologue amateur.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Le Joy Luck Club (1989)
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Résumé
San Francisco, 1949. Quatre immigrantes chinoises se réunissent chaque semaine pour jouer au mahjong et partager des repas. Elles nomment leur cercle « The Joy Luck Club ». Ces femmes – Suyuan Woo, An-Mei Hsu, Lindo Jong et Ying-Ying St. Clair – espèrent toutes un avenir meilleur pour leurs filles américaines. Après la mort soudaine de Suyuan, sa fille Jing-Mei « June » Woo prend sa place à la table de mahjong. Elle découvre alors que sa mère avait abandonné deux jumelles en Chine pendant la guerre et que ces dernières ont été retrouvées. Les trois amies de Suyuan demandent à June de se rendre en Chine pour rencontrer ses demi-sœurs et leur raconter l’histoire de leur mère.
Le récit s’articule autour de huit femmes – les quatre mères et leurs filles américaines. Chacune partage sa propre histoire : les mères évoquent leur enfance difficile en Chine, les mariages arrangés, les traditions oppressantes et leur fuite vers l’Amérique, tandis que les filles racontent leurs difficultés à concilier l’héritage culturel chinois avec leur identité américaine. Des tensions apparaissent entre ces générations qui ne se comprennent pas toujours, les mères craignant que leurs filles perdent leur « caractère chinois » tandis que les filles cherchent à s’émanciper des traditions qu’elles jugent dépassées.
Autour du livre
« Le Joy Luck Club », premier roman d’Amy Tan publié en 1989, puise largement dans sa propre expérience. Fille d’immigrants chinois installés en Californie, elle s’inspire notamment de la relation complexe qu’elle entretenait avec sa propre mère. La genèse du roman remonte à 1985, lorsque sa mère tombe gravement malade. Cette épreuve pousse Amy Tan à s’interroger sur ses racines chinoises qu’elle avait jusque-là négligées. Elle commence alors à recueillir les récits de sa mère sur sa vie en Chine, son premier mariage, les enfants qu’elle y avait laissés, et son immigration aux États-Unis. Ces histoires familiales constituent la matrice narrative du roman, initialement conçu comme un recueil de nouvelles avant d’être structuré selon le modèle d’une partie de mahjong avec quatre sections divisées en quatre chapitres.
La structure du livre reflète en effet les règles du mahjong, jeu traditionnel chinois autour duquel se réunissent les personnages. Les seize chapitres sont organisés en quatre parties, chacune précédée d’une parabole liée aux thèmes abordés. Cette architecture narrative permet à Amy Tan d’alterner habilement entre les récits des mères et ceux des filles, entre le présent américain et le passé chinois. L’organisation du roman s’inspire également du concept chinois de l’équilibre des forces, où les histoires des mères et des filles se répondent et se complètent, formant un tout harmonieux malgré les tensions apparentes.
« Le Joy Luck Club » s’inscrit dans un contexte historique marqué par les bouleversements sociopolitiques du XXe siècle en Chine et par l’expérience migratoire chinoise aux États-Unis. Les récits des mères évoquent la Chine pré-révolutionnaire, où la condition féminine était particulièrement difficile : mariages arrangés, concubinage, infanticide des filles, pression sociale écrasante. La Seconde Guerre mondiale et l’invasion japonaise constituent également une toile de fond essentielle, qui explique notamment pourquoi Suyuan abandonne ses jumelles. Le roman témoigne aussi des discriminations subies par les immigrants chinois aux États-Unis et de la complexité identitaire vécue par leurs enfants, tiraillés entre deux cultures.
La critique a réservé un accueil largement favorable au livre. Le Los Angeles Times, sous la plume de Carolyn See, affirme que « la seule chose négative qu’on puisse dire de ce livre est qu’on ne pourra plus jamais le lire pour la première fois. » Finaliste du National Book Award, « Le Joy Luck Club » figure rapidement sur la liste des best-sellers du New York Times pendant 77 semaines consécutives. Nancy Willard souligne « l’accomplissement de ce roman n’est pas sa capacité à montrer comment les mères et les filles se blessent, mais comment elles s’aiment et se pardonnent ultimement. » Certains critiques, comme Frank Chin, ont néanmoins reproché à Amy Tan de perpétuer des stéréotypes sur la culture chinoise et de la dépeindre comme arriérée et misogyne. Ces débats témoignent de la position délicate des écrivains issus de minorités, souvent considérés comme les porte-parole de leur communauté.
En 1993, « Le Joy Luck Club » est adapté au cinéma par Wayne Wang, avec un scénario co-écrit par Amy Tan elle-même et Ronald Bass. Le film, avec Ming-Na Wen, Lauren Tom, Tamlyn Tomita, France Nguyen et d’autres actrices asiatiques-américaines, connaît un succès critique et commercial significatif. Le roman a également été adapté en pièce de théâtre par Susan Kim, dont la première s’est tenue au Pan Asian Repertory Theatre de New York.
Aux éditions CHARLESTON ; 398 pages.
2. Belles de Shanghai (2013)
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Résumé
Shanghai, 1905. Violet Minturn, fille d’une Américaine nommée Lulu, grandit au « Chemin de Jade Secret », la maison de courtisanes la plus réputée de la ville que dirige sa mère. À sept ans, Violet se croit « parfaitement américaine par la race, les manières et le langage », jusqu’au jour où elle apprend avec stupeur que son père absent est chinois – révélation qui fracture son identité.
En 1912, alors que la dynastie Qing s’effondre et que le climat devient hostile aux étrangers, Lulu prépare leur retour à San Francisco. Mais un drame survient : un ancien amant trahit Lulu, kidnappe Violet et la vend comme « courtisane vierge » à une maison concurrente. Lulu, convaincue que sa fille est morte, part seule vers l’Amérique.
Âgée de quatorze ans, Violet doit s’adapter à sa nouvelle condition. Elle trouve une alliée en la personne de Citrouille Magique, une ancienne employée de sa mère, qui lui enseigne l’art de la séduction et les stratégies de survie dans ce monde impitoyable. Au fil des années, trois hommes marquent sa vie : Loyauté, son premier amant qui maintient un lien indéfectible avec elle ; Edward, un Américain qui lui donne une fille, Flora, avant de mourir prématurément ; et Perpétuel, qui l’entraîne dans un mariage désastreux.
Le destin frappe à nouveau quand la famille d’Edward lui arrache Flora. Dévastée mais résiliente, Violet poursuit sa quête d’identité et de liberté, tandis qu’à l’autre bout du monde, Lulu se remémore son propre parcours : comment, adolescente, elle a fui sa famille américaine pour suivre un peintre chinois qui l’a abandonnée.
Mère et fille, séparées par un océan et des mensonges, parviendront-elles à se retrouver et à renouer le fil brisé de leur histoire familiale ?
Autour du livre
L’écriture de « Belles de Shanghai » trouve son origine dans une découverte fortuite qu’Amy Tan fit au Musée d’Art Asiatique de San Francisco. Elle y tomba sur une photographie en noir et blanc de courtisanes shanghaiennes datant de 1910, intitulée « Les Dix Beautés de Shanghai ». Ce qui la frappa immédiatement fut la similitude troublante entre les tenues de ces femmes et celle que portait sa grand-mère sur sa photographie préférée. Elle apprit par la suite « qu’aucune femme autre que les courtisanes ne se rendait dans les studios photographiques occidentaux » à cette époque. Cette révélation suscita chez Tan une interrogation lancinante : sa grand-mère, alors âgée de vingt-et-un ans en 1910, aurait-elle pu être courtisane ? Sans pouvoir établir la vérité, elle s’est inspirée de cette possibilité pour construire son récit, imaginant ce qu’aurait pu être la vie de son aïeule dans ce milieu particulier. Projet ambitieux qui nécessita huit années d’écriture avant d’aboutir en 2013.
« Belles de Shanghai » nous offre ainsi une immersion dans le monde codifié des maisons de courtisanes du Shanghai du début du XXe siècle. Ces établissements n’étaient pas de simples lieux de prostitution mais des espaces sociaux sophistiqués où « les hommes riches et puissants se rencontraient pour conclure des affaires et discuter de projets, se détendre avec élégance, se divertir de leurs problèmes et de leurs craintes. » Les courtisanes de haut rang se distinguaient par leur éducation et leurs talents : « Elles se considéraient souvent comme des artistes accomplies plutôt que comme des prestataires de services sexuels. Elles tiraient fierté de vendre leurs voix plutôt que leurs corps. » Amy Tan dissèque les stratégies économiques et sociales de ces femmes dans un système patriarcal, sans jamais glorifier leur condition : elle montre comment « c’est un commerce construit sur la fourniture d’un havre de plaisir, d’une évasion onirique, d’un monde fantasmatique » qui repose simultanément sur « une exploitation dégradante des femmes, avec un vaste éventail de conséquences qui se terminent parfois tragiquement. »
Au cœur du récit se trouve la question de l’identité sino-américaine dans un contexte historique bouleversé. Violet incarne cette dualité déchirante : le « Violet » dans la culture asiatique symbolise l’ambiguïté et l’ambivalence par sa nature même – il est positionné entre le rouge et le bleu, peut être mélangé variablement d’une manière ou d’une autre, et est donc incertain, sans identité claire. Cette quête identitaire se superpose aux relations mère-fille complexes qui constituent la signature littéraire d’Amy Tan.
La critique a réservé un accueil contrasté aux « Belles de Shanghai ». Certains ont souligné sa dimension historique : « Tan nous fait revivre ce Shanghai des années 1920. On est transportés dans ces maisons de courtisane, on apprend de la même façon que Violet. » D’autres ont regretté des longueurs et des répétitions.
Aux éditions CHARLESTON ; 691 pages.