Albert Jacquard (1925-2013) est un chercheur, généticien et philosophe français reconnu pour ses travaux en génétique des populations et son engagement humaniste. Né à Lyon dans une famille catholique conservatrice, il survit à un grave accident de voiture dans son enfance qui le marque profondément.
Après des études à l’École polytechnique, il entame une carrière dans la haute fonction publique avant de se réorienter vers la recherche scientifique. À plus de 40 ans, il obtient un doctorat en génétique puis en biologie humaine. Il devient directeur de recherches à l’Institut national d’études démographiques (INED) et expert auprès de l’Organisation mondiale de la santé.
Outre ses travaux scientifiques, Albert Jacquard se distingue par ses nombreux engagements sociaux et politiques. Il milite notamment pour le droit au logement aux côtés de l’Abbé Pierre, soutient l’espéranto, s’oppose au nucléaire et défend la cause environnementale. Vulgarisateur talentueux, il publie de nombreux ouvrages scientifiques et philosophiques, et anime pendant neuf ans une chronique quotidienne sur France Culture.
Officier de la Légion d’honneur et docteur honoris causa de plusieurs universités, Albert Jacquard meurt à Paris le 11 septembre 2013 des suites d’une leucémie, laissant derrière lui l’héritage d’un scientifique humaniste engagé pour la justice sociale et la préservation de l’environnement.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Petite philosophie à l’usage des non-philosophes (1997)
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Fruit d’une série d’interventions auprès de lycéens, « Petite philosophie à l’usage des non-philosophes » naît de la rencontre entre Albert Jacquard, généticien de formation, et Huguette Planès, professeure de philosophie. L’ouvrage, paru en 1997, adopte la forme d’un abécédaire qui décline une trentaine de concepts, d’« Autrui » à « Zénon d’Élée ». Chaque entrée constitue un dialogue entre les deux intellectuels, où s’entremêlent réflexions scientifiques et questionnements philosophiques.
Les thèmes abordés touchent aussi bien aux interrogations éternelles – la conscience, la liberté, le bonheur – qu’aux enjeux contemporains comme la démographie ou la génétique. La structure alphabétique permet des associations surprenantes : le K de « Koweït » côtoie ainsi le L de « Liberté », tandis que la lettre T inspire trois développements distincts sur la Technique, la Théorie et le Travail. Le dialogue entre Jacquard et Planès permet d’éclairer ces notions sous différents angles, entre approche scientifique et réflexion philosophique.
Dans une époque marquée par l’effondrement des systèmes religieux et idéologiques traditionnels, cette « petite philosophie » s’impose comme un guide pratique pour penser le monde. L’approche de Jacquard conjugue rigueur scientifique et humanisme militant : ses réflexions sur l’éthique, la justice ou la démocratie dessinent les contours d’une société plus équitable.
L’ouvrage se distingue par son ambition pédagogique autant que par sa profondeur intellectuelle. Les citations d’auteurs qui précèdent certains chapitres, les notes explicatives et l’index témoignent d’un souci constant de clarté. L’appel de Jacquard à construire une « démocratie de l’éthique » prend aujourd’hui une résonance particulière, alors que les questions qu’il soulève – sur l’environnement, la justice sociale ou le progrès technique – sont devenues centrales dans le débat public.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 250 pages.
2. Éloge de la différence (1978)
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Publié en 1978, « Éloge de la différence » d’Albert Jacquard s’inscrit dans un contexte brûlant : aux États-Unis, certains intellectuels prônent une éducation différenciée entre Noirs et Blancs, s’appuyant sur de prétendues différences de quotient intellectuel. Face à ces théories eugénistes, le généticien français décide de mettre la science au service de la vérité.
Jacquard démonte méthodiquement les préjugés sur les « races humaines ». Il démontre que sur 100 différences entre deux personnes de « races » distinctes, seules 7 sont liées à cette prétendue race, 8 aux variations ethniques, et 85 relèvent de différences individuelles. La couleur de peau ? Elle ne dépend que de quelques gènes parmi des dizaines de milliers. Le QI ? Un simple outil créé pour prédire l’échec scolaire, dont la validité comme mesure de l’intelligence est plus que douteuse.
Page après page, les idées reçues tombent. Non, l’humanité ne « dégénère » pas depuis que la médecine sauve les plus faibles – même dans le pire des cas, comme celui de la phénylcétonurie, il faudrait attendre l’an 3500 pour voir une augmentation significative des cas. Non, le QI ne mesure pas une qualité innée : les enfants étrangers gagnent en moyenne dix points après quatre ans passés en France. Et surtout, non, les « races » n’existent pas biologiquement – la diversité génétique constitue au contraire notre plus grande force collective face aux défis de l’évolution.
Ce livre marque un tournant dans la vulgarisation de la génétique en France. Sa portée dépasse largement le cadre scientifique : il offre des arguments imparables contre le racisme et l’eugénisme, tout en célébrant notre diversité comme source de progrès. Quarante-cinq ans après sa publication, ses thèses n’ont pas pris une ride – les découvertes ultérieures n’ont fait que les confirmer. Les nombreuses rééditions témoignent de son impact durable, notamment auprès des étudiants et enseignants qui continuent d’y puiser des outils pour combattre les préjugés.
Aux éditions SEUIL ; 217 pages.
3. Mon utopie (2006)
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« Mon utopie » se présente comme une réflexion d’Albert Jacquard sur sa vision d’une société idéale. Le scientifique de formation commence par retracer son parcours, de ses années d’études jusqu’à sa carrière professionnelle. Cette première partie autobiographique permet de comprendre comment ses expériences ont façonné sa pensée et l’ont mené à s’interroger sur l’organisation sociale.
L’ouvrage bascule ensuite vers une analyse des droits fondamentaux, où Jacquard questionne notamment l’accès aux soins, à l’information et au logement. Il y défend une vision humaniste où ces droits deviendraient inaliénables. Il s’attaque aux dérives de notre système économique actuel, critiquant la logique productiviste et proposant une redéfinition du travail et du chômage. Sa réflexion culmine avec l’idée d’une « cité où tout serait école », un espace où l’apprentissage ne serait plus dicté par la compétition mais par l’épanouissement personnel.
La force de cet essai publié en 2006 réside dans son pragmatisme. Contrairement à d’autres utopies qui imaginent des mondes radicalement différents, Jacquard propose des changements accessibles, ancrés dans notre réalité. Ses propositions trouvent un écho particulier aujourd’hui, alors que les questions d’accès aux soins, de droit au logement et de réforme de l’éducation sont au cœur des débats sociétaux. Son activisme, notamment dans l’occupation d’immeubles vides pour revendiquer leur transformation en logements sociaux, témoigne d’une cohérence entre sa pensée et ses actes.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 192 pages.
4. L’équation du nénuphar (1998)
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« L’équation du nénuphar » retrace le parcours d’Albert Jacquard dans les salles de classe françaises, où le généticien de renom a multiplié les rencontres avec les élèves. D’abord sollicité pour parler de génétique et d’éthique scientifique, il s’est vite retrouvé confronté à des questionnements plus larges sur la société, l’éducation, l’avenir. Ces interventions se sont vite transformées en laboratoires de réflexion collective.
Le livre déroule une série de chapitres thématiques, de l’observation scientifique de l’apprentissage aux grands débats de société. Jacquard y propose des exercices concrets, dont la célèbre équation du nénuphar, pour illustrer sa vision d’une pédagogie active. Il s’attaque aux questions brûlantes comme les relations entre race et racisme, la notion d’intelligence, le monde du travail ou encore la place des sciences dans notre compréhension du monde.
Sa critique du système scolaire se fait percutante : il dénonce un modèle basé sur l’accumulation passive de connaissances et le bachotage. À la place, il dessine les contours d’une école où les élèves deviennent acteurs de leur apprentissage, où la capacité à questionner prime sur celle à répondre, où l’esprit critique l’emporte sur la mémorisation.
Publié en 1998, ce livre résonne encore aujourd’hui par son message humaniste et sa vision novatrice de l’éducation. Les témoignages d’enseignants et d’élèves qui ont croisé la route de Jacquard lors de ses interventions donnent à l’ouvrage une dimension concrète, vivante. Sa démarche, qui allie rigueur scientifique et engagement social, a marqué toute une génération d’éducateurs et continue d’influencer les réflexions sur la pédagogie moderne.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 184 pages.
5. À toi qui n’es pas encore né(e) (2000)
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En 1999, le généticien Albert Jacquard imagine une conversation avec l’un de ses arrière-petits-enfants qui ne naîtra que bien des années plus tard. Cette lettre, censée être découverte en 2025 lors du centième anniversaire de l’auteur, transcende les générations pour créer un pont entre deux siècles, entre un scientifique engagé et un adolescent qu’il ne connaîtra jamais.
Dans ce monologue épistolaire, Jacquard dresse un état des lieux du monde qu’il laisse en héritage. Il revient sur les événements majeurs du XXe siècle, questionne les progrès scientifiques et techniques, et s’interroge sur leurs conséquences pour l’humanité. Sa réflexion embrasse des sujets aussi variés que la peine de mort, les différences entre les sexes, le sport-business, ou les dérives de l’économie libérale.
Le texte oscille entre confession personnelle et manifeste politique. L’auteur n’hésite pas à revenir sur ses propres erreurs, comme son conformisme de jeunesse lors de ses études à Polytechnique, pour mieux souligner l’importance de la résistance aux injustices et de l’engagement citoyen. Il dénonce la compétition effrénée qui gangrène notre société et prône une vision basée sur l’entraide et la coopération.
Ce testament intellectuel, publié quatorze ans avant la disparition de Jacquard, pose des questions fondamentales sur notre avenir collectif. Les réflexions sur la consommation effrénée, l’éducation ou le rapport à la technique gardent une acuité remarquable. La forme choisie crée une intimité particulière : chaque lecteur devient cet arrière-petit-enfant imaginaire, héritier d’une pensée qui mêle lucidité critique et espoir en l’humanité.
Aux éditions CALMANN-LÉVY ; 200 pages.
