William Golding naît le 19 septembre 1911 à St Columb Minor, dans les Cornouailles. Fils d’un professeur de sciences, il grandit dans un environnement intellectuel stimulant. Sa mère, d’origine cornouaillaise et militante pour le droit de vote des femmes, lui transmet son héritage culturel à travers les vieilles légendes celtes qu’elle lui raconte.
Brillant étudiant, il entre à l’université d’Oxford en 1930. Après quelques hésitations entre les sciences naturelles et la littérature, il finit par choisir cette dernière et obtient son diplôme en 1934. La même année, il publie son premier recueil de poèmes, marquant ainsi ses débuts littéraires.
En 1939, sa vie prend un virage décisif. Il devient professeur d’anglais et de philosophie à Salisbury et épouse Ann Brookfield, une chimiste qui lui donnera deux enfants. Mais la Seconde Guerre mondiale bouleverse ses projets. En 1940, il s’engage dans la Royal Navy. Cette expérience le marque sensiblement : il participe au débarquement de 1944 et au naufrage du Bismarck. Ces années de guerre influenceront durablement ses écrits.
De retour à la vie civile en 1945, il reprend son poste d’enseignant à Salisbury. C’est durant cette période qu’il commence à écrire sérieusement. En 1954, après plusieurs refus, il publie « Sa Majesté des Mouches », son premier roman qui deviendra un classique de la littérature. Le succès lui permet de se consacrer entièrement à l’écriture à partir de 1962.
Les années suivantes voient naître une œuvre riche et variée, dans laquelle Golding sonde inlassablement la nature humaine et l’opposition entre barbarie et civilisation. Ses propres démons – l’alcoolisme, la dépression – nourrissent son écriture d’une profonde introspection. Son talent est reconnu par de nombreuses distinctions : le Prix Booker en 1980, le Prix Nobel de littérature en 1983, et l’anoblissement en 1988.
Dans les dernières années de sa vie, il s’installe avec sa femme en Cornouailles, bouclant ainsi la boucle de son existence. Il continue d’écrire jusqu’à sa mort, le 19 juin 1993, laissant derrière lui une œuvre magistrale qui interroge sans relâche la condition humaine. Son dernier roman, « The Double Tongue », sera publié à titre posthume en 1995, témoignage final d’une vie consacrée à la littérature.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Sa Majesté des Mouches (1954)
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Résumé
Dans un futur proche marqué par la guerre, un avion évacuant des écoliers britanniques s’écrase sur une île déserte du Pacifique. Les seuls survivants sont des garçons âgés de six à douze ans, issus de la haute société anglaise. Deux figures émergent rapidement : Ralph, un garçon de douze ans à l’allure de chef naturel, et Jack Merridew, le meneur charismatique d’un groupe de choristes. Ralph est élu chef et trouve un allié précieux en Piggy, un garçon asthmatique et myope dont l’intelligence compense la fragilité physique. Pour assurer leur survie et leur sauvetage, Ralph instaure des règles simples : maintenir un feu de signalisation permanent, construire des abris, organiser la vie quotidienne. Jack et ses choristes se chargent de la chasse aux cochons sauvages pour nourrir le groupe.
Mais la discipline se dégrade progressivement. Les plus jeunes, tourmentés par la peur d’une mystérieuse bête qui hanterait l’île, sombrent dans la paranoïa. Jack, frustré par son rôle secondaire et de plus en plus attiré par la violence de la chasse, défie ouvertement l’autorité de Ralph. Quand les chasseurs, absorbés par leur première chasse fructueuse, laissent s’éteindre le feu de signalisation au moment où passe un navire, la rupture est inévitable. Jack fait sécession avec ses fidèles en créant sa propre tribu. La tension monte dangereusement entre les deux camps, tandis que le groupe de Jack glisse inexorablement vers la sauvagerie…
Autour du livre
Le premier roman de William Golding naît d’une réaction viscérale à « L’île de corail » (1857) de Robert Michael Ballantyne, un roman d’aventures victorien dans lequel de jeunes naufragés britanniques maintiennent leur civilité. Golding, marqué par son expérience de la Seconde Guerre mondiale comme officier de la Royal Navy et par la menace de la guerre froide, décide d’écrire une version plus sombre, plus réaliste. L’histoire prend forme alors qu’il enseigne dans une école privée britannique, où il mène même des expériences en divisant ses élèves en groupes antagonistes.
Le manuscrit, initialement intitulé « Strangers from Within », essuie vingt et un refus avant d’être accepté par Faber & Faber. L’éditeur Charles Monteith travaille étroitement avec Golding pour remodeler certains passages, notamment en supprimant toute la première partie qui décrivait une évacuation liée à une guerre nucléaire. Le personnage de Simon est également retravaillé pour atténuer ses similitudes christiques.
« Sa Majesté des Mouches » déconstruit les mythes de l’innocence enfantine et de la supériorité morale britannique. Le titre original, « Lord of the Flies », traduction littérale de Belzébuth, évoque la nature démoniaque qui sommeille en chacun. L’île paradisiaque devient le théâtre d’une régression vers la barbarie, où la démocratie cède la place à la dictature, la raison à la superstition. Les objets acquièrent une dimension symbolique puissante : la conque représente l’ordre démocratique, les lunettes de Piggy la science et la raison, la tête de porc fichée sur un pieu la corruption de l’âme.
La réception initiale est mitigée. E. M. Forster salue toutefois « le roman remarquable de l’année ». En 1960, le critique Floyd C. Gale lui attribue cinq étoiles sur cinq, saluant « une image véritablement terrifiante de la décadence d’une société minuscule ». Le livre figure aujourd’hui dans de nombreux classements prestigieux : 41ème des 100 meilleurs romans selon la Modern Library, 70ème du sondage Big Read de la BBC, et parmi les 100 meilleurs romans en langue anglaise depuis 1923 selon Time Magazine.
« Sa Majesté des Mouches » connaît trois adaptations cinématographiques majeures : la version britannique de Peter Brook (1963), la version philippine « Alkitrang Dugo » (1975) et la version américaine de Harry Hook (1990). En 2023, la BBC annonce la première adaptation télévisée, confiée au scénariste Jack Thorne. Le roman est également adapté pour la scène, notamment par la Royal Shakespeare Company en 1995. En 2024, une adaptation en roman graphique par Aimée de Jongh paraît simultanément dans 35 pays.
Aux éditions FOLIO ; 245 pages.
2. Chris Martin (1956)
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Résumé
Durant la Seconde Guerre mondiale, Christopher « Pincher » Martin, lieutenant temporaire dans la Marine britannique, se retrouve projeté dans les eaux glacées de l’Atlantique Nord après que son destroyer a été torpillé. Luttant contre la noyade, il parvient à s’accrocher à la vie en gonflant son gilet de sauvetage et en retirant ses bottes de marin qui l’entraînent vers le fond. Les vagues le portent jusqu’à un îlot rocheux perdu au milieu de l’océan, un simple « pic d’une chaîne de montagnes, une dent plantée dans l’antique mâchoire d’un monde englouti ».
Sur ce rocher inhospitalier, Martin s’efforce de survivre en récoltant de l’eau de pluie et en se nourrissant de moules et d’anémones de mer. Mais à mesure que le temps passe, des événements étranges de plus en plus terrifiants surviennent. D’abord interprétés comme des hallucinations, ces phénomènes provoquent peu à peu chez Martin une profonde crise existentielle. Des souvenirs remontent à la surface, révélant un homme égoïste et manipulateur qui a passé sa vie à « dévorer » les autres. Autrefois acteur, il a notamment trahi son meilleur ami Nathaniel en tentant de séduire sa femme Mary. Sur son rocher, tandis que la folie le guette, Martin s’accroche désespérément à son identité, refusant de lâcher prise malgré l’hostilité des éléments qui semblent vouloir l’anéantir…
Autour du livre
« Chris Martin » est le troisième roman de William Golding, publié en 1956 après « Sa Majesté des Mouches » et « Les Héritiers ». Golding s’est inspiré de sa propre expérience dans la Royal Navy durant la Seconde Guerre mondiale pour construire son récit. Dans ses notes personnelles retrouvées dans un cahier d’exercices de l’école où il enseignait, il définit d’emblée le caractère profondément égoïste de son protagoniste : « Il est totalement égoïste. Prêt à tout risquer pour préserver sa vie. » Pour Golding, cette avidité constitue une fuite perpétuelle devant Dieu, un refus de la mort qui pousse Martin à rechercher le pouvoir sur les choses et les êtres, particulièrement les femmes.
L’intrigue minimaliste, centrée sur un homme seul luttant contre les éléments, sert de cadre à une réflexion métaphysique sur l’identité, la culpabilité et la rédemption. La structure narrative alterne entre le présent sur le rocher et les souvenirs qui affleurent, créant un effet de miroir entre la lutte physique pour la survie et le combat intérieur du personnage. Cette architecture trouve son expression dans un style qui mêle descriptions viscérales et passages plus abstraits où la conscience du protagoniste se désagrège progressivement.
Certains critiques ont salué l’audace formelle et la profondeur philosophique du roman, y voyant une allégorie du purgatoire catholique. D’autres ont jugé l’exercice trop artificiel, particulièrement concernant la fin qui bouleverse toute la lecture. Terry Eagleton, dans son essai « On Evil », souligne la façon dont Golding parvient à représenter « le noyau éternellement vigilant de la conscience enfouie quelque part dans le crâne de Martin […] son monstrueux ego incapable de réfléchir sur lui-même ». Pour le philosophe, ce centre obscur constitue « le seul sujet dans un monde sans objets », situation particulièrement insupportable pour un prédateur comme Martin habitué à faire des autres les objets de ses désirs.
Lors d’une conférence à l’université du Sussex, une auditrice demanda à Golding : « Combien de temps faut-il à Chris Martin pour mourir ? » L’auteur répondit : « L’éternité. » Elle insista : « Mais combien de temps en temps réel ? » Après une pause, il répéta : « L’éternité. » Cette réponse énigmatique illustre la dimension métaphysique que Golding a voulu donner à son roman, lequel dépasse le simple récit de survie pour questionner la nature même de l’existence et de la mort.
Aux éditions GALLIMARD ; 240 pages.
3. Rites de passage (Trilogie maritime #1, 1980)
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Résumé
En 1812, au crépuscule des guerres napoléoniennes, Edmund Talbot, jeune aristocrate britannique, s’embarque pour l’Australie sur un ancien navire de guerre reconverti. Son influent parrain lui a obtenu un poste dans l’administration coloniale et lui demande de tenir un journal de bord. À peine monté sur le navire, Talbot découvre une microsociété strictement hiérarchisée, reflet miniature de la société britannique.
Sa position privilégiée lui permet de côtoyer aussi bien les officiers que les autres passagers, dont le révérend Robert Colley, un ecclésiastique maladroit qui s’attire rapidement l’hostilité du capitaine Anderson. Ce dernier, farouchement opposé à la présence d’hommes d’église sur son navire, traite Colley avec un mépris à peine dissimulé.
La tension monte progressivement alors que le navire approche de l’équateur, où doit se dérouler la traditionnelle cérémonie du passage de la ligne. Le révérend Colley devient la cible de moqueries et d’humiliations de plus en plus marquées. Un soir, complètement ivre, il se retrouve mêlé à un incident mystérieux qui le pousse à s’enfermer dans sa cabine…
Autour du livre
William Golding rédige le premier jet de « Rites de passage » en un mois seulement, pendant une pause dans l’écriture d’un autre roman, « Parade sauvage ». Cette genèse fulgurante ne l’empêche pas de composer une œuvre d’une remarquable densité, qui remporte le Booker Prize en 1980. Son talent pour reconstituer le langage et les mentalités du début du XIXe siècle atteint des sommets presque surnaturels – Golding affirme avoir simplement transcrit des conversations qu’il entendait dans sa tête.
Le huis clos du navire permet à Golding de renouer avec les thématiques qui lui sont chères depuis « Sa Majesté des Mouches » : la nature humaine en vase clos, loin des conventions sociales habituelles. La structure narrative s’articule autour du journal de Talbot, complété par une lettre révélatrice du révérend Colley à sa sœur. Ce dispositif génère un effet saisissant : le lecteur, d’abord amusé par le portrait caricatural de Colley dressé par Talbot, découvre ensuite la sensibilité et l’humanité du personnage à travers ses propres mots.
Sam Jordison du Guardian souligne comment Golding parvient à transformer une apparente comédie sociale en une œuvre profondément dérangeante. Annie Proulx note que « Golding possédait une capacité imaginative exceptionnelle qui lui permettait d’explorer les recoins les plus troubles de l’humanité ». La romancière souligne également que « son immense culture nourrissait une oreille remarquable pour le langage ».
En 2005, la BBC adapte la trilogie dont « Rites de passage » constitue le premier volet dans une série télévisée intitulée « To The Ends of the Earth ». Benedict Cumberbatch y incarne Edmund Talbot. La production reçoit un accueil critique élogieux et décroche plusieurs nominations aux BAFTA. Cumberbatch remporte notamment le Golden Nymph du meilleur acteur dans une mini-série.
Aux éditions FOLIO ; 344 pages.