Walter Benjamin (1892-1940) est un philosophe, critique littéraire et traducteur allemand d’origine juive. Né à Berlin dans une famille bourgeoise, il étudie la philosophie et tente sans succès d’intégrer l’université allemande comme enseignant. Dans les années 1920, il se lie avec les intellectuels de l’École de Francfort et découvre le marxisme à travers sa rencontre avec Asja Lācis.
Traducteur reconnu de Baudelaire et Proust, il ne publie que deux livres de son vivant : « Le concept de critique esthétique dans le romantisme allemand » (1920) et « Sens unique » (1928). Son œuvre majeure, « Paris, capitale du XIXe siècle » (« Le Livre des passages »), reste inachevée.
En 1933, fuyant le nazisme, il s’exile à Paris où il poursuit ses travaux à la Bibliothèque nationale. Après l’invasion allemande en 1940, il tente de fuir vers l’Espagne via les Pyrénées. Arrivé à Portbou le 25 septembre 1940, face à la menace d’être renvoyé en France, il se suicide en absorbant une dose de morphine.
Son œuvre, redécouverte après sa mort, aborde des thèmes divers comme l’art à l’ère de la reproduction technique, la philosophie de l’histoire, la modernité urbaine. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des penseurs majeurs du XXe siècle, ayant influencé de nombreux domaines, de la théorie critique aux études culturelles.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (1936)
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Rédigé en 1935 durant son exil parisien, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » met en lumière les bouleversements qu’apportent les nouvelles technologies dans notre rapport à l’art. Walter Benjamin y développe une réflexion novatrice sur la transformation des œuvres quand elles deviennent reproductibles massivement. À travers quinze chapitres, il analyse comment la photographie et le cinéma modifient notre perception traditionnelle de l’art, jusqu’alors fondée sur l’unicité et la contemplation.
L’essai s’ouvre sur une observation : les œuvres d’art ont toujours été reproductibles, mais les techniques modernes changent radicalement la donne. De la lithographie à la photographie, en passant par le cinéma, ces innovations permettent une diffusion sans précédent. Benjamin montre que cette reproduction massive fait perdre aux œuvres leur « aura » – cette distance respectueuse qui caractérisait notre relation à l’art. Le cinéma incarne parfaitement cette révolution : il crée une nouvelle forme d’art intrinsèquement reproductible et collective.
Les implications politiques de cette transformation occupent une place centrale dans la démonstration. Benjamin s’oppose à la conception élitiste de l’art et voit dans ces nouvelles techniques un potentiel émancipateur. Mais il met aussi en garde contre leur possible détournement par les régimes totalitaires, notamment le fascisme qui instrumentalise l’art pour « esthétiser la politique ».
Cet essai marque un tournant décisif dans la théorie de l’art du XXe siècle. Sa publication initiale dans la revue Zeitschrift für Sozialforschung en 1936 fut complexe, le texte subissant de nombreuses modifications éditoriales que Benjamin désapprouva. La version définitive ne parut qu’en 1955, après sa mort. Son influence s’est révélée considérable : redécouvert dans les années 1960, le texte est devenu une référence des études sur les médias et la culture de masse. Sa pertinence n’a fait que croître avec l’avènement du numérique et la multiplication exponentielle des images.
Aux éditions FOLIO ; 176 pages.
2. Sur le concept d’histoire (1942)
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Rédigées au début de l’année 1940, les « Thèses sur le concept d’histoire » constituent le dernier texte de Walter Benjamin avant son suicide. Ces réflexions s’élaborent dans un contexte historique dramatique : l’invasion de l’Europe par l’Allemagne nazie s’intensifie et le pacte germano-soviétique de 1939 désoriente une partie de la gauche européenne. Benjamin, intellectuel juif allemand réfugié en France, se trouve alors dans une situation précaire après son internement dans un camp près de Nevers.
Le texte se compose de vingt courts fragments qui remettent en cause les conceptions traditionnelles de l’histoire. Benjamin y développe une critique radicale de l’idée de progrès et du positivisme historique. Il s’oppose notamment à la vision de l’histoire comme une marche continue vers le progrès, conception particulièrement répandue chez les sociaux-démocrates de son époque. Pour lui, l’histoire doit être écrite du point de vue des vaincus et non des vainqueurs.
Deux images puissantes structurent le texte. L’essai s’ouvre sur l’image saisissante d’un automate joueur d’échecs, métaphore du matérialisme historique guidé par la théologie. Plus loin, Benjamin analyse le tableau « Angelus Novus » de Paul Klee, qu’il interprète comme l’ange de l’histoire contemplant avec effroi l’amoncellement des ruines du passé, tandis que le vent du progrès l’emporte inexorablement vers l’avenir.
Ce texte testament n’était pas destiné à la publication. Benjamin en confie une copie à Hannah Arendt avant de fuir Paris. Après sa mort tragique à la frontière espagnole en septembre 1940, le manuscrit est publié pour la première fois en 1942 par l’Institut de Recherche sociale à Los Angeles. Les « Thèses » exercent depuis une influence considérable sur la pensée critique, de l’École de Francfort aux études postcoloniales. Elles inspirent également des œuvres artistiques, comme le film « Les Ailes du désir » de Wim Wenders ou la pièce « Angels in America » de Tony Kushner.
Aux éditions PAYOT ; 208 pages.
3. Paris, capitale du XIXe siècle (1982)
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« Paris, capitale du XIXe siècle », aussi connu sous le nom de « Livre des Passages », constitue l’œuvre majeure et inachevée du philosophe Walter Benjamin. Le projet débute en 1927 comme un court essai sur les passages couverts parisiens, ces galeries commerçantes bordées de magasins qui incarnent la modernité urbaine du XIXe siècle. L’ambition initiale était modeste : cinquante pages sur ces artères commerciales qui transforment le paysage de la capitale française.
Mais le projet prend rapidement de l’ampleur. Benjamin accumule pendant plus d’une décennie des milliers de notes, citations et réflexions sur la vie parisienne : la mode, la publicité, les expositions universelles, les panoramas, les grands magasins. À travers ces fragments, il dépeint l’émergence du capitalisme moderne et ses effets sur la société. La figure du flâneur, ce promeneur urbain qui observe la ville et ses habitants, occupe une place centrale dans cette analyse de la métropole en mutation.
L’ouvrage ne verra jamais le jour du vivant de Benjamin. En 1940, fuyant l’avancée nazie, il confie le manuscrit à son ami Georges Bataille qui le dissimule à la Bibliothèque nationale de France. Le texte ne sera publié qu’en 1982, rassemblant plus de mille pages organisées en trente-six chapitres thématiques.
Cette somme de plus de mille pages refuse délibérément la forme traditionnelle du traité philosophique. Les trente-six chapitres thématiques entremêlent citations, commentaires et réflexions dans une construction labyrinthique qui mime la complexité de la ville moderne. Cette approche novatrice, qui brise la linéarité du discours académique, préfigure les modes de lecture et de navigation numériques contemporains : certains y voient un précurseur de l’hypertexte et de la navigation web.
Aux éditions DU CERF ; 974 pages.
4. Critique de la violence (1921)
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En août 1921, Walter Benjamin publie « Pour une critique de la violence » dans les Archives des sciences sociales. L’essai s’attaque à une question fondamentale : comment juger de la légitimité de la violence exercée par l’État ? Benjamin commence par écarter l’opposition classique entre fins justes et moyens légitimes pour examiner la violence dans son rapport au droit. Il met en lumière deux types de violence légale : celle qui crée le droit et celle qui le préserve.
Benjamin déroule son argumentation à travers des exemples concrets. Le droit de grève illustre parfaitement l’ambiguïté de la violence légale : toléré par l’État en temps normal, il devient menace dès qu’il risque de modifier l’ordre établi. Le militarisme et la peine capitale servent également de cas d’étude pour montrer comment la violence d’État oscille entre fondation et conservation du droit.
La figure de la police occupe une place centrale dans l’analyse. Elle représente la fusion problématique des deux types de violence : elle applique la loi tout en créant ses propres règles. Cette confusion révèle la nature profonde du droit : un système qui maintient son pouvoir en alternant entre violence fondatrice et conservatrice.
Benjamin oppose à cette violence du droit ce qu’il appelle la « violence divine », concept qu’il développe à travers une relecture du mythe de Niobé. Contrairement à la violence mythique qui établit des frontières et impose des sanctions, la violence divine libère et efface la faute. Cette distinction théologique sert à Benjamin pour penser une force capable de briser le cycle de la violence juridique.
L’essai s’inscrit dans les débats politiques de l’Allemagne d’après-guerre, où la question de la légitimité de la violence révolutionnaire divisait les intellectuels. Les concepts développés par Benjamin ont marqué durablement la philosophie politique du XXe siècle. Sa distinction entre violence mythique et divine continue d’alimenter les réflexions sur le rapport entre droit et justice. Le texte pose des questions sur la nature du pouvoir étatique qui gardent toute leur pertinence face aux débats contemporains sur la violence politique.
Aux éditions PAYOT ; 160 pages.