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Sebastian Barry en 5 romans – Notre sélection

Né le 5 juillet 1955 à Dublin, Sebastian Barry est un écrivain irlandais majeur de sa génération. Fils de l’actrice Joan O’Hara, il fait ses études à la Catholic University School puis au Trinity College de Dublin, où il étudie l’anglais et le latin.

Son œuvre, profondément ancrée dans l’histoire irlandaise, s’inspire souvent d’histoires de sa propre famille. Les thèmes de la mémoire, des secrets familiaux et de la vérité telle qu’elle est interprétée par chacun traversent ses écrits. Ses textes se déroulent principalement dans l’Irlande des années 1910-1930, période charnière de l’indépendance.

Publiant depuis le début des années 1980, Barry s’illustre dans plusieurs genres : poésie, théâtre et roman. Il connaît son premier grand succès en 2005 avec « Un long long chemin », roman sur des soldats irlandais pendant la Première Guerre mondiale, qui est sélectionné pour le Man Booker Prize. Sa consécration vient en 2008 avec « Le testament caché », qui remporte le prix Costa et le prix James Tait Black. En 2016, il publie « Des jours sans fin », qui lui vaut un second prix Costa, faisant de lui le premier romancier à recevoir deux fois cette distinction.

Sebastian Barry est nommé Laureate for Irish Fiction pour la période 2018-2021. Son roman « Au bon vieux temps de Dieu » (2023) confirme sa place parmi les voix les plus importantes de la littérature irlandaise actuelle. Il vit dans le comté de Wicklow avec sa femme Alison Deegan, actrice et scénariste.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Des jours sans fin (2016)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Thomas McNulty quitte l’Irlande ravagée par la famine pour rejoindre l’Amérique au milieu du XIXe siècle. Dans le Missouri, cet adolescent de treize ans rencontre John Cole, qui devient son compagnon de route et son amour secret. Pour survivre, les deux garçons se travestissent et dansent dans un saloon jusqu’à ce que la puberté les empêche de maintenir l’illusion. Ils s’engagent alors dans l’armée et prennent part aux massacres des tribus indiennes dans les Grandes Plaines. Lors d’une attaque particulièrement meurtrière, ils sauvent et adoptent Winona, une jeune Sioux. Le couple rejoint ensuite les rangs de l’Union dans la guerre de Sécession, où ils affrontent l’enfer du camp d’Andersonville. Rescapés, ils tentent finalement de construire une vie paisible dans le Tennessee, mais le passé les rattrape quand l’oncle de Winona réclame son retour.

Autour du livre

« Des jours sans fin » s’inscrit dans une vaste saga familiale que Sebastian Barry développe depuis plusieurs décennies à travers ses romans. Cette fois-ci, l’auteur irlandais s’inspire de l’histoire de son arrière-grand-oncle, qui aurait participé aux guerres indiennes. Le roman est dédié à son fils Toby, dont le coming out en 2014 influence sensiblement l’écriture.

La narration à la première personne de Thomas McNulty se distingue par sa simplicité apparente qui masque une grande sophistication. Son langage reflète son manque d’éducation formelle mais révèle une sensibilité poétique face aux paysages américains et une lucidité désarmante devant l’horreur des conflits. Cette voix singulière permet à Barry d’aborder frontalement la brutalité de l’époque – massacres d’Indiens, guerre civile, conditions inhumaines des camps de prisonniers – tout en maintenant une profonde humanité.

Le roman reçoit le prestigieux Prix Costa en 2016, faisant de Sebastian Barry le premier auteur à obtenir deux fois cette récompense. La critique salue unanimement cette épopée intime qui parvient à créer des espaces de tendresse au cœur du chaos historique. Le Times Literary Supplement établit un parallèle avec « Underground Railroad » de Colson Whitehead, publié la même année, les deux œuvres évoquant une nation américaine en pleine formation à travers ses heures les plus sombres.

La particularité du roman réside dans sa capacité à entrelacer plusieurs thématiques majeures : l’émigration irlandaise, la colonisation de l’Ouest américain, l’identité de genre, la constitution d’une famille hors-norme. Barry revisite ainsi le genre du western en y insufflant une modernité surprenante, sans jamais tomber dans l’artifice ou l’anachronisme. Son approche des questions de genre et d’identité sexuelle s’avère particulièrement novatrice pour un récit situé au XIXe siècle.

Les personnages de John et Thomas forment un couple stable et aimant qui défie les conventions de leur époque, non par provocation mais par nécessité de survie et d’authenticité. Leur adoption de Winona ajoute une dimension supplémentaire à cette redéfinition des structures familiales traditionnelles. La suite, « Des milliers de lunes », prendra d’ailleurs pour narratrice cette jeune Sioux élevée par deux pères hors du commun.

Aux éditions FOLIO ; 304 pages.


2. Des milliers de lunes (2020)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

« Je suis Winona », déclare d’emblée la narratrice. Jeune Indienne Lakota dont la famille a été massacrée, elle a été recueillie par deux soldats de l’Union, Thomas McNulty et John Cole, qui l’élèvent comme leur fille dans une ferme du Tennessee. En 1870, alors que les plaies de la guerre de Sécession peinent à cicatriser, Winona travaille comme comptable chez un avocat et reçoit les avances de Jas Jonski, un commis d’épicerie. Un soir, elle est violée mais ne garde aucun souvenir de son agresseur. Peu après, Tennyson, un esclave affranchi qui vit sur la même ferme, est sauvagement battu. Dans un Tennessee où la loi ne protège ni les Noirs ni les Indiens, Winona décide de prendre les armes pour obtenir justice.

Autour du livre

Sebastian Barry poursuit avec « Des milliers de lunes » le cycle romanesque entamé avec « Des jours sans fin », son précédent roman couronné par le prestigieux prix Costa. Cette fois, il choisit de donner la parole à Winona, personnage secondaire du premier opus. Ce changement de narrateur permet d’éclairer sous un jour nouveau les thématiques qui lui sont chères : l’identité, la mémoire, les ravages de la violence, la force rédemptrice de l’amour.

Le Tennessee d’après-guerre qu’il dépeint est un territoire instable où les rancœurs persistent. Les anciens Confédérés, frustrés par leur défaite, s’organisent en groupes violents – prémices du Ku Klux Klan – pour terroriser les populations noires et indiennes. Dans ce contexte hostile, la ferme de Lige Magan apparaît comme un îlot de tolérance où cohabitent des êtres que tout devrait opposer : deux hommes qui s’aiment, une Indienne, des Noirs affranchis.

La quête identitaire de Winona constitue le cœur du récit. Arrachée à sa culture lakota dont elle ne garde que des bribes de souvenirs, rebaptisée d’un nom qui n’est pas le sien – Ojinjintka signifie « rose » dans sa langue natale – elle doit se construire dans une société qui nie son humanité. « Nous étions rien pour eux », constate-t-elle avec lucidité.

Le roman marque aussi une évolution significative dans le travail de Barry. Si « Des jours sans fin » adoptait les codes du western épique, « Des milliers de lunes » propose une narration plus intime, centrée sur les conséquences individuelles et collectives de la violence. L’écriture alterne entre passages lyriques empreints de spiritualité lakota – symbolisés par les phases de la lune qui scandent les chapitres – et descriptions brutales du racisme ordinaire.

Cette tension entre barbarie et humanité traverse tout le livre. Face aux lynchages et aux viols, Barry oppose la tendresse du foyer construit par Thomas et John, « leur amour était le premier commandement de mon monde ». Il interroge ainsi la possibilité de la rédemption dans une Amérique construite sur le génocide et l’esclavage, thématique qui résonne fortement avec notre époque.

Aux éditions FOLIO ; 304 pages.


3. Le testament caché (2008)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Roseanne McNulty, centenaire, réside depuis plus de cinquante ans à l’hôpital psychiatrique de Roscommon. À l’annonce de la démolition prochaine de l’établissement, le Dr Grene doit évaluer si sa plus ancienne patiente peut réintégrer la société. Tandis qu’il mène son enquête dans les archives, Roseanne entreprend secrètement la rédaction de ses mémoires, dissimulant ses feuillets sous une latte du plancher. Son récit remonte aux années 1920-1930 à Sligo, où jeune protestante d’une beauté remarquable, elle épouse un musicien catholique. Mais l’intervention malveillante du père Gaunt, ecclésiastique aux méthodes douteuses, précipite sa déchéance sociale. Accusée d’adultère puis internée après la disparition mystérieuse de son nouveau-né, Roseanne voit son destin basculer dans une Irlande déchirée par les conflits religieux et politiques.

Autour du livre

« Le testament caché » puise sa source dans l’histoire familiale de Sebastian Barry : celle d’une grande-tante dont on ne savait que peu de choses, si ce n’est sa beauté et son internement dans un asile par sa belle-famille. Cette inspiration autobiographique s’inscrit dans la continuité des œuvres précédentes de Barry, notamment « Les tribulations d’Eneas McNulty », dont le protagoniste s’avère être le beau-frère de Roseanne.

La construction en deux voix narratives entrelace les journaux intimes de Roseanne et du Dr Grene, un jeu de miroirs sur la nature même de la mémoire et de la vérité historique. À travers leurs écrits respectifs se dessine une réflexion sur la fiabilité des souvenirs : « Dans une large mesure, Roseanne et le Père Gaunt se sont tous deux montrés aussi sincères qu’il leur était possible, compte tenu des caprices et des ruses de l’esprit humain. »

Le roman dévoile sans concession la mainmise de l’Église catholique sur la société irlandaise du XXe siècle, particulièrement à travers le traitement réservé aux femmes. Le personnage du père Gaunt incarne cette autorité ecclésiastique toute-puissante, capable de détruire des vies au nom de la morale religieuse.

La réception critique s’est révélée particulièrement favorable. Le livre a remporté le prestigieux James Tait Black Memorial Prize et le Costa Book Award 2008, malgré les réserves du jury sur sa conclusion. Il a également été finaliste du Man Booker Prize, qui reviendra au « Tigre blanc » d’Aravind Adiga.

« Le testament caché » a été adapté par Jim Sheridan au cinéma en 2016, avec Vanessa Redgrave et Rooney Mara incarnant Roseanne à différents âges de sa vie. Le tournage s’est déroulé en partie à Inistioge, dans le comté de Kilkenny, avec Eric Bana et plusieurs acteurs irlandais de renom comme Jack Reynor et Aidan Turner. Le roman avait précédemment fait l’objet d’une adaptation radiophonique en mai 2008 sur BBC Radio 4, dans le cadre de l’émission « Book at Bedtime », avec Doreen Keogh et Alex Jennings dans les rôles principaux.

Aux éditions FOLIO ; 416 pages.


4. Au bon vieux temps de Dieu (2023)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Irlande, années 1990. Tom Kettle, 66 ans, policier fraîchement retraité, s’installe dans l’annexe d’un château victorien à Dalkey, station balnéaire proche de Dublin. Sa solitude est interrompue par la visite de deux enquêteurs qui rouvrent une affaire classée concernant le meurtre d’un prêtre pédophile. Cette enquête fait ressurgir les traumatismes enfouis de Tom : son enfance maltraitée dans un orphelinat catholique et celle de sa défunte épouse June, violée pendant des années par le père Matthews. À travers les souvenirs fragmentés de Tom, qui oscille entre réalité et hallucinations, se dessine le portrait d’un homme brisé par la perte successive de sa femme et de ses deux enfants. Le passé rattrape inexorablement Tom lorsque les soupçons des enquêteurs se portent sur lui, l’ayant aperçu sur les lieux du crime.

Autour du livre

Longlisté pour le Booker Prize 2023, « Au bon vieux temps de Dieu » est le onzième roman de Sebastian Barry. Cette œuvre singulière se démarque de ses précédents romans, notamment « Des jours sans fin » et « Le testament caché », par son traitement innovant de la narration. Le récit navigue constamment entre le présent et les réminiscences du protagoniste, créant une tension narrative qui maintient le lecteur en haleine jusqu’au dénouement dramatique.

Le titre fait écho à cette époque où l’Église catholique irlandaise exerçait un pouvoir absolu, période durant laquelle les abus commis sur des milliers d’enfants restaient impunis. Barry aborde ce sujet brûlant à travers le prisme de la mémoire traumatique, évitant l’écueil du sensationnalisme pour privilégier une approche tout en retenue.

La narration s’articule autour d’un dispositif complexe où le réel et l’imaginaire s’entremêlent. Tom Kettle incarne un narrateur peu fiable, dont les souvenirs se déforment et se reconstituent au fil des pages. Cette technique narrative souligne magistralement les séquelles psychologiques des traumatismes subis dans l’enfance.

La dimension gothique du cadre – le château victorien surplombant la mer d’Irlande – fait écho aux tourments intérieurs du protagoniste. Les descriptions des paysages maritimes, tantôt apaisants, tantôt tempétueux, reflètent les états d’âme changeants de Tom.

Sebastian Barry déploie ainsi une réflexion sur la résilience et la transmission transgénérationnelle des traumatismes. Les fantômes qui habitent l’esprit de Tom ne sont pas que métaphoriques : ils symbolisent la persistance des blessures et l’impossibilité d’échapper à son passé. La critique sociale se fait mordante, dénonçant l’omerta qui a longtemps prévalu autour des crimes commis par le clergé. Barry met en lumière la complicité des institutions – police, église, société – dans l’étouffement systématique des scandales.

« Au bon vieux temps de Dieu » s’inscrit dans la lignée des œuvres qui ont révélé au grand jour les abus perpétrés dans les institutions religieuses irlandaises, mais se distingue par son approche littéraire novatrice. La narration, qui épouse les méandres de la conscience de Tom, transforme ce qui aurait pu être un simple polar en une méditation poignante sur la mémoire et la culpabilité.

Aux éditions JOËLLE LOSFELD ; 256 pages.


5. Du côté de Canaan (2011)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

À quatre-vingt-neuf ans, Lilly Bere vient de perdre son petit-fils Bill, revenu brisé de la guerre du Golfe. Dans sa cuisine de Hamptons, assise devant sa table en formica rouge, elle décide d’écrire son histoire avant de mettre fin à ses jours. Son récit remonte aux années 1920, quand elle a dû fuir l’Irlande avec son fiancé Tadg Bere, un policier traqué par l’IRA. Réfugiés à Chicago, ils pensent avoir trouvé la paix jusqu’à ce que Tadg soit assassiné. Lilly s’enfuit alors à Cleveland où elle devient employée de maison. Elle y rencontre Joe Kinderman qui disparaît mystérieusement alors qu’elle est enceinte. Son fils Ed partira au Vietnam dont il reviendra dévasté. Sur dix-sept jours, la vieille dame retrace une existence où chaque guerre – d’Irlande, mondiale, du Vietnam, du Golfe – lui a arraché un être cher.

Autour du livre

« Du côté de Canaan » s’inscrit dans un cycle romanesque que Sebastian Barry consacre à la famille Dunne, après « Annie Dunne » (2002) et « Un long long chemin » (2005). Lilly est la sœur de Willie Dunne, héros mort en Picardie dans le précédent opus, et la fille de Thomas Dunne, protagoniste de la pièce de théâtre « The Steward of Christendom » (1995).

Barry y conjugue avec tact la petite et la grande Histoire, faisant de Lilly un témoin des bouleversements du XXe siècle. Les conflits qui jalonnent son existence – guerre d’indépendance irlandaise, Première Guerre mondiale, Vietnam, Guerre du Golfe – dessinent une réflexion sur la violence politique et ses répercussions intimes. Le texte aborde aussi la ségrégation raciale à travers le personnage de Cassie, amie noire de Lilly, et interroge le mythe de l’Amérique comme terre promise. Les révélations s’égrènent avec parcimonie dans une narration qui alterne présent et passé sur dix-sept chapitres, chacun correspondant à un jour.

Salué par la critique, « Du côté de Canaan » a été sélectionné pour le Man Booker Prize 2011 et a remporté le Walter Scott Prize en 2012. Les critiques ont particulièrement loué la manière dont Barry parvient à habiter la voix d’une femme âgée, donnant à son récit une tonalité à la fois mélancolique et lumineuse. Sans jamais tomber dans le pathos, il dépeint une héroïne qui traverse les tragédies avec une dignité remarquable.

Aux éditions FOLIO ; 336 pages.

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