Née le 19 novembre 1967 à Detroit (Michigan), Ruta Sepetys est une écrivaine américano-lituanienne. Elle est la fille d’un réfugié lituanien et d’une Américaine. Après des études en finances internationales au Hillsdale College et un séjour d’un an à Paris, elle se lance dans l’industrie musicale à Los Angeles où elle travaille pendant plus de vingt ans. Elle y fonde sa propre société de management d’artistes, Sepetys Entertainment Group.
En 2003, elle décide de se consacrer à l’écriture. Son premier roman, « Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre » (2011), s’inspire de l’histoire de sa famille et traite de la déportation des Lituaniens vers la Sibérie. Le succès est immédiat. Ses œuvres suivantes, notamment « Big Easy » (2013), « Le sel de nos larmes » (2016), « Hôtel Castellana » (2019) et « Si je dois te trahir » (2022), confirment son talent pour évoquer les « chapitres cachés de l’histoire ».
Ruta Sepetys est aujourd’hui une autrice internationalement reconnue. Ses livres sont traduits dans plus de 40 langues et publiés dans plus de 60 pays. Elle est la première autrice américaine de littérature jeunesse à s’être exprimée devant le Parlement européen. Elle vit actuellement à Nashville, Tennessee, où elle continue d’écrire des romans historiques qui donnent une voix à ceux qui n’ont pas pu raconter leur histoire.
Voici notre sélection de ses romans jeunesse.
1. Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre (2011)
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Résumé
En juin 1941, Lina Vilkas, jeune Lituanienne de quinze ans passionnée de dessin, voit sa vie basculer lorsque la police secrète soviétique fait irruption chez elle. Avec sa mère Elena et son frère Jonas, elle est déportée vers la Sibérie dans des wagons à bestiaux, séparée de son père emprisonné ailleurs. Après six semaines de voyage dans des conditions atroces, ils arrivent dans un camp de travail de l’Altaï où ils doivent lutter contre la faim, le froid et la cruauté des gardiens du NKVD. Lina tombe amoureuse d’Andrius, un autre déporté, mais leur groupe est bientôt transféré dans un nouveau camp encore plus hostile au nord du cercle polaire arctique. Face à la maladie qui décime les prisonniers, dont sa propre mère, Lina s’accroche à son art et à l’espoir de retrouver son père, tout en documentant secrètement l’horreur de leur calvaire.
Autour du livre
Ce premier roman de Ruta Sepetys lève le voile sur un chapitre méconnu de la Seconde Guerre mondiale : la déportation massive des populations baltes sous Staline. Plus d’un tiers des habitants de Lituanie, Lettonie et Estonie ont péri dans cette tentative d’éradication des élites intellectuelles et culturelles. Vingt millions de victimes au total sous le règne de terreur stalinien, un génocide longtemps tu par crainte des représailles.
L’autrice, elle-même d’origine lituanienne, s’est nourrie de l’histoire de sa propre famille – son père ayant échappé de justesse à la déportation – et de nombreux témoignages recueillis lors de deux voyages dans son pays natal. Elle a interrogé survivants, historiens et psychologues pour reconstituer avec justesse cette page sombre de l’Histoire.
Les survivants n’ont pu regagner leur pays qu’après plus de dix ans de captivité, pour découvrir leurs maisons occupées et leurs biens confisqués par les Soviétiques. Surveillés étroitement par le KGB, ils ont dû garder le silence sur leur calvaire jusqu’à l’indépendance des pays baltes en 1991, sous peine d’emprisonnement ou d’une nouvelle déportation.
« Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre » a reçu de nombreuses distinctions internationales, dont la médaille Carnegie, et a été traduit dans plus de 27 langues. Il a été adapté au cinéma sous le titre « Ashes in the Snow ». Le succès critique unanime salue notamment la capacité du livre à aborder l’horreur avec pudeur tout en préservant une lueur d’espoir à travers les thèmes de l’amour, de l’art et de la résilience.
La force du récit réside dans l’alternance entre les scènes de déportation et les souvenirs lumineux de Lina, créant un contraste saisissant entre deux mondes. Les références à Munch, dont Lina admire l’œuvre, font écho à son propre cri silencieux face à l’inhumanité. Ses dessins clandestins constituent un précieux témoignage historique, à l’image des documents que les survivants ont dû enterrer pour préserver la mémoire de cette tragédie.
« Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre » marque les esprits par sa capacité à montrer comment, dans les situations les plus extrêmes, l’humanité peut à la fois révéler sa face la plus sombre et sa grandeur la plus noble. Elena, la mère de Lina, incarne cette dignité inaltérable, choisissant jusqu’au bout la générosité plutôt que la haine, tandis que certains gardiens comme Kretzky laissent entrevoir des fragments d’humanité dans un système déshumanisant.
Aux éditions GALLIMARD JEUNESSE ; 432 pages ; Dès 14 ans.
2. Le sel de nos larmes (2016)
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Résumé
Hiver 1945. La défaite de l’Allemagne nazie se profile et des milliers de réfugiés fuient l’avancée de l’Armée rouge en Prusse orientale. Parmi eux, quatre jeunes gens que le destin va réunir : Joana, une infirmière lituanienne hantée par la culpabilité ; Florian, un restaurateur d’art prussien porteur d’un lourd secret ; Emilia, une adolescente polonaise de quinze ans traumatisée ; et Alfred, un marin allemand endoctriné par l’idéologie nazie. Les trois premiers se rencontrent sur les routes glacées de l’exode et finissent par rejoindre le port de Gotenhafen, où ils parviennent à embarquer sur le Wilhelm Gustloff grâce à Alfred. Ce navire surpeuplé représente leur unique espoir d’échapper aux Soviétiques. Mais alors que la liberté semble à portée de main, trois torpilles russes frappent le bateau, précipitant des milliers de réfugiés dans les eaux glacées de la Baltique.
Autour du livre
Cette fresque historique de Ruta Sepetys met en lumière une tragédie maritime largement méconnue qui a fait près de 9000 victimes, soit six fois plus que le naufrage du Titanic. À travers une narration chorale alternant les points de vue des quatre protagonistes dans des chapitres très courts, l’histoire révèle progressivement les secrets et les traumatismes de chacun tandis qu’ils luttent pour leur survie.
La genèse du livre trouve sa source dans l’histoire familiale de la romancière : la cousine de son père devait embarquer sur le Wilhelm Gustloff mais n’a finalement pas pu monter à bord. Pour reconstituer cet épisode oublié, Sepetys a mené un minutieux travail de recherche, multipliant les entretiens avec les survivants et les familles des victimes. Elle s’est également rendue dans les pays concernés pour retracer l’itinéraire des réfugiés.
Le récit transcende la simple reconstitution historique pour aborder des thèmes universels comme la résilience face à l’adversité, le pouvoir de l’entraide, le poids des secrets. Les personnages secondaires – le vieux cordonnier philosophe surnommé « le poète de la chaussure », la jeune aveugle Ingrid, ou encore Klaus « le petit garçon perdu » – apportent une profondeur supplémentaire à cette mosaïque humaine.
Couronné par la Carnegie Medal en 2017, « Le sel de nos larmes » a reçu un accueil critique dithyrambique. Le Wall Street Journal l’a qualifié de « magistralement élaboré », tandis que le New York Times saluait la capacité de l’autrice à « se faire la porte-parole des peuples interstitiels si souvent ignorés – des populations entières perdues dans les fissures de l’Histoire. » Comme l’écrit Sepetys dans sa note : « L’Histoire nous divise, mais à travers la lecture, l’étude et le souvenir, elle peut aussi nous unir. »
Un projet d’adaptation cinématographique est en développement chez Universal Pictures, avec Scott Neustadter et Michael H. Weber chargés du scénario.
Aux éditions GALLIMARD JEUNESSE ; 496 pages ; Dès 13 ans.
3. Hôtel Castellana (2019)
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Résumé
Madrid, 1957. Sous la dictature de Franco, Daniel Matheson, jeune Texan de 18 ans passionné de photographie, accompagne ses parents dans la capitale espagnole où son père, magnat du pétrole, doit conclure d’importants contrats. À l’hôtel Castellana, refuge doré des Américains fortunés, il rencontre Ana Torres, femme de chambre issue d’une famille républicaine persécutée. À travers son objectif et sa relation naissante avec Ana, Daniel découvre la réalité brutale d’un pays muselé par la peur : censure, pauvreté, répression. Ses clichés révèlent peu à peu un terrible secret d’État – le vol systématique de milliers de bébés à leurs parents républicains pour les confier à des familles franquistes. Vingt ans plus tard, après la mort de Franco, Daniel retourne à Madrid. L’heure est venue pour l’Espagne de briser enfin le silence et d’affronter les fantômes de son passé.
Autour du livre
« Hôtel Castellana » s’appuie sur huit années de recherches minutieuses menées par Ruta Sepetys. La romancière a multiplié les séjours à Madrid, consulté d’innombrables archives et recueilli les témoignages de survivants de l’époque franquiste. Cette exigence documentaire transparaît dans la précision des décors, la justesse des dialogues et l’authenticité des situations décrites.
Le choix de l’hôtel Castellana comme épicentre du récit n’est pas anodin : premier établissement international autorisé par Franco, cet hôtel symbolise l’ouverture prudente du régime aux investisseurs étrangers, principalement américains. Ce microcosme luxueux contraste violemment avec la misère qui règne dans les quartiers populaires madrilènes.
L’appareil photo de Daniel sert de fil conducteur narratif, questionnant le rôle du témoin face à l’Histoire. Ses clichés interrogent la légitimité du regard étranger sur une tragédie nationale et la responsabilité morale de ceux qui savent mais se taisent. Les diplomates américains présents dans le roman illustrent ce dilemme : conscients des exactions du régime, ils privilégient les intérêts commerciaux de leur pays.
La structure du récit, rythmée par des chapitres courts, alterne les points de vue et intègre des documents d’archives – coupures de presse, témoignages officiels – qui ancrent la fiction dans la réalité historique. Cette construction chorale permet d’embrasser toute la complexité de la société espagnole sous Franco : bourgeois complices, religieuses compromises, républicains terrorisés, jeunesse tiraillée entre soumission et révolte.
Le scandale des bébés volés, pivot de l’intrigue, n’a été révélé au grand public que dans les années 2010. Cette politique d’État, mêlant épuration idéologique et trafic d’enfants, a perduré jusqu’aux années 1980. Les chiffres sont vertigineux : 300 000 nourrissons ont été déclarés morts-nés pour être vendus à des familles franquistes, avec la complicité du corps médical et de l’Église catholique.
Aux éditions FOLIO ; 640 pages ; Dès 13 ans.
4. Si je dois te trahir (2022)
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Résumé
Bucarest, 1989. Dans une Roumanie étouffée par la dictature de Ceaușescu, Cristian Florescu, lycéen de dix-sept ans qui rêve de devenir écrivain, survit avec sa famille dans un minuscule appartement. Un jour, la Securitate, la redoutable police secrète, le fait chanter : en échange de médicaments pour son grand-père malade, il doit espionner la famille d’un diplomate américain chez qui sa mère fait le ménage. Le jeune homme se retrouve alors tiraillé entre sa conscience et la nécessité de protéger les siens. Tandis que les régimes communistes s’effondrent dans les pays voisins, Cristian décide d’utiliser sa position d’informateur pour lutter contre le régime et révéler au monde la situation dramatique de son pays. Il rejoint le mouvement révolutionnaire qui secoue la Roumanie en décembre 1989, au péril de sa vie.
Autour du livre
« Si je dois te trahir » s’inscrit dans la lignée des romans historiques de Ruta Sepetys qui mettent en lumière des périodes sombres méconnues de l’histoire européenne. À travers une minutieuse reconstitution du quotidien sous la dictature de Ceaușescu, l’écrivaine dépeint l’oppression systématique d’une population terrorisée par la Securitate et son réseau tentaculaire d’informateurs. « Ils vivaient dans le noir. N’étaient plus que des ombres », note-t-elle dès les premières pages.
Sepetys s’appuie sur un travail documentaire considérable : témoignages de survivants, archives, photographies d’époque incluses en fin d’ouvrage. Cette rigueur historique transparaît dans la description précise des conditions de vie – files d’attente interminables pour obtenir de maigres rations, appartements glacials, surveillance permanente – mais aussi dans l’évocation de la paranoïa généralisée qui gangrène jusqu’aux relations familiales.
Les chapitres courts, numérotés en roumain, créent une tension croissante qui culmine lors des événements de décembre 1989. La structure narrative alterne le point de vue de Cristian avec les rapports glaçants de la Securitate, renforçant l’atmosphère oppressante du récit. Cette construction en miroir souligne l’ambiguïté morale dans laquelle évoluent les personnages, contraints de trahir pour survivre.
L’histoire de Cristian s’inscrit dans une réflexion plus large sur la résistance et le prix de la liberté. Son engagement progressif dans la révolution, nourri par les discussions avec son grand-père dissident, illustre le pouvoir transformateur de l’écriture et de la mémoire face à l’oppression. Comme le rappelle la citation d’Ana Blandiana placée en exergue : « Quand la justice ne parvient pas à être une forme de mémoire, la mémoire peut être une forme de justice. »
Publié initialement chez Gallimard Jeunesse, « Si je dois te trahir » a reçu plusieurs critiques élogieuses, notamment du New York Times qui souligne sa capacité à faire ressentir au lecteur les effets déstabilisants de la surveillance permanente.
Aux éditions FOLIO ; 416 pages ; Dès 13 ans.
5. Big Easy (2013)
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Résumé
Nouvelle-Orléans, années 1950. Josie Moraine, dix-sept ans, travaille dans une librairie et fait le ménage dans la maison close où sa mère se prostitue. Intelligente et passionnée de littérature, elle rêve d’intégrer Smith College, une prestigieuse université du Massachusetts, pour échapper à son milieu. Sa rencontre avec un mystérieux client de la librairie, retrouvé mort le lendemain, bouleverse ses plans. Sa mère, impliquée dans ce meurtre, s’enfuit avec son amant mafieux en laissant derrière elle une dette considérable. Entourée de personnages hauts en couleurs comme Willie la tenancière au cœur d’or, Patrick le fils du libraire et Jesse le séduisant mécanicien, Josie devra lutter contre les préjugés sociaux et la tentation de l’argent facile pour réaliser son rêve d’une vie meilleure loin du Quartier français.
Autour du livre
« Big Easy » émane de la découverte par Sepetys d’une biographie intitulée « The Last Madam: A Life in the New Orleans Underworld ». Elle s’est également inspirée d’une paire de jumelles d’opéra vintage portant un nom gravé, qui lui a permis de remonter jusqu’à leur propriétaire d’origine. Ses recherches l’ont conduite à s’intéresser aux « touristes qui connurent une fin prématurée » dans la Nouvelle-Orléans d’après-guerre, élément qu’elle a intégré à l’intrigue.
Le roman se distingue par sa galerie de personnages nuancés qui transcendent les clichés habituels. Les prostituées ne correspondent pas aux représentations conventionnelles : la plupart se révèlent attachantes et bienveillantes. Willie, la tenancière bourrue, dissimule une profonde tendresse pour Josie. Sepetys y aborde avec tact des thématiques sensibles comme l’homosexualité, la différence et la ségrégation raciale, à travers notamment le personnage de Cokie, chauffeur métis.
Par-delà le récit initiatique, « Big Easy » interroge la possibilité de s’affranchir de ses origines et de son milieu social. À travers le parcours de Josie, Sepetys démontre que la famille ne se limite pas aux liens du sang mais englobe ceux qui nous soutiennent et nous permettent d’avancer. Elle souligne avec force que, malgré les obstacles, chacun reste maître de son destin.
Les critiques saluent unanimement la reconstitution minutieuse de l’atmosphère du Vieux Carré, entre chaleur moite, jazz et carnaval. The Boston Globe loue « une écriture qui transporte le lecteur, recréant parfaitement le passé grâce à une superbe imagination ». Pour Entertainment Weekly, il s’agit d’un « aperçu saisissant de la vie d’une adolescente dans la Nouvelle-Orléans des années 1950 ». « Big Easy » a reçu de nombreuses distinctions, notamment une nomination pour la Carnegie Medal. Il figure également parmi les meilleurs livres pour enfants 2014 du Children’s Book Committee de la Bank Street College of Education. Devenu best-seller du New York Times, il a été sélectionné comme Editor’s Choice par ce même journal en février 2013.
Aux éditions GALLIMARD JEUNESSE ; 464 pages ; Dès 13 ans.