Lydie Salvayre, née Lydie Arjona le 15 mars 1946 à Autainville (Loir-et-Cher), est une écrivaine française de renom. Fille de républicains espagnols exilés après la guerre civile espagnole – son père est andalou et sa mère est catalane – elle grandit à Auterive, près de Toulouse, dans une communauté de réfugiés espagnols. Le français, qu’elle découvre à travers la littérature, n’est pas sa langue maternelle.
Après des études de Lettres à l’université de Toulouse, elle se tourne vers la médecine en 1969 et se spécialise en psychiatrie à Marseille. Elle exerce d’abord à la clinique de Bouc-Bel-Air avant de s’installer à Paris en 1983 comme pédopsychiatre.
Sa carrière littéraire débute à la fin des années 1970, avec des publications dans des revues littéraires d’Aix-en-Provence et de Marseille. Son premier roman, « La Déclaration », paraît en 1990. Elle connaît plusieurs succès, notamment avec « La compagnie des spectres » (1997), qui reçoit le prix Novembre et est élu « Meilleur livre de l’année » par la revue Lire. Sa consécration arrive en 2014 avec « Pas pleurer », roman inspiré par l’histoire de sa mère et nourri par sa lecture de Georges Bernanos, qui lui vaut le prix Goncourt.
Elle partage sa vie avec l’éditeur et écrivain Bernard Wallet, fondateur des éditions Verticales, entre Paris et le village du Pin, dans le Gard.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Pas pleurer (roman, 2014)
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Dans l’Espagne de 1936, Montse, une jeune paysanne de 15 ans, quitte son village avec son frère Josep pour rejoindre Barcelone en pleine effervescence révolutionnaire. Elle découvre alors une liberté nouvelle et vit une brève histoire d’amour avec un militant français des Brigades internationales. De retour dans son village, enceinte, elle doit épouser Diego, le fils adoptif d’une famille bourgeoise.
Soixante-dix ans plus tard, atteinte de troubles de la mémoire, Montse raconte à sa fille Lydie ces quelques mois qui ont bouleversé sa vie. L’été 1936 reste le seul souvenir intact dans son esprit : l’euphorie des débuts de la révolution libertaire, l’espoir d’un monde nouveau, puis la violence qui s’installe entre nationalistes, communistes et anarchistes.
Le récit de Montse s’entrelace avec celui de l’écrivain Georges Bernanos qui, témoin des exactions franquistes à Majorque, dénonce dans « Les Grands Cimetières sous la lune » la complicité de l’Église catholique avec les nationalistes.
Prix Goncourt 2014, ce roman autobiographique se distingue par sa langue singulière : le « fragnol », savoureux mélange de français et d’espagnol parlé par Montse. Le texte alterne entre légèreté et gravité, entre la joie solaire d’une adolescente découvrant la vie et l’horreur d’une guerre fratricide. Adapté au théâtre à Bruxelles en 2017 puis à Barcelone en 2019, « Pas pleurer » perpétue la mémoire de cette période trouble de l’histoire espagnole.
Aux éditions POINTS ; 240 pages.
2. La compagnie des spectres (roman, 1997)
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En 1997, dans un appartement délabré de Créteil, une mère et sa fille reçoivent la visite d’un huissier venu dresser l’inventaire de leurs maigres possessions. Face à cet intrus silencieux et méthodique, la mère, Rose Mélie, se déchaîne. Elle le prend pour un envoyé de Joseph Darnand, chef de la Milice française sous l’Occupation. Sa fille Louisiane, 18 ans, tente désespérément de calmer le jeu.
Car depuis la mort de son frère, torturé par deux miliciens en 1943, Rose vit prisonnière du passé. Dans son délire, elle invective sans relâche le « Maréchal Putain » et ressasse les heures sombres de Vichy. Entre deux diatribes, elle cite abondamment les philosophes antiques, seuls auteurs qu’elle considère dignes de foi depuis la guerre. Louisiane, partagée entre exaspération et tendresse, s’efforce d’expliquer à l’huissier impassible les obsessions maternelles.
Ce huis clos étouffant, qui respecte l’unité de temps, de lieu et d’action, a naturellement trouvé sa place sur les planches. Quatre adaptations théâtrales ont vu le jour entre 2002 et 2011, dont une mise en scène remarquée de Zabou Breitman au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers. Couronné par le Prix Novembre 1997, ce texte incisif sur la transmission des traumatismes a contribué à imposer Lydie Salvayre comme une voix majeure de la littérature française contemporaine.
Aux éditions POINTS ; 192 pages.
3. La puissance des mouches (roman, 1995)
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Dans une prison française, un meurtrier livre ses confessions à différents interlocuteurs : le juge qui l’interroge, le psychiatre qui l’analyse, l’infirmier qui le soigne et l’avocat qui le défend. Jadis guide à l’abbaye de Port-Royal-des-Champs, cet homme cultive une relation obsessionnelle avec l’œuvre de Blaise Pascal, qu’il cite compulsivement. Son discours laisse transparaître les blessures d’une enfance marquée par un père tyrannique et une mère soumise.
Le récit dévoile la descente aux enfers d’un être rongé par la haine. Dans son couple, il rejoue la violence parentale à travers des joutes verbales cruelles. Au musée, ses visites guidées se transforment en prêches pascaliens qui dérangent sa hiérarchie. Son inadaptation sociale finit par l’isoler complètement, jusqu’au jour où il commet l’irréparable. Mais qui a-t-il tué ? La réponse n’arrive qu’à la toute dernière ligne du roman.
Publié en 1995, ce texte mordant conjugue avec brio humour noir et tragédie. Le choix du monologue permet à Lydie Salvayre, psychiatre de formation, de créer un personnage complexe dont la parole acide et lucide questionne la transmission de la violence. Deux mises en scène théâtrales en 2005 ont su transposer la force de ce huis clos psychologique qui fait de la haine son sujet central.
Aux éditions POINTS ; 192 pages.
4. Tout homme est une nuit (roman, 2017)
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Dans un village provençal des années 2010, l’arrivée d’un nouveau venu bouleverse la quiétude apparente des habitants. Anas, professeur de français d’une trentaine d’années, s’y installe après avoir appris qu’il est atteint d’un cancer. Il cherche un havre de paix pour suivre son traitement à l’Institut Saint-Christophe de la ville voisine, loin du tumulte de sa vie d’avant.
Sa présence déconcerte rapidement les villageois. Les discussions vont bon train au Café des Sports, épicentre de la vie locale où règne Marcelin, le patron. Le physique d’Anas – son teint mat, ses cheveux frisés – et son comportement réservé alimentent les suspicions. Les rumeurs se propagent comme une traînée de poudre : on le dit chômeur, dealer, prédateur sexuel… La tension monte inexorablement, attisée par l’alcool et les préjugés. Seuls quelques personnages comme Mîna, la serveuse, et Augustin, le fils de Marcelin, osent braver l’hostilité générale pour lui tendre la main.
Ce livre de Lydie Salvayre, paru en 2017 pendant la campagne présidentielle française, dissèque les mécanismes de la peur et du rejet de l’autre. Le récit alterne entre le journal intime d’Anas et les conversations du bistrot, un dialogue impossible entre deux univers que tout oppose. Cette structure en miroir révèle la violence sourde qui couve dans les replis d’une France périphérique minée par le déclassement et la rancœur.
Aux éditions POINTS ; 216 pages.
5. Marcher jusqu’au soir (essai, 2019)
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Une nuit entière enfermée au musée Picasso : c’est l’expérience singulière proposée à Lydie Salvayre lors d’une exposition mettant en dialogue les œuvres de Picasso et Giacometti. D’abord réticente, l’écrivaine finit par accepter, attirée par la perspective de passer des heures en tête-à-tête avec « L’Homme qui marche » de Giacometti, sculpture qui la fascine depuis des années.
Cette nuit qui devait être consacrée à la contemplation artistique prend un tour inattendu. Face à l’œuvre tant admirée, Salvayre reste de marbre. Ce vide émotionnel déclenche une tempête intérieure où resurgissent les fantômes de son passé : son enfance dans une famille d’immigrés espagnols, la violence d’un père autoritaire, sa relation ambivalente avec le monde de la culture.
La confrontation avec « L’Homme qui marche » devient le catalyseur d’une méditation sur la mort, nourrie par son combat personnel contre le cancer. Les figures de Giacometti et Picasso s’opposent dans leur rapport à la finitude : l’un acceptant l’échec comme partie intégrante de sa démarche artistique, l’autre défiant la mort par sa créativité débordante. Lydie Salvayre signe ici son texte le plus intime, où colère et vulnérabilité se mêlent dans une réflexion sans concession sur l’art et la condition humaine.
Aux éditions POINTS ; 168 pages.
6. Depuis toujours nous aimons les dimanches (essai, 2024)
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Dans ce pamphlet incisif, Lydie Salvayre s’attaque frontalement à la « valeur travail » et ses apôtres contemporains. Son point de départ : le dimanche, ce jour béni où l’on peut encore échapper à l’injonction permanente de productivité. À travers une succession de tableaux, elle dépeint ces matins dominicaux où l’on peut enfin traîner au lit, rêvasser, ne rien faire – bref, cultiver cet art décrié de la paresse.
L’autrice remonte aux sources historiques pour montrer comment le travail, qui servait jadis simplement à subvenir aux besoins, s’est mué en instrument d’aliénation au service du capitalisme industriel. Elle déconstruit méthodiquement le discours des « apologistes-du-travail-des-autres », ces puissants qui prônent l’effort… pour les autres, tout en s’enrichissant grassement.
Cette charge contre l’idéologie dominante du labeur forcené convoque de nombreuses figures tutélaires : de Paul Lafargue (auteur du « Droit à la paresse ») à Guy Debord, en passant par Nietzsche, Baudelaire ou Proust. La démonstration s’appuie sur un arsenal d’arguments philosophiques, littéraires, économiques et même bibliques.
Publié en 2024 dans un contexte de débats houleux sur la réforme des retraites et le travail dominical, ce petit livre frappe par sa résonance avec les préoccupations actuelles. Il fait écho aux aspirations d’une jeunesse qui refuse de plus en plus le diktat du « métro-boulot-dodo » et revendique le droit à une vie qui ne soit pas entièrement dévorée par le travail.
Aux éditions SEUIL ; 144 pages.
7. Irréfutable essai de successologie (essai, 2023)
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Dans cet essai satirique, Lydie Salvayre dévoile les secrets de la réussite dans notre société contemporaine, en particulier dans le milieu littéraire. Son manuel parodique de « successologie » expose les mécanismes du succès à tout prix, devenu la nouvelle religion de notre époque.
À travers une série de portraits mordants, elle dresse le tableau d’un monde où le paraître triomphe sur l’être. L’influenceuse bookstagrameuse siliconée de Dubaï côtoie l’homme d’influence aux amitiés calculées, tandis que huit types d’écrivains se disputent les faveurs du public. Des conseils cyniques guident l’apprenti arriviste : comment mentir avec élégance, écraser ses rivaux avec finesse ou encore cultiver des relations profitables sur les réseaux sociaux.
Publié en janvier 2023 aux éditions du Seuil, cet « irréfutable essai » s’inscrit dans la lignée des grands moralistes comme La Bruyère ou La Rochefoucauld. Le regard acéré de Lydie Salvayre dissèque les travers d’une époque où la notoriété se construit sur le vide. Frédéric Beigbeder salue d’ailleurs dans Le Figaro ce « retour à la satire absolument réjouissant de bout en bout » qui n’épargne personne dans le milieu littéraire.
Aux éditions POINTS ; 168 pages.