Henri Vincenot (1912-1985) est un artiste et écrivain français aux multiples talents, natif de Dijon. Issu d’une famille de cheminots, il grandit dans le quartier de la gare où son père travaille comme dessinateur-projeteur. Cette enfance marquée par l’univers ferroviaire influencera profondément son œuvre.
Après des études à l’ESC de Dijon et HEC Paris, il effectue son service militaire au Maroc où il est blessé lors d’une embuscade. De retour en France, il travaille brièvement comme ingénieur au PLM avant de se tourner vers le journalisme. En 1936, il épouse Andrée Baroin, l’unique amour de sa vie, avec qui il aura quatre enfants.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est arrêté par la Gestapo mais parvient à s’échapper. Après la guerre, il s’installe à Paris où il travaille pendant 25 ans comme journaliste à La Vie du Rail. Il prend sa retraite en 1967 et s’installe à Commarin, en Bourgogne, où il se consacre à l’écriture, la peinture et la sculpture.
Son œuvre littéraire, fortement ancrée dans le terroir bourguignon, connaît un grand succès, notamment avec « La billebaude » (1978). Ses romans mêlent traditions rurales, culture celtique et catholicisme populaire. Parallèlement à l’écriture, il pratique la peinture et la sculpture, laissant une œuvre artistique considérable.
Profondément marqué par le décès de son épouse en 1984, il meurt l’année suivante d’un cancer du poumon. Il repose dans le hameau de la Peurrie, qu’il avait passionnément restauré tout au long de sa vie.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Le pape des escargots (1972)
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La Bourgogne des années 1960 voit déambuler un étrange personnage : La Gazette, vagabond mystique qui se dit immortel et « pape des escargots ». Ce mendiant philosophe, paré d’attributs insolites comme une crosse d’évêque et une corde à treize nœuds, dispense sa sagesse et ses prophéties en échange du gîte et du couvert. Son chemin croise celui de Gilbert, jeune fermier qui néglige ses champs pour s’adonner à la sculpture du bois avec un don extraordinaire.
Reconnaissant en Gilbert l’héritier des bâtisseurs de cathédrales, La Gazette le prend sous son aile. Mais le talent du jeune homme attire bientôt l’attention de deux galeristes parisiens qui l’attirent dans la capitale, avec la promesse d’une formation artistique et d’un brillant avenir. Coupé de ses racines bourguignonnes, Gilbert perd son inspiration avant de trouver sa voie auprès des compagnons sculpteurs qui restaurent les églises romanes.
Ce roman d’Henri Vincenot, publié en 1972, couronné par le prix Sully Olivier de Serres, mêle les traditions païennes et chrétiennes dans une critique mordante de la modernité. À travers le personnage de La Gazette, druide moderne aux élucubrations mystiques teintées d’humour, transparaît une vision écologique avant-gardiste qui dénonce déjà la pollution des nappes phréatiques et l’urbanisation galopante. L’utilisation du patois bourguignon et les références aux légendes celtes créent un univers singulier, entre réalisme paysan et mysticisme ancestral.
Aux éditions FOLIO ; 373 pages.
2. La billebaude (1978)
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Au début des années 1920, dans un village de l’Auxois bourguignon, le petit Henri, huit ans, vit auprès de ses grands-parents depuis la mort de son père pendant la Grande Guerre. Son grand-père Tremblot, artisan bourrelier et chasseur émérite, l’initie progressivement aux secrets de la nature et de la chasse « à la billebaude », cette pratique populaire qui consiste à traquer le gibier sans chiens ni chevaux.
L’enfant partage son temps entre l’école à Dijon, les parties de chasse avec son aïeul et les travaux saisonniers : sciage du bois en hiver, confection des fagots en été. Brillant élève, il intègre HEC à Paris, tandis que son grand-père se reconvertit dans la vente d’écrémeuses pour payer ses études. L’histoire s’achève sur sa rencontre avec une jeune femme de Maranges, avec qui il restaure un hameau abandonné du Morvan.
Paru en 1978 chez Denoël, ce livre semi-autobiographique brosse le tableau d’une France rurale à la croisée des chemins. La modernisation inexorable des campagnes – mécanisation agricole, arrivée de l’automobile, exode rural – y est décrite comme une rupture avec des siècles de savoirs traditionnels et d’autosuffisance paysanne. Le succès de l’ouvrage, notamment lors de sa présentation à Apostrophes, révèle la nostalgie d’une époque où l’homme entretenait encore un rapport étroit avec son environnement.
Aux éditions FOLIO ; 448 pages.
3. Les étoiles de Compostelle (1982)
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Bourgogne, XIIIe siècle. Jehan le Tonnerre vit au sein d’une communauté d’essarteurs qui défrichent la forêt du Morvan. Un jour, la construction d’une abbaye cistercienne près de chez lui éveille sa curiosité. Attiré par les techniques des bâtisseurs, il quitte sa vie de défricheur pour rejoindre la confrérie des Compagnons constructeurs, ces mystérieux artisans qui élèvent églises et cathédrales.
Sous la tutelle d’un maître-compagnon et d’un étrange personnage surnommé le Prophète, Jehan entame son apprentissage. D’abord simple « lapin » chargé d’aiguiser les outils, il s’initie peu à peu aux secrets de la charpente et de la géométrie sacrée. Son parcours le mène jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle, où chaque étape lui dévoile de nouveaux mystères architecturaux.
Ce roman d’apprentissage dévoile les liens insoupçonnés entre les traditions celtes et l’architecture médiévale chrétienne. Les savoirs ancestraux des druides se seraient perpétués dans la symbolique des cathédrales, transmis secrètement par les bâtisseurs. Les passages consacrés aux techniques de construction s’entremêlent avec des réflexions sur la spiritualité, dans une méditation sur la transmission des connaissances à travers les âges.
Aux éditions FOLIO ; 346 pages.
4. Le maître des abeilles (1987)
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Un rêve prémonitoire de sa maison familiale qui s’effondre pousse Louis Châgniot, fonctionnaire parisien, à revenir dans son village natal de Montfranc-le-Haut en Bourgogne. Il n’y a pas mis les pieds depuis près d’un demi-siècle. Dans sa DS, il embarque son fils Loulou, un jeune toxicomane qui végète dans des études de sociologie.
Le village ne compte plus que dix-huit habitants, dont Balthazar, dit « le Mage », un apiculteur qui a toujours refusé de quitter sa terre. Ce personnage énigmatique initie Loulou aux secrets des abeilles et à l’art de l’hydromel. Sous sa tutelle et grâce à l’amour naissant pour la belle Catherine, le jeune homme abandonne peu à peu ses démons urbains pour renouer avec une existence plus authentique.
Dernier roman d’Henri Vincenot, publié en 1987, « Le maître des abeilles » devait être le premier volet d’une trilogie intitulée « Chroniques de Montfranc-le-Haut », mais la mort de l’auteur a interrompu le projet. À travers le parcours initiatique de Loulou, se dessine une critique musclée de la société moderne et de l’exode rural. Les idées du Mage sur l’autarcie, le troc et le rapport à la nature, qui pouvaient paraître réactionnaires dans les années 1980, trouvent aujourd’hui un écho particulier dans les débats sur la décroissance et l’écologie.
Aux éditions FOLIO ; 157 pages.