Elie Wiesel naît le 30 septembre 1928 à Sighetu Marmației, en Roumanie, dans une famille juive hassidique. Son enfance paisible bascule en 1944 lorsque, à l’âge de 15 ans, il est déporté avec sa famille à Auschwitz. Sa mère et sa plus jeune sœur sont immédiatement gazées. Il est ensuite transféré avec son père à Buchenwald, où ce dernier meurt peu avant la libération du camp par l’armée américaine en avril 1945.
Après la guerre, Wiesel est accueilli en France où il étudie à la Sorbonne. Il commence sa carrière de journaliste et écrit en français, en hébreu et en yiddish. C’est sous l’influence de François Mauriac qu’il décide de témoigner de son expérience de la Shoah. Il publie d’abord « …Un di Velt Hot Geshvign » en yiddish, puis « La Nuit » en français, un témoignage majeur sur l’Holocauste.
En 1955, Wiesel s’installe aux États-Unis. Il épouse Marion Erster Rose en 1969, qui traduira nombre de ses ouvrages. Devenu citoyen américain, il poursuit une carrière d’écrivain prolifique tout en enseignant à l’université de Boston. Son engagement pour la mémoire de la Shoah et contre toute forme d’oppression lui vaut le Prix Nobel de la Paix en 1986. Il fonde alors la Fondation Elie Wiesel pour l’Humanité avec son épouse.
Tout au long de sa vie, Wiesel milite pour les droits de l’homme à travers le monde. Il joue un rôle déterminant dans la création du Mémorial de l’Holocauste à Washington. Auteur de 57 livres, professeur respecté, militant infatigable des droits de l’homme, il reçoit de nombreuses distinctions dont la Medal of Freedom (médaille présidentielle de la Liberté). Il s’éteint le 2 juillet 2016 à New York.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. La Nuit (récit autobiographique, 1956)
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Résumé
En 1941, dans la petite ville de Sighetu Marmației en Transylvanie du Nord, annexée à la Hongrie, vit Eliezer, un adolescent juif orthodoxe dévoué à l’étude du Talmud. Chaque soir, il se rend à la synagogue pour « pleurer la destruction du Temple ». Sa rencontre avec Moshé-le-Bedeau, humble gardien de la synagogue hassidique, marque un tournant dans sa vie spirituelle. Ce dernier l’initie à la Kabbale et lui enseigne que « l’homme s’élève vers Dieu par les questions qu’il Lui pose » et que « toute question possède un pouvoir qui ne repose pas dans la réponse ».
Lorsque le gouvernement hongrois décrète l’expulsion des Juifs incapables de prouver leur citoyenneté, Moshé-le-Bedeau fait partie des déportés. Quelques mois plus tard, il réapparaît à Sighetu Marmației, hagard et transformé. Il raconte comment, après avoir traversé la frontière polonaise, les Juifs ont été pris en charge par la Gestapo, conduits dans une forêt près de Kolomaye et exécutés méthodiquement. Lui-même a miraculeusement survécu, blessé à la jambe et laissé pour mort.
La vie reprend son cours jusqu’au printemps 1944, quand les troupes allemandes arrivent à Sighetu Marmației. Rapidement, les mesures antisémites se multiplient : port obligatoire de l’étoile jaune, confiscation des objets de valeur, interdiction de fréquenter les restaurants ou de sortir après six heures du soir. Le père d’Eliezer, Shlomo, tente de minimiser la gravité de la situation : « L’étoile jaune ? Eh bien, quoi ? On n’en meurt pas… »
Bientôt, les Juifs sont contraints de s’installer dans deux ghettos. Paradoxalement, une forme d’optimisme règne parmi les habitants : « Nous n’allions plus avoir devant nos yeux ces visages hostiles, ces regards chargés de haine. C’en était fini de la crainte, des angoisses. Nous vivions entre Juifs, entre frères… » Eliezer constate avec lucidité : « Ce n’était ni l’Allemand ni le Juif qui régnait dans le ghetto : c’était l’illusion. »
En mai 1944, le Judenrat (conseil juif) apprend que les ghettos seront évacués et les résidents déportés. Eliezer assiste, impuissant, au défilé pathétique de ses voisins et amis : « Ils s’en allaient déchus, traînant leur sac, traînant leur vie, abandonnant leurs foyers et leurs années d’enfance, courbés comme des chiens battus. » Lorsque vient le tour de sa famille, ils refusent l’offre de leur ancienne bonne Maria de les cacher dans son village, ne voulant pas se séparer.
Entassés à quatre-vingts dans un wagon à bestiaux sans air ni lumière, les déportés subissent un voyage éprouvant. Leur calvaire est aggravé par les cris d’une femme, Madame Schächter, qui, frappée de délire, ne cesse de hurler qu’elle voit des flammes. Après trois jours de trajet, ils arrivent à Auschwitz-Birkenau. C’est alors que les visions de Madame Schächter prennent tout leur sens : dans la nuit, ils aperçoivent effectivement « des flammes sortir d’une haute cheminée ».
Dès l’arrivée, hommes et femmes sont séparés. Eliezer voit pour la dernière fois sa mère et sa petite sœur Tzipora : « Je les vis disparaître au loin ; ma mère serrait la chevelure blonde de ma sœur… et je ne savais pas qu’en cet endroit, à ce moment, je me séparais de ma mère et de Tzipora pour toujours. » Face au docteur Mengele, Eliezer et son père mentent sur leur âge pour échapper à la sélection immédiate.
Conduits vers ce qu’ils croient être le crématoire, ils assistent, horrifiés, à l’incinération de bébés dans une fosse ardente. Le père d’Eliezer récite le Kaddish, la prière des morts, tandis que le jeune homme sent monter en lui une révolte contre Dieu : « Pourquoi devais-je sanctifier Son Nom? L’Éternel […] se taisait, de quoi allais-je Le remercier ? » Par miracle, ils sont dirigés vers une baraque plutôt que vers la fosse. Cette première nuit au camp marque profondément Eliezer : « L’étudiant talmudiste, l’enfant que j’étais, s’était consumé dans les flammes. Il ne restait qu’une enveloppe qui me ressemblait. »
Transférés à Monowitz (Buna), un camp de travail, Eliezer et son père luttent quotidiennement pour leur survie. « Le pain, la soupe – c’était toute ma vie. J’étais un corps. Peut-être moins encore : un estomac affamé » confie Eliezer. Les liens qui l’unissaient à son prochain s’atténuent à mesure que grandit son instinct de survie. Sa foi en Dieu chancelle davantage lorsqu’il assiste à la pendaison d’un jeune garçon de douze ans. Tandis que l’enfant agonise lentement, Eliezer entend quelqu’un demander : « Où donc est Dieu ? » Et une voix en lui répond : « Où Il est ? Le voici – Il est pendu ici, à cette potence. »
La veille de Roch Hachana, le Nouvel An juif, Eliezer refuse de jeûner, acte de rébellion contre Dieu : « Béni soit le nom de l’Éternel ? Pourquoi, mais pourquoi Le bénirais-je ? Toutes mes fibres se révoltaient. Parce qu’Il avait fait brûler des milliers d’enfants dans ses fosses ? »
En janvier 1945, suite à l’avancée de l’armée rouge, les Allemands évacuent le camp. Commence alors une marche forcée dans la neige et le froid glacial. « Un vent glacé soufflait avec violence. Mais nous marchions sans broncher. » Ceux qui ralentissent sont abattus sur-le-champ. Durant le périple, Eliezer observe un fils abandonner son père pour augmenter ses chances de survie, ce qui le pousse à implorer Dieu : « Mon Dieu, Maître de l’Univers, donne-moi la force de ne jamais faire ce que le fils de Rab Eliahou a fait. »
Après une halte à Gleiwitz, les survivants sont transportés en train vers Buchenwald. Dans des wagons découverts, exposés au froid et sans nourriture, beaucoup succombent. Eliezer sauve son père de justesse quand d’autres prisonniers veulent le jeter du train, le croyant mort. Le voyage dure dix jours, au terme desquels seuls douze des cent occupants du wagon sont encore en vie.
À Buchenwald, le père d’Eliezer, à bout de forces, tombe gravement malade. La dysenterie le ronge, et les autres détenus le battent parce qu’il ne peut plus sortir pour faire ses besoins. Eliezer lui donne sa ration de soupe « contre son gré », conscient de sa propre défaillance morale. Une nuit, son père appelle « Eliezer » dans un dernier souffle après avoir été battu par un SS pour avoir réclamé de l’eau. Le jeune homme, allongé sur la couchette supérieure, reste figé par la peur. Au matin du 29 janvier 1945, Eliezer trouve un autre malade à la place de son père, emporté avant l’aube vers le crématoire. « Il n’y eut pas de prière sur sa tombe. Pas de bougie allumée pour sa mémoire. Son dernier mot avait été mon nom. Un appel, et je n’avais pas répondu. Je ne pleurais pas, et cela me faisait mal de ne pas pouvoir pleurer. Mais je n’avais plus de larmes. »
Le 11 avril 1945, après avoir survécu à l’évacuation prévue du camp grâce à un mouvement de résistance qui en prend le contrôle, Eliezer voit arriver les premiers tanks américains. Libéré, il ne pense qu’à une chose : manger. « On ne pensait qu’à cela. Ni à la vengeance, ni aux parents. Rien qu’au pain. » Se regardant pour la première fois dans un miroir depuis le ghetto, il découvre avec stupeur son propre visage : « Du fond du miroir, un cadavre me regarda. Le regard dans ses yeux, comme ils regardaient dans les miens, ne me quitte plus. »
Autour du livre
« La Nuit » naît d’un long silence. Pendant dix ans après sa libération, Elie Wiesel refuse de parler de son expérience concentrationnaire. Ce n’est qu’en 1954, lors d’un voyage en bateau vers le Brésil, qu’il rédige fiévreusement un manuscrit de 862 pages en yiddish. « J’écris pour témoigner, pour empêcher les morts de mourir, j’écris pour justifier ma survie », confie-t-il dans ses mémoires. Cette première version, intitulée « …Un di Velt Hot Geshvign » (« …Et le monde se taisait »), paraît en Argentine en 1956 comme le 117ème volume d’une collection de mémoires sur la judéité polonaise.
Une rencontre décisive avec François Mauriac en 1955 bouleverse le destin du texte. Venu interviewer l’écrivain catholique pour approcher le Premier ministre Mendès France, Wiesel, irrité par les références constantes de Mauriac à Jésus, s’emporte : « Il y a dix ans environ, j’ai vu des enfants, des centaines d’enfants juifs, qui ont souffert plus que Jésus sur sa croix et nous n’en parlons pas. » Face aux larmes du vieil homme, Wiesel se sent coupable. Mauriac l’encourage alors : « Vous savez, peut-être devriez-vous en parler. »
Le passage du manuscrit yiddish au livre que nous connaissons illustre un travail éditorial considérable. Le texte original débute par une réflexion sur la foi : « Au commencement fut la foi, puérile ; et la confiance, vaine, et l’illusion, dangereuse. […] Ce fut la source – sinon la cause – de tous nos malheurs. » En transposant son récit en français, Wiesel et son éditeur Jérôme Lindon des Éditions de Minuit élaguent drastiquement le texte, le réduisant à 178 pages en 1958.
Selon la professeure Naomi Seidman, le texte évolue d’un « témoignage historique et politique » vers une « œuvre littéraire à portée universelle ». Là où la version yiddish exprimait une colère brute destinée aux lecteurs juifs, le texte français déplace le questionnement vers une méditation sur Dieu et l’humanité. Ce changement se manifeste jusque dans certains épisodes, comme celui de la libération où les « garçons juifs » qui partent « violer les shiksas allemandes » dans la version yiddish deviennent simplement des « jeunes gens » qui vont « coucher avec des filles » dans la version française.
« La Nuit » tire sa puissance d’une structure narrative épurée jusqu’à l’essentiel. Elle s’articule autour de plusieurs « nuits » symboliques : la nuit du premier soir au camp, quand Eliezer perd sa foi ; la nuit de la pendaison du petit pipel où Dieu lui-même semble exécuté ; la nuit de l’agonie de son père, qu’il ne peut ni ne veut secourir. Ce récit fragmenté, aux phrases courtes et dépouillées, reflète selon Wiesel « le style des chroniqueurs des ghettos où il fallait tout faire, dire et vivre rapidement, dans un souffle : on ne savait jamais si l’ennemi n’allait pas frapper à la porte pour tout arrêter. » Cette concision confère une densité insoutenable à nombre de scènes, comme lorsqu’Eliezer assiste, impuissant, à l’agonie du jeune garçon pendu et entend une voix lui dire : « Où donc est Dieu ? Le voici – Il est pendu ici, à cette potence. »
Initialement publié sans grand retentissement, « La Nuit » connaît une diffusion limitée, avec seulement 1 046 exemplaires vendus durant les dix-huit premiers mois aux États-Unis. L’historien Pierre Vidal-Naquet souligne pourtant son importance : « Le premier livre qui m’ait vraiment appris ce qu’était le camp d’Auschwitz fut ‘La Nuit’ d’Elie Wiesel. […] Il se trouve que je déteste l’œuvre d’Elie Wiesel, à la seule exception de ce livre. » François Mauriac, dans sa préface à l’édition française, évoque « un livre différent, distinct, unique […] auquel nul autre ne pourrait être comparé. » A. Alverez, dans son commentaire à la première édition américaine, le qualifie de « douloureux de façon presque insoutenable, et certainement au-delà de toute critique. »
La reconnaissance ultime vient avec le Prix Nobel de la Paix décerné à Wiesel en 1986, consacrant son rôle de témoin et de défenseur des droits de l’homme. Aujourd’hui traduit en 30 langues, vendu à plusieurs millions d’exemplaires dans le monde, « La Nuit » rejoint « Si c’est un homme » de Primo Levi et « Le Journal d’Anne Frank » comme pilier de la littérature de la Shoah.
Aux éditions DE MINUIT ; 192 pages.
2. Tous les fleuves vont à la mer (mémoires, 1994)
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Résumé
Dans « Tous les fleuves vont à la mer », Elie Wiesel nous transporte dans son existence marquée par les ténèbres et la lumière, depuis son enfance jusqu’à son mariage en 1969. Son récit débute à Sighetu Marmației, petite ville des Carpates roumaines, où le jeune Elie grandit au sein d’une communauté juive imprégnée de traditions. Passionné par les textes sacrés, il se plonge avec ferveur dans l’étude de la Torah et du Talmud, manifestant déjà un penchant pour la mystique juive et les enseignements kabbalistiques. Sa vie s’écoule paisiblement entre prières, études religieuses et liens familiaux chaleureux, dans cette région longtemps épargnée par la guerre.
Le printemps 1944 marque une rupture brutale. La famille Wiesel, comme tous les Juifs de Sighetu Marmației, se retrouve parquée dans un ghetto puis déportée à Auschwitz. Dès leur arrivée au camp, Elie perd sa mère et sa petite sœur Tsipouka, « sa petite sœur aux cheveux d’or » qu’il évoquera toujours avec une tendresse infinie. Dans l’univers concentrationnaire, l’adolescent découvre sous un jour nouveau son père, rabbin respecté mais auparavant distant, avec qui il partage désormais l’épreuve quotidienne de la survie. Leur complicité nouvelle se brise avec la mort de celui-ci à Buchenwald, quelques semaines seulement avant la libération du camp par les troupes américaines en avril 1945.
À seize ans, Wiesel se retrouve orphelin, apatride, seul face à un monde indifférent. Transféré en France dans un orphelinat, il y apprend le décès de sa mère et de sa jeune sœur, mais retrouve ses deux autres sœurs qui ont survécu. Il s’attelle à l’apprentissage du français, poursuit ses études religieuses et tente de se reconstruire. Durant dix ans, il mène une existence précaire à Paris, oscillant entre le désir de témoigner et l’incapacité à formuler l’indicible. Sa foi vacille sans jamais s’éteindre complètement, tiraillée entre révolte contre Dieu et attachement aux traditions ancestrales.
La naissance de l’État d’Israël en 1948 éveille en lui un certain intérêt. Ne souhaitant pas porter les armes après l’expérience des camps, il s’engage néanmoins pour cette cause en devenant journaliste, d’abord pour un journal clandestin de la résistance juive en France, puis comme correspondant du quotidien israélien Yedioth Ahronoth. Sa profession lui permet de parcourir le monde et d’observer les soubresauts de l’histoire contemporaine, du procès Eichmann à la guerre des Six Jours. À Paris, il noue des amitiés déterminantes avec des figures intellectuelles comme François Mauriac, qui l’encouragera à publier son témoignage sur les camps, « La Nuit ».
Au milieu des années 1950, Wiesel s’installe à New York. Il y poursuit sa carrière journalistique tout en développant son œuvre littéraire. Il s’engage pour diverses causes humanitaires, notamment celle des Juifs soviétiques persécutés. Son existence d’ascète solitaire prend fin lorsqu’il rencontre Marion, qu’il épouse en 1969 à Jérusalem – point final de ce premier tome de mémoires.
Autour du livre
« Tous les fleuves vont à la mer » naît d’une nécessité de mémoire pour Wiesel, qui porte en lui « comme un poison » les souvenirs des camps. Ces mémoires constituent l’aboutissement logique d’une vie consacrée au témoignage, commencée avec la publication de « La Nuit » grâce au soutien de François Mauriac. Wiesel perçoit l’acte d’écriture comme un devoir sacré : « Que serait l’homme sans sa capacité de se souvenir ? La mémoire est une passion non moins puissante ou persuasive que l’amour. » Pour lui, se souvenir signifie « vivre dans plus d’un monde, empêcher le passé de s’effacer et appeler l’avenir à l’illuminer. »
Ses mémoires suivent une construction non chronologique qui reflète les méandres de sa pensée et les vagabondages de sa mémoire. S’il consacre relativement peu de pages à l’expérience des camps (déjà décrite dans « La Nuit »), il s’attarde sur la lente reconstruction de son identité après la Shoah. Son récit commence et s’achève par l’évocation des liens familiaux – ceux perdus pendant la guerre puis ceux retrouvés avec sa femme Marion qu’il épouse en 1969. Cette structure circulaire suggère une forme de réconciliation avec l’existence, malgré les blessures indélébiles du passé.
Le second tome, « … et la mer n’est pas remplie », complète ce récit autobiographique en couvrant la période allant de 1969 jusqu’aux années 1990.
Aux éditions POINTS ; 640 pages.
3. Le testament d’un poète juif assassiné (roman, 1980)
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Résumé
Arrêté dans l’URSS stalinienne des années 1950, Paltiel Kossover, un poète juif, attend son exécution dans sa cellule. Sur demande d’un magistrat, il rédige ses mémoires, un témoignage qui deviendra son testament spirituel. Né dans la Russie des pogroms, Paltiel grandit dans une famille juive traditionnelle mais abandonne progressivement sa foi pour embrasser l’idéal communiste. Son parcours le mène de Berlin à Paris, puis en Palestine et en Espagne où il combat durant la guerre civile, avant de retourner en URSS pendant la Seconde Guerre mondiale.
Tout au long de sa vie, Paltiel se retrouve déchiré entre la promesse du communisme et son identité juive qu’il ne peut renier complètement. Cette dualité le conduira à sa perte lorsque Staline lancera une vague de persécutions contre les intellectuels juifs soviétiques en 1952.
Vingt ans plus tard, son fils Grisha, désormais émigré en Israël et frappé de mutisme, reçoit ce testament des mains de Viktor Zupanev, l’ancien greffier de prison qui a secrètement conservé une copie du document. À travers ces pages, Grisha découvre l’histoire d’un père qu’il n’a jamais connu et cherche à comprendre comment cet homme a été broyé par les idéologies totalitaires du siècle, tout en essayant de reconstruire sa propre identité fragmentée.
Autour du livre
« Le testament d’un poète juif assassiné » s’inscrit dans une trilogie thématique d’Elie Wiesel, complétée par « Le Cinquième Fils » et « L’Oublié ». Après avoir témoigné directement de l’horreur des camps, il s’attache cette fois à raconter l’histoire des enfants de survivants à travers le destin du poète fictif Paltiel Kossover. Le roman s’inspire d’un événement historique précis : l’exécution massive des grands écrivains juifs soviétiques, ordonnée par Staline le 12 août 1952.
La force du récit tient dans son panorama saisissant des convulsions idéologiques et politiques qui ont secoué l’Europe. Wiesel dessine le portrait d’une génération d’intellectuels juifs séduits par le communisme, qui y voyaient une promesse messianique comparable à celle de leur tradition religieuse. Cette dualité constitue la colonne vertébrale psychologique du protagoniste, tiraillé entre la fidélité à ses racines juives et l’espoir d’un monde nouveau. Comme le souligne Paltiel lui-même : « Faut-il prier pour hâter la venue d’un improbable messie, ou tout mettre en œuvre pour tenter d’améliorer le sort des plus pauvres ici et maintenant ? »
Par-delà sa dimension historique, le roman interroge les dilemmes moraux auxquels font face les hommes dans les périodes troubles. À travers les expériences de Paltiel en Espagne pendant la guerre civile ou sur le front russe, Wiesel montre comment les idéaux les plus nobles peuvent être pervertis par la violence. « De part et d’autre la cruauté fut identique », constate amèrement le protagoniste. De cette désillusion, la réponse de Paltiel réside dans l’affirmation de son identité juive, non comme une séparation d’avec le reste de l’humanité, mais comme une résistance aux forces déshumanisantes. « Si vous vous souciez des autres au détriment de vos frères, vous finirez par tous les renier. »
« Le testament d’un poète juif assassiné » a remporté trois distinctions majeures en 1980 : le Prix du Livre Inter, le Prix des Bibliothécaires et le Prix Interallié, tout en étant nominée pour le prestigieux Prix Goncourt. Il a fait l’objet d’une adaptation cinématographique franco-israélienne en 1988, réalisée par Frank Cassenti sous le même titre.
Aux éditions POINTS ; 352 pages.