Daniel Defoe naît vers 1660 à Londres, dans une famille de commerçants protestants d’origine flamande. Son père, James Foe, est chandelier dans le quartier populaire de Cripplegate. Le jeune Daniel grandit dans une période mouvementée, marquée par la Grande Peste de Londres et le Grand Incendie de 1666.
À l’âge de 14 ans, il entre dans une académie dissidente dirigée par Charles Morton, qui le prépare à devenir ministre presbytérien. Mais Defoe choisit une autre voie et se lance dans le commerce. Il épouse Mary Tuffley en 1684, qui lui apporte une dot considérable. Malgré cela, ses diverses entreprises commerciales le mènent plusieurs fois à la faillite et en prison.
Defoe s’engage également en politique. Il soutient Guillaume III d’Orange et devient son agent secret. En 1703, il se retrouve au pilori pour avoir publié un pamphlet satirique contre l’Église anglicane. C’est en prison qu’il lance sa Review, une publication périodique qui connaît un grand succès.
À partir de 1719, Defoe se consacre principalement à l’écriture de romans. Il publie son chef-d’œuvre, « Robinson Crusoé », inspiré de l’histoire vraie du marin Alexander Selkirk. Suivent d’autres succès comme « Moll Flanders » (1722), qui raconte l’histoire d’une femme déchue cherchant la rédemption, et « Journal de l’Année de la Peste » (1722), un récit quasi-journalistique de l’épidémie de 1665.
Écrivain prolifique, il publie plus de 300 œuvres couvrant des domaines divers : romans, pamphlets politiques, journalisme économique et essais. Il est considéré comme l’un des pionniers du roman anglais moderne. Daniel Defoe meurt le 24 avril 1731 à Londres, probablement des suites d’un accident vasculaire cérébral, alors qu’il se cache de ses créanciers.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Robinson Crusoé (roman, 1719)
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Résumé
En 1651, Robinson Crusoé, fils d’un marchand allemand émigré à York, quitte son Angleterre natale contre l’avis de ses parents qui le destinent à une carrière d’avocat. Assoiffé d’aventures maritimes, le jeune homme s’embarque pour une première traversée qui se solde par un naufrage. Loin d’être découragé, il repart en mer mais son navire est capturé par des pirates qui le réduisent en esclavage. Après deux ans de captivité, il parvient à s’échapper avec un jeune garçon nommé Xury. Recueilli par un capitaine portugais, il gagne le Brésil où il devient propriétaire d’une plantation prospère.
Mais l’appel du large le reprend : en 1659, il monte une expédition pour la traite d’esclaves qui tourne au désastre. Seul rescapé d’un naufrage, il échoue sur une île déserte près de l’embouchure de l’Orénoque. Avec les débris du navire, il construit un abri, apprend à chasser, cultiver, élever des chèvres. Les années passent dans une solitude absolue jusqu’au jour où il découvre des traces de pas sur la plage : l’île est régulièrement visitée par des cannibales qui y sacrifient leurs prisonniers…
Autour du livre
La genèse de « Robinson Crusoé » prend sa source dans un fait réel qui défraya la chronique au début du XVIIIe siècle. En 1704, le marin écossais Alexander Selkirk fut abandonné sur une île déserte de l’archipel Juan Fernández, au large du Chili, après une dispute avec son capitaine. Il y survécut quatre années avant d’être secouru en 1709. Son récit, publié dans la presse londonienne, inspira Daniel Defoe qui s’en empara pour créer son personnage. D’autres sources possibles sont évoquées, notamment « Hayy ibn Yaqzan » d’Ibn Tufail, roman philosophique du XIIe siècle mettant en scène un homme seul sur une île.
Ce récit à la première personne marque un tournant dans l’histoire de la littérature anglophone. Publié en 1719, il est considéré par de nombreux spécialistes comme le premier véritable roman de langue anglaise. Sa publication originale comportait une particularité : le livre était présenté comme l’autobiographie authentique de Robinson Crusoé, si bien que de nombreux lecteurs crurent à la véracité des faits relatés. Le succès fut immédiat et considérable : l’ouvrage connut quatre éditions la première année. À la fin du XIXe siècle, aucun livre de la littérature occidentale n’avait connu autant de rééditions, de déclinaisons et de traductions, y compris dans des langues comme l’inuktitut, le copte ou le maltais.
James Joyce voit en Robinson l’archétype du colon britannique et le symbole du puritanisme : « Il est le véritable prototype du colonisateur britannique […] Tout l’esprit anglo-saxon est dans Crusoé : l’indépendance virile, la cruauté inconsciente, la persévérance, l’intelligence lente mais efficace, l’apathie sexuelle, la taciturnité calculatrice. » Le personnage incarne effectivement les valeurs de la bourgeoisie mercantile puritaine montante, portée par l’expansion coloniale et le commerce maritime : labeur, esprit d’initiative et de sacrifice, intelligence pratique, débrouillardise.
Les adaptations de « Robinson Crusoé » sont innombrables. Au cinéma, la première remonte à 1902 avec Georges Méliès. Parmi les versions marquantes figurent celle de Luis Buñuel en 1954, avec Dan O’Herlihy dans le rôle-titre (nommé aux Oscars), et celle de 1997 avec Pierce Brosnan. La télévision s’est également emparée du récit, notamment à travers une série franco-allemande en 1964 qui reste l’adaptation la plus fidèle au roman. Le personnage a aussi inspiré de nombreuses parodies et variations, comme « Lieutenant Robinson Crusoé » (1966) des studios Disney ou « Seul au monde » (2000) avec Tom Hanks. L’influence du roman se ressent également dans la littérature, donnant naissance au genre de la « robinsonnade » avec des œuvres comme « Le Robinson suisse » (1812) de Johann David Wyss ou « L’Île mystérieuse » (1874) de Jules Verne.
Aux éditions FOLIO ; 512 pages.
2. Moll Flanders (roman, 1722)
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Résumé
Angleterre, XVIIe siècle. Moll Flanders voit le jour dans la tristement célèbre prison de Newgate. Sa mère, condamnée pour vol, est déportée vers les colonies américaines peu après sa naissance. Recueillie par une famille d’accueil, la jeune fille manifeste très tôt son refus de la servitude et son désir ardent de devenir une « dame ».
Son destin bascule lorsque, adolescente, elle se laisse séduire par le fils aîné de la famille bourgeoise qui l’emploie comme domestique. Celui-ci l’abandonne après l’avoir manipulée, la poussant à épouser son frère cadet. Veuve après cinq ans de mariage, Moll se lance dans une quête effrénée de sécurité financière. Elle enchaîne les mariages opportunistes, jouant de ses charmes pour s’attacher des hommes fortunés. Un mariage incestueux avec son demi-frère en Virginie, dont elle ignore d’abord l’identité, la contraint à fuir en Angleterre.
Déterminée à survivre dans une société hostile aux femmes seules, elle s’adapte avec ingéniosité à chaque revers de fortune. Quand la beauté de sa jeunesse commence à se faner, Moll se tourne vers une vie de crime dans les bas-fonds londoniens. Son talent pour le vol et l’escroquerie lui assure une existence confortable, jusqu’au jour où elle est arrêtée…
Autour du livre
Daniel Defoe publie « Moll Flanders » en 1722, alors qu’il est déjà reconnu pour « Robinson Crusoé » paru trois ans plus tôt. Le roman s’inscrit dans un contexte particulier : l’Angleterre connaît une stabilité politique relative sous George Ier, mais les tensions sociales et économiques demeurent vives. La société traverse une période de mutation profonde avec l’émergence d’une classe moyenne urbaine et l’intensification du commerce. Defoe puise son inspiration dans les récits de criminels et leurs confessions, un genre alors en vogue. Sa rencontre avec Moll King lors d’une visite à la prison de Newgate nourrit particulièrement son écriture.
L’originalité de l’œuvre tient notamment à sa forme : présentée comme une autobiographie fictive, elle ne comporte ni chapitres ni paragraphes. Le texte se déroule d’un seul tenant, créant un effet d’immersion totale dans la conscience du personnage. La narration à la première personne permet une proximité troublante avec cette héroïne complexe et ambivalente. Moll Flanders incarne les contradictions de son époque : à la fois victime et manipulatrice, pénitente et récidiviste, elle navigue entre différentes classes sociales avec une habileté déconcertante.
Le roman bouleverse les codes de son temps en proposant une héroïne qui défie les conventions sociales et morales. Dans une société où les femmes disposent de peu d’options pour assurer leur indépendance économique, Moll utilise tous les moyens à sa disposition pour survivre. Le mariage apparaît comme une transaction économique plutôt qu’une union romantique. Cette représentation crue des rapports sociaux offre une critique implicite des restrictions imposées aux femmes au XVIIIe siècle.
La réception initiale reflète les paradoxes de l’époque. Si le livre connaît un succès commercial notable, il suscite également de vives critiques de la part des moralistes. Certains condamnent le traitement explicite de thèmes jugés scandaleux, comme la sexualité féminine et la criminalité. Virginia Woolf compte pourtant « Moll Flanders » parmi « les rares romans anglais que nous pouvons qualifier d’indiscutablement grands ».
En 1965, Kim Novak incarne Moll dans « The Amorous Adventures of Moll Flanders » de Terence Young. La BBC propose en 1975 une adaptation en deux parties avec Julia Foster. En 1996, deux versions voient le jour : l’une avec Robin Wright Penn et Morgan Freeman, l’autre, plus fidèle au roman, met en scène Alex Kingston et Daniel Craig. Ken Russell projette une nouvelle adaptation en 2007 avec Lucinda Rhodes-Thakrar, mais le film ne verra jamais le jour en raison du décès du metteur en scène et du producteur.
Aux éditions FOLIO ; 527 pages.
3. Lady Roxana (roman, 1724)
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Résumé
Angleterre, début du XVIIIe siècle. Une jeune femme d’origine française se retrouve abandonnée par son mari avec cinq enfants à charge. Sans ressources, elle confie ses enfants à des proches et devient la maîtresse de son propriétaire, un riche joaillier.
À sa mort, elle hérite de sa fortune et entame une ascension sociale fulgurante en multipliant les relations avec des hommes fortunés, dont un prince allemand qui la couvre de cadeaux. Elle s’installe à Londres où ses talents de danseuse orientale lui valent le surnom de « Lady Roxana ».
Sa vie confortable bascule lorsque sa fille aînée Susan la retrouve et menace de révéler son passé sulfureux. Amy, sa fidèle servante depuis toujours, propose alors une solution radicale pour faire taire la jeune femme. La disparition mystérieuse de Susan marque le début d’une spirale infernale pour Roxana…
Autour du livre
« Lady Roxana » constitue le dernier roman de Daniel Defoe, publié en 1724 alors qu’il approche la soixantaine. L’inspiration lui vient notamment de son expérience de reporter criminel à Newgate et Bridewell, où il côtoie les prisonniers. Il s’inspire également de la chronique mondaine de son époque, notamment des relations du duc de Buckingham avec Mary Butler et des danses orientales de Mademoiselle de Bardou à la cour.
Le texte se démarque par son personnage principal féminin à la psychologie ambivalente. La narration à la première personne permet de suivre les justifications morales d’une femme qui revendique son indépendance dans une société patriarcale. « Je serai une femme-homme », déclare-t-elle, « car je suis née libre et je mourrai ainsi ». Cette dimension proto-féministe se heurte cependant à une écriture empreinte de puritanisme, Defoe ne pouvant s’empêcher de condamner moralement son héroïne.
Le roman met particulièrement l’accent sur les questions économiques, Roxana tenant des comptes minutieux de sa fortune. Cette obsession pour l’argent reflète le contexte d’expansion capitaliste de l’Angleterre du XVIIIe siècle. Defoe lui-même, homme d’affaires avant d’être écrivain, connaît bien ce milieu pour avoir spéculé et fait faillite à plusieurs reprises.
Les critiques de l’époque reprochent à l’ouvrage sa structure décousue et son manque de construction. Le Dublin University Magazine parle d’une « succession d’anecdotes autonomes » sans véritable lien. Walter Scott compare les événements à « des pavés qu’on a déversés d’une charrette ». Virginia Woolf est l’une des rares à prendre sa défense.
En 2006, le réalisateur Moze Mossanen transpose l’histoire dans les années 1960 pour un court-métrage diffusé sur CBC et Bravo!. Cette adaptation, qui met en scène Greta Hodgkinson et Sheila McCarthy, remporte plusieurs récompenses dans des festivals.
Aux éditions DU CENACLE ; 374 pages.
4. Journal de l’Année de la Peste (journal fictif, 1722)
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Résumé
En 1665, alors que la peste bubonique frappe Londres et décime un quart de sa population, un commerçant solitaire décide de rester dans la ville malgré les supplications de son frère qui l’exhorte à fuir. Ce narrateur, désigné par les initiales H. F., tient la chronique méticuleuse d’une année apocalyptique. Il parcourt les rues désertes, observe l’exode des plus fortunés, assiste impuissant à la multiplication des fosses communes où s’entassent les cadavres.
Les autorités londoniennes tentent de juguler l’épidémie en imposant des mesures drastiques : mise en quarantaine des maisons infectées, interdiction des rassemblements, fermeture des commerces non essentiels. Mais ces restrictions s’avèrent souvent vaines face à la progression inexorable du fléau. À travers ses déambulations dans une cité transformée en enfer, H. F. documente avec une précision clinique les ravages de la maladie, les comportements des habitants face à la catastrophe, et les bouleversements sociaux qui en découlent.
Autour du livre
Publié en 1722, « Journal de l’Année de la Peste » naît d’une démarche singulière. Daniel Defoe n’avait que cinq ans lors de la Grande Peste de Londres, mais il s’appuie sur les journaux intimes de son oncle Henry Foe, un sellier qui vécut les événements, ainsi que sur une vaste documentation historique. Le projet s’inscrit dans un contexte particulier : une épidémie de peste qui sévit à Marseille en 1720 ravive les craintes des Londoniens et pousse Defoe à exhumer ce chapitre traumatique de leur histoire collective.
Cette chronique se distingue par son ambition de véracité quasi-scientifique. Defoe multiplie les données chiffrées, cite les registres paroissiaux des décès, reproduit les édits municipaux. Il s’attache à identifier avec exactitude les quartiers, les rues et même les maisons où se déroulent les événements qu’il relate. Cette obsession du fait vérifié confère à l’ouvrage une crédibilité telle qu’il fut longtemps considéré comme un témoignage authentique plutôt qu’une œuvre de fiction.
La critique demeure partagée sur la nature exacte de ce texte hybride. Edward Wedlake Brayley et Watson Nicholson y voient un document historique rigoureux, tandis que d’autres, comme Frank Bastian, soulignent son statut ambigu entre histoire et roman. Walter Wilson, premier biographe majeur de Defoe, salue sa capacité à « mêler si intimement l’authentique et l’imaginaire qu’il devient impossible de les distinguer ».
Pour Serge Gainsbourg, qui en fit son livre de chevet, la force du « Journal de l’Année de la Peste » réside dans son « réalisme extraordinaire » et la perfection de son style. Les critiques contemporains soulignent sa résonnance troublante avec la pandémie de Covid-19, notamment dans sa description des comportements humains face à la maladie : déni initial, théories du complot, charlatanisme médical, tension entre impératifs sanitaires et économiques.
L’ouvrage a inspiré plusieurs adaptations : une pièce radiophonique diffusée en 1945 sur « The Weird Circle », un film mexicain « El Año de la Peste » (1979) dont le scénario fut signé par Gabriel García Márquez, le court-métrage d’animation « Periwig Maker » (1999) nommé aux Oscars, et une dramatique de la BBC Radio 4 en 2016. Des références apparaissent également dans « Monty Python : Sacré Graal ! » et dans « Fahrenheit 451 » de François Truffaut.
Aux éditions FOLIO ; 384 pages.