Arthur Schopenhauer (1788-1860) est un philosophe allemand majeur du XIXe siècle. Né à Dantzig (aujourd’hui Gdańsk) dans une famille de commerçants aisés, il reçoit une éducation cosmopolite, voyageant à travers l’Europe dans sa jeunesse et apprenant plusieurs langues.
Après la mort de son père en 1806, il abandonne la carrière commerciale pour se consacrer à la philosophie. Il étudie à Göttingen puis à Berlin, où il suit notamment les cours de Fichte. En 1813, il soutient sa thèse « De la quadruple racine du principe de raison suffisante ».
Son œuvre principale, « Le monde comme volonté et comme représentation », paraît en 1819. Dans cet ouvrage influencé par Kant et la philosophie indienne, il développe une vision pessimiste du monde, considérant que l’existence est fondamentalement souffrance car mue par une volonté aveugle et insatiable.
Pendant la majeure partie de sa vie, Schopenhauer reste dans l’ombre, vivant de ses rentes à Francfort. Ce n’est que vers la fin de sa vie que son œuvre commence à être reconnue. Sa philosophie aura une influence considérable sur de nombreux penseurs et artistes comme Nietzsche, Wagner, Freud, ou encore Thomas Mann.
Il meurt à Francfort en 1860 à l’âge de 72 ans. Son héritage intellectuel est notamment marqué par sa théorie de la volonté comme essence du monde, sa vision pessimiste de l’existence, et ses réflexions sur l’art comme moyen d’échapper temporairement à la souffrance inhérente à la condition humaine.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. L’art d’avoir toujours raison (1864)
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Rédigé vers 1830-1831 et publié de manière posthume en 1864, « L’art d’avoir toujours raison » de Schopenhauer propose une analyse méthodique des techniques de controverse et de débat. Le philosophe allemand y décortique les différentes stratégies rhétoriques permettant de l’emporter dans une discussion, qu’on ait raison ou tort sur le fond. À travers 38 stratagèmes minutieusement décrits, il révèle les mécanismes psychologiques et argumentatifs qui sous-tendent tout affrontement verbal.
L’ouvrage s’ouvre sur une distinction fondamentale entre la logique, qui vise la vérité objective, et la dialectique éristique, qui cherche la victoire dans le débat. Schopenhauer expose ensuite ses stratagèmes, allant des plus simples (comme l’extension abusive des propos de l’adversaire) aux plus retors (comme les attaques personnelles). Chaque technique est illustrée par des exemples concrets, montrant comment déstabiliser un opposant, exploiter ses faiblesses ou retourner ses arguments contre lui.
Ce manuel de manipulation intellectuelle se distingue par son ton cynique assumé. Sans juger moralement ces pratiques, Schopenhauer les expose avec un mélange de lucidité et d’ironie mordante. Le texte oscille entre guide pratique du parfait rhéteur et critique acerbe de la nature humaine, ou comment l’orgueil et la mauvaise foi contaminent nos échanges.
La publication tardive de l’ouvrage témoigne des réticences de son auteur à diffuser ces techniques qu’il jugeait potentiellement dangereuses. Traduit dans de nombreuses langues, le texte continue d’influencer les domaines de la rhétorique, du droit et de la communication. En 2017, le film « Le Brio » d’Yvan Attal s’en est inspiré, mettant en scène un professeur enseignant ces stratagèmes à une étudiante.
Aux éditions 1001 NUITS ; 96 pages.
2. Le monde comme volonté et comme représentation (1819)
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« Le monde comme volonté et comme représentation », œuvre maîtresse d’Arthur Schopenhauer parue en 1819, propose une vision radicale du monde et de l’existence humaine. Le philosophe allemand y développe sa thèse centrale : notre monde se manifeste de deux manières distinctes – comme représentation (ce que nous percevons) et comme volonté (la force vitale qui anime toute chose). Cette dualité structure l’ensemble de l’ouvrage, divisé en quatre livres qui examinent tour à tour la théorie de la connaissance, la métaphysique, l’esthétique et l’éthique.
Pour Schopenhauer, la volonté constitue l’essence profonde de toute réalité – une force aveugle et insatiable qui se manifeste dans chaque être, des pierres jusqu’aux humains. Cette volonté universelle engendre une perpétuelle insatisfaction : les désirs à peine assouvis laissent place à de nouveaux manques. Seule l’expérience esthétique, notamment la musique, permet une libération momentanée de cette volonté tyrannique. L’art nous élève au-dessus de nos désirs individuels pour contempler les « Idées » platoniciennes, essences pures des choses.
Le pessimisme de Schopenhauer transparaît dans sa vision de l’existence comme souffrance perpétuelle, dont la seule échappatoire réside dans le renoncement ascétique à la volonté de vivre. Ces idées, nourries par sa lecture des « Upanishads » et sa connaissance du bouddhisme, tracent une voie philosophique originale entre Kant et la pensée orientale.
Largement ignorée à sa parution, l’œuvre n’a trouvé son public que dans les dernières années de la vie de Schopenhauer. Son influence s’est ensuite révélée considérable sur des artistes comme Wagner, Mahler et Thomas Mann, mais aussi sur des penseurs tels que Nietzsche, Freud et Wittgenstein. Einstein lui-même reconnaissait sa dette envers certains concepts développés dans l’ouvrage. Cette synthèse audacieuse entre philosophie occidentale et sagesse orientale continue d’interpeller par sa critique radicale de l’existence et sa quête d’une possible rédemption par l’art et l’ascèse.
Aux éditions FOLIO ; 1136 pages.
3. Parerga et Paralipomena (1851)
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Les « Parerga et Paralipomena », publiés en 1851, constituent l’ultime grand œuvre d’Arthur Schopenhauer. Ces deux volumes rassemblent des réflexions philosophiques accessibles sur des sujets divers, des conseils pratiques pour mener une vie satisfaisante jusqu’aux méditations sur le destin individuel. Le premier tome, les « Parerga », contient six essais majeurs qui complètent la pensée du philosophe, notamment une analyse de l’idéal et du réel, des observations sur l’enseignement universitaire et des aphorismes sur l’art de vivre.
Le second tome, les « Paralipomena », se compose de 31 chapitres courts qui abordent des thèmes jusque-là inexplorés par Schopenhauer : la religion, la littérature sanskrite, l’éducation, le bruit, ou encore son célèbre essai « Sur les femmes ». Ces textes dévoilent un Schopenhauer plus accessible, qui s’adresse directement au lecteur avec des exemples concrets tirés de la vie quotidienne.
La parution de l’ouvrage tient presque du miracle. Après plusieurs refus d’éditeurs, seul Hayn à Berlin accepte d’imprimer 750 exemplaires, dont à peine dix pour l’auteur. Le succès arrive peu après par un détour imprévu : une critique enthousiaste dans la Westminster Review en 1852 par John Oxenford. Traduit en allemand, son article provoque un intérêt soudain pour Schopenhauer dans son pays natal. Cette reconnaissance tardive permet à Schopenhauer de rééditer l’ensemble de son œuvre avant sa mort en 1860.
Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 1088 pages.
4. Le fondement de la morale (1840)
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« Le fondement de la morale » constitue l’une des œuvres majeures de Schopenhauer dans le domaine de l’éthique. Dans cet essai rédigé en 1839, le philosophe allemand s’attaque à la conception kantienne de la morale, qu’il juge trop abstraite et déconnectée de la réalité humaine. Sa thèse centrale : la compassion, et non le devoir rationnel, forme la base véritable de tout comportement moral. Pour Schopenhauer, les actions morales ne découlent pas d’impératifs catégoriques ou de principes universels, mais d’une empathie naturelle qui nous permet de ressentir la souffrance d’autrui comme la nôtre.
L’ouvrage développe une critique méthodique des « Fondements de la métaphysique des mœurs » de Kant. Schopenhauer démonte point par point l’édifice kantien : l’impératif catégorique, la notion de devoir, l’autonomie de la volonté. Il démontre que la morale ne peut se fonder sur la seule raison, car celle-ci reste compatible avec l’égoïsme et la cruauté. À l’opposé de Kant, il affirme que la véritable moralité naît d’une expérience affective spontanée : la reconnaissance intuitive de notre unité profonde avec tous les êtres sensibles.
L’histoire de ce texte illustre les querelles philosophiques de l’époque. Soumis à un concours de l’Académie royale danoise, l’essai fut écarté – bien qu’unique candidature – pour une simple pique contre Hegel. Le juge, un hégélien convaincu, ne pardonna pas cette impertinence. En réaction, Schopenhauer publia l’ouvrage en y ajoutant une démonstration musclée des erreurs de Hegel, notamment sa mécompréhension des lois physiques les plus élémentaires. Cette controverse n’empêcha pas le livre d’exercer une influence majeure : le physicien Schrödinger lui-même reconnut que Schopenhauer avait élucidé l’un des mystères fondamentaux de l’éthique.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 254 pages.
5. De la quadruple racine du principe de raison suffisante (1813)
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Premier traité philosophique majeur de Schopenhauer, « De la quadruple racine du principe de raison suffisante » pose les fondements de sa pensée. Rédigée en 1813 comme thèse de doctorat alors que l’auteur n’a que 25 ans, cette œuvre examine l’un des principes fondamentaux de la philosophie : celui qui stipule que rien n’arrive sans raison. Schopenhauer y démontre que ce principe se manifeste selon quatre aspects différents dans notre façon d’appréhender le monde.
La démonstration s’articule autour de quatre classes distinctes d’objets et leurs relations causales. La première concerne les représentations intuitives et empiriques, régies par la loi de causalité. La deuxième traite des concepts abstraits et de leurs liens logiques. La troisième examine les relations mathématiques et géométriques dans l’espace et le temps. La quatrième s’intéresse à la motivation des actions humaines, guidée par la volonté. À travers cette classification méthodique, Schopenhauer établit que toute explication rationnelle relève nécessairement de l’une de ces quatre formes.
Les circonstances de rédaction de ce traité méritent d’être soulignées. En janvier 1813, Berlin subit l’occupation française et les hôpitaux débordent de blessés. Pour échapper à cette atmosphère délétère, Schopenhauer se réfugie à Rudolstadt où il rédige son texte en quelques mois. L’ouvrage ne rencontre initialement qu’un faible écho – seule une centaine d’exemplaires trouve preneur. En 1847, Schopenhauer publie une seconde version considérablement augmentée qui devient la référence. Ce traité constitue le socle théorique sur lequel s’édifiera son œuvre maîtresse « Le monde comme volonté et comme représentation ». Ses réflexions sur la causalité et la motivation humaine inspirent encore aujourd’hui les neurosciences et la psychologie.
Aux éditions VRIN ; 224 pages.